La mort qu’on nous cache

La peur de la mort ? Elle provient surtout des efforts pour la cacher, la travestir, l’enfermer dans des mouroirs, repeindre les corbillards en couleurs pastels pour rassurer ceux qui ont peur du noir, bref, nous traiter comme si nous étions immortels. Voici une belle absurdité que je viens de relever : « Comment notre cerveau nous évite de vivre dans la peur constante de la mort ?« 
 
Notre cerveau ne fait rien de son propre chef. C’est un ordinateur. Qui a fait le programme ? Voilà la bonne question… Mais la formulation qui suit est bien différente. Pétrie de naïveté, moulée dans le parti-pris, certifiée nullissime… Pourtant à première lecture ça paraît solide. Mais en fait… Lisez plutôt.

La censure du cerveau

« Le cerveau n’accepte pas que la mort nous soit liée. Selon le chercheur Yair Dor-Ziderman, ‘Nous avons ce mécanisme primitif qui signifie que quand le cerveau reçoit des informations qui le relient à la mort, quelque chose nous dit que ce n’est pas fiable, donc nous ne devrions pas le croire.’

« Dor-Ziderman et ses collègues de l’université Bar Ilan (Israël) et du Centre de recherche en neurosciences de Lyon sont arrivés à cette conclusion en développant un test conçu pour produire des signaux cérébraux liés à la surprise. Pour le test, des volontaires ont regardé un écran pendant que les scientifiques surveillaient l’activité de leur cerveau.

Ils ont ensuite projeté des images d’un visage, parfois le leur, à plusieurs reprises sur l’écran avant de changer l’image pour un autre visage. Lorsque le nouveau visage clignotait, le cerveau produisait des signaux de surprise parce que ce n’était pas l’image que le bénévole avait prévu mentalement qu’il verrait ensuite.

Les chercheurs ont également fait apparaître des mots sur l’écran à côté des visages, et la moitié du temps les mots étaient liés à la mort, comme “funérailles” ou “enterrement”. Lorsqu’une personne voyait son propre visage avec un de ces mots liés à la mort à l’écran, le système de prédiction de son cerveau s’arrêtait et ne présentait aucun signal de surprise. » (source)

Chercheur ou philosophe ?

Ces chercheurs viennent de démontrer une évidence que la psychanalyse enseigne depuis son origine : des mécanismes protecteurs censurent les infos négatives ou dangereuses. Pas seulement celles qui sont liées à la mort. Mais voilà, on ne s’intéresse qu’à ce qu’on croit. Résultat, il y a toujours un a priori qui dicte sa loi. Quelque soit le domaine d’investigation, aussi scientifique que soit le protocole, il y a toujours quelque chose qui fausse la perspective. Voyez ce qu’il en conclut.

Cela suggère que nous nous protégeons des menaces existentielles, ou que nous pensons consciemment à l’idée que nous allons mourir, en mettant fin aux prédictions sur nous-mêmes, ou en catégorisant l’information comme concernant d’autres personnes plutôt que nous. » (source)

Le scientifique qui parle n’est pas seulement un brillant chercheur, c’est aussi un philosophe d’exception : il nous fourgue un parti-pris erroné à l’aune d’une vérité première, essentielle, définitive. D’un revers de plume, il envoie bouler la pensée existentielle et la spiritualité : « Évidemment, le cerveau ne rend pas impossible la contemplation de sa propre mortalité, comme peut en témoigner toute personne qui est restée éveillée la nuit à réfléchir au sens de la vie. » (source) Éveillé la nuit ! Digestion difficile, dyspepsie, ballonnements, et on se pose les questions existentielles entre deux ronflements ! Ce mec est un génie !!! 

Chafouin, le sournois. Son prétendu bon mot le dispense de chercher les vrais raisons de cette anomalie qui ruine sa théorie débile. Les innombrables explorateurs de la mort que sont les anciens voyants, Egyptiens, Tibétains, Mexicains, cette cohorte innombrable de peuples hautement spiritualisés qui ont consacré des vies entières à explorer l’autre visage de la mort, leur cerveau ne les a jamais dissuadé de poursuivre leur quête.

Qu’importe ? Le clown gris persiste et signe. « Mais au moins notre biologie semble savoir que rien de bon ne peut venir d’une personne qui se fixe sur l’imminence de sa mort. » (source) Bel exemple de contre-initiation. Le gars qui dit ça est persuadé d’avoir raison, de faire preuve de sagesse et de modération, et s’il est croyant, d’aller dans la voie souhaitée par le créateur.

C’est tout le contraire. Il a tort, il n’est ni sage ni modéré et il remonte à contre-courant l’évolution voulue par nos créateurs, ce qui démontre au moins ceci : il est peut-être brillant dans son domaine,j’en doute le contexte culturel et social lui est totalement étranger. Ce chercheur n’a pas d’antennes extra-sensorielles, il vit coupé du monde astral dans un bocal de labo.

