Les conquistadors

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Un triste jour, Quetzalcoatl le Serpent à Plumes est reparti sur la mer de l’ouest, il a quitté l’Amérique sur son canoé-serpent en direction de la lointaine Europe. Les Amérindiens étaient inconsolables, ils ont chéri son souvenir à travers les siècles. Et le serpent est revenu.

Une antique prédiction annonçait son retour dans un lointain futur. Ainsi le conquistador espagnol Pizzare n’eut aucune difficulté à soumettre les Incas : il avait, lui aussi, les cheveux clairs et la peau blanche. Les Amérindiens crurent que Pizzare était le retour annoncé de leur dieu blanc, Tiki-Viracocha, Ecume de Mer. Et pourtant, bien des millénaires s’étaient écoulés depuis que le peuple des Serpents à Plumes avait quitté l’Amérique. Mais certaines rencontres ne s’oublient pas. 

À travers la mémoire collective du mythe, les Amérindiens avaient conservé le souvenir du dieu à la peau claire. Seulement, si les premiers visiteurs blancs avaient laissé une bonne impression avec leurs mœurs pacifiques et leurs nombreux savoir-faire, ces nouveaux dieux blancs se montrèrent d’une inutile cruauté.

Les Espagnols avaient pourtant mesuré le degré de civilisation de ces peuples, mais ça ne les a pas incité à la bienveillance, pas plus que leur soi-disant morale chrétienne.

Chez ces gentilshommes de fortune, la rapacité fut la plus forte. Abasourdis, les Incas se sont à peine défendus. Leur tradition sacrée présentait les Blancs comme des dieux généreux et bons. Comment les Incas pouvaient-ils admettre que leurs anciens dieux pacifiques se soient mués en démons enragés d’or, de stupre et de sang ? Ce qui, soit dit en passant,  permet de mesurer la réalité du déclin, et son ampleur. Jadis, les Blancs étaient des dieux bienveillants. Mais ils sont devenus des fauves.

hernan-cortes-200poUn autre conquistador, Cortès, connut la même aubaine au Mexique. Moctezuma, l’empereur des Aztèques, avait lui aussi gardé le souvenir de ce dieu blanc, que la tradition de ses ancêtres appelait Quetzalcoatl, le Serpent à Plumes. Le Serpent était un homme bon et généreux, pacifique, cultivé, débordant de science et de techniques. Ce Quetzalcoatl était venu après le grand déluge pour apporter la civilisation à ses ancêtres, il y a de nombreux millénaires. Quand on annonça à Moctezuma l’arrivé de Cortès, blanc, barbu, vêtu de fer, l’empereur en conclut que c’était le retour du Serpent à Plumes et sans hésiter, il offrit le pouvoir au conquérant.

Hernan Cortès et ses maigres troupes découvrirent alors, ébahis, la splendeur et la richesse de ce peuple. La capitale aztèque était bien plus vaste que Rome et Constantinople, villes qui leur étaient familières. Avec une population de 300.000 habitants, elle avait à peu près cinq fois la taille de Londres à l’époque. 

Nombre des soldats la comparaient à Venise, sûrs d’avoir découvert une merveilleuse cité de légende comme Eldorado, Cipango ou l’Atlantide. Il y avait des jardins flottants et de vastes marchés harmonieusement agencés où abondaient l’or, l’argent, le jade et toutes sortes de victuailles. Le palais impérial avait même sa volière et son zoo, où des jaguars, des pumas et des caïmans étaient soignés par du personnel vétérinaire.

 

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Profitant de la bienveillance de leurs hôtes, les Espagnols se livrèrent à un massacre en règle, exterminant 10.000 personnes en une seule nuit. Sans état d’âme, sans scrupule ni pitié, les conquistadores mirent le pays en coupe réglée : victimes de la guerre et des maladies apportés par les démons blancs, les populations locales furent décimées, chutant de dix millions à deux millions en l’espace de vingt ans. Ces chiffres abattent presque autant que leurs armes. Pourquoi mettre un C majuscule à Conquista ? 

Pourquoi en mettre un à Colonisation ? Et les majuscules à Sainte Inquisition ? Et celle de la Shoah ? A-t-on lieu d’être si fier de tout ça ? 

Le serpent blanc est revenu et les Indiens sont morts.

 

On ne fait pas Hamlet sans casser Dieu.
William Shakespeare