Le mouton et le guerrier

Voilà le problème. La plupart des avancées scientifiques ou prétendues telles, sont le fait d’individus atones, égarés, écœurés au sens premier c’est à dire ayant subi l’ablation du cœur. Vu par ces morts vivants, le sens de la vie a quelque chose de consternant, et pour moi, inquiétant. De nombreuses sagesses traditionnelles ont enseigné les avantages, pour un guerrier de lumière, de prendre sa mort pour conseil. Vivre avec dans le viseur la perspective de sa propre mort est la clé de l’impeccabilité du guerrier.

Certes, tous les moutons humains ne sont pas nés pour devenir des guerriers. Mais justement, penser que le cerveau rend service à l’espèce en empêchant la conscience claire de notre destin mortel témoigne d’un gaillard décérébré. Pas de cœur, par de cervelle, et peut-on ajouter pas de couilles ?

Bon, j’en fais des caisses. S’il y a une chose qui m’horripile, c’est un scientifique qui assène des jugements péremptoires dans des domaines tout à fait extérieurs à son expertise. Son avis n’est pas plus autorisé qu’un autre. Le souci, c’est qu’on le croit quoi qu’il dise, juste parce qu’il est scientifique. Puissant grigri que ce label. D’où l’abus si répandu qui me révulse au plus haut point. Je me lève et je vais gerber.

Vérité divine ?

Laissez-moi revenir sur la pire assertion de notre éminent chercheur : « Notre biologie semble savoir que rien de bon ne peut venir d’une personne qui se fixe sur l’imminence de sa mort. » Ah oui ? Elle semble savoir, la biologie ? Et d’où tient-elle ce savoir-là ? A-t-elle des diplômes ? L’auteur ne se rend pas compte de sa naïveté. Prendrait-il la biologie pour une déesse ? Comprend-il que ça n’a aucun sens ? Une prosopopée de la nature, passe encore il y a cinq siècles, mais de nos jours ! Déesse ou science, il n’existe aucune entité capable de décider à notre place ce qui est bon pour nous.

Attendez voir ? Mais si, ça existe ! C’est le fameux pilote dont je vous rebats les oreilles depuis plus de deux ans. Parce que je veux bien que le cerveau prenne des dispositions et décide pour nous, mais pour ça, il lui faut un programme. Et qui fait le programme ? La déesse biologie ? Quand je dis que le chercheur fait preuve d’une grande naïveté, c’est aimable. Mais sa conclusion malheureuse me consterne et m’afflige.

Ou alors, nous sommes pilotés par nos créateurs. Ces dieux d’avant qui nous ont faits. Ils voudraient nous dire que la mort est une illusion, d’où le programme de notre cerveau. Après tout c’est la thèse de toutes les mythologies antiques et de la plupart des religions. La mort est la naissance au monde d’après. Pourquoi pas ? Croire sans y croire, telle doit être notre règle en face de ce que nous ne pouvons connaître avec une raisonnable certitude.

Les trois si

Personne n’a envie de mourir. Les êtres faibles, donc fragiles, ont intérêt à ce que leur cerveau leur cache qu’ils sont mortels. C’est seulement pour eux que le chercheur a pondu cette phrase malheureuse. Mais il oublie les êtres forts, ceux qui veulent se dépasser, ceux qui prennent la vie pour un tremplin qui doit leur permettre de rebondir et d’atteindre… autre chose, ceux-là ont tout à perdre à rester dans l’ignorance. Leur mortalité est une vraie chance d’éveil, un gage de progrès. J’ai pondu cet article il y a quelques temps, Ta mort pour conseillère. Je vous invite à le lire pour ne pas avoir à me répéter.

Tu as tout intérêt à contempler ta mort en face. Il ne s’agit aucunement de morbidité, les guerriers impeccables sont des êtres drôles, qui ne loupent jamais une occase de rigoler à gorge déployée. Quand on lit les bouquins de Castaneda ou mes propres articles, on comprend de quoi je parle. Les tristes, les rigides, les coincés, les frigides, les kéblo, les nazes et autres biscottes périmées n’ont pas un atome guerrier dans leur corps mort. Ils sont déjà morts, or ils craignent la mort plus que tout, plus que nous, et leur contagion malsaine gagne peu à peu l’ensemble de la société.

Je vais bientôt finir ma route
J’entends tout proche le Jourdain
La mort n’est rien que je redoute
J’y laisserai tous mes chagrins

Moi je me fredonne ce vieux negro spiritual chaque fois que la morosité me gagne, ou quand un souci m’accable. Ça fait toujours rigoler. Si on savait ce qu’il y a de l’autre côté, on aurait moins peur du passage. Si c’est vraiment le néant qui nous attend, pourquoi avoir peur ? On ne sentira plus rien. Et si c’est une autre vie, chouette alors ! Paradis ou pas, meilleure ou pire que celle-ci, je dis oui, oui, et oui. J’en suis.

Beau, dis. Ça t’va.

L’esprit qui ne lit pas, maigrit. Comme un corps qui ne mange pas.
Victor Hugo