La lecture de l’indianiste Alain Daniélou m’a toujours comblé. J’y reviens sans cesse. Il nous présente ici les Rishis, ou Voyants qui apparaissent régulièrement. Leur enseignement est daté, localisé, parfaitement adapté à un peuple, à des circonstances, à une époque.
Quand l’époque change, quand les circonstances sont différentes et le passé oublié, le même enseignement aura perdu sa pertinence et son utilité. Dans certains cas, il peut même devenir dangereux s’il est répété mot à mot, sans compréhension, sans intelligence, sans ouverture.
Qui sont ces Rishis dans la tradition indienne ? Voyants inspirés, guides d’un peuple, phares d’une époque ? « Certains aspects du monde physique ou métaphysique sont révélés aux hommes à des moments déterminés de la maturité de l’espèce humaine. Ces révélations sont l’œuvre des Voyants, les Rishis, qui sont des intermédiaires, des médiums doués d’une perception des niveaux supérieurs du créé. Certains sont des êtres subtils, d’autres des êtres incarnés. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
Les grandes découvertes
« De nouveaux voyants peuvent apparaître au long des cycles pour assurer le maintien de la tradition et la découverte par l’homme, au moment opportun, des secrets de la nature du monde. Les grandes découvertes sont toujours inspirées, programmées. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985 Par qui ? Frotté au polythéïsme hindou, Daniélou répondrait-il : par les Dieux ? Je ne pense pas qu’il aurait osé. Moi oui. J’ai sans cesse l’impression qu’il y a un autre pilote dans l’avion. Que je ne suis plus aux commandes. Je n’agis plus, je suis agi. Marionnette, je pirouette mais ne m’en inquiète.
Obéissance, telle est la Règle sacrée d’un médium canal. Humilité, son corollaire indispensable. Acceptation, issue de leur union.
Non pas à moi, mais gloire au Vivant qui jamais ne mourra.
(voir la devise des Templiers)
Pour transmettre ce savoir inspiré, Daniélou célèbre la parole orale et souligne les dangers de l’écrit. « L’enseignement des Rishi est une chose vivante qui permet à l’espèce de réaliser son rôle aux divers stages de son évolution. Il ne peut être transmis que par l’initiation à travers des individus qualifiés. La fixation dans des Écritures des visions, des perceptions des Voyants présente de graves risques. (Attention à Maya, l’illusion) Le livre sacré, valable pour tous les temps, est une fiction. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
Âge de ténèbres
C’est Daniélou qui souligne. Quand j’ai lu ces lignes en 1985, j’ai d’abord sursauté. Comment cet auteur ose-t-il critiquer l’écrit ? Moi qui lisais tout ce qui me tombait sous la main, j’avais du mal à concevoir que ma première source de plaisir et de connaissance puisse présenter des dangers. Ma formation de philosophe m’avait abondamment prêché le contraire. J’ai dû me désintoxiquer.
« L’écriture est un phénomène urbain, caractéristique du Kali Yuga. La fixation des enseignements de « prophètes » dans des livres considérés comme sacrés paralyse l’esprit de recherche, fixe de prétendues vérités établies et tend à opposer une croyance aveugle à la recherche de la connaissance. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
L’oral représente la vie, l’élan vital, mouvant et pertinent comme l’énergie, puissant comme l’intention, toujours en parfaite adéquation avec l’époque. L’écrit, quant à lui, fige et sclérose, paralyse et ankylose. Il impose une doxa, un diktat, une direction datée qui risque de ne plus être correctement interprétée quand les mœurs auront évoluées.
J’ai toujours considéré qu’il faut à chaque génération réécrire les livres saints, c’est pourquoi je vous ai proposé ma traduction d’un hexagramme du Yi King, d’un texte grec intitulé Le don d’Isis, et du Décalogue, avec son auto-commentaire en voix off. Les voies de Dieu sont impénétrables ? Voire. Certaines se laissent faire.
L’art d’évoluer
« La nature du savoir est d’évoluer. Comme les autres aspects de l’être humain, il connaît des périodes de progrès et de déclin. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985 En ce moment, le déclin bat son plein. Le vrai savoir est masqué par une fausse science, fille elle aussi du Kali Yuga, qui n’a foi que dans l’écrit, l’admis, l’interdit et le reproductible. Tous signes de mort.
« La fixation dans des Écritures des visions, des perceptions des Voyants présente de graves risques. Le livre sacré, valable pour tous les temps, est une fiction. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
D’où l’idée qui m’est venue de marquer les livres sacrés avec une date de péremption. Je vois ça d’ici. Ce livre est valable jusqu’au xxx. Passé cette date, sa lecture peut porter atteinte à votre intégrité psychique, mentale ou spirituelle.
Porté par l’enthousiasme des éditeurs et des libraires, mais refroidi par le scepticisme du Pape, du Grand Mufti, du Grand Rabbin, du Grand Uléma, du Grand Khan, du Dalaï Lama, du Principal Démon, du Chef Lame Deer, de Jojo le Clodo et de divers autres Paons de l’Époque,comme disent les Soufis j’ai abandonné le projet. (musique)
Loup solitaire
Il faut du courage pour se battre seul contre la meute hurlante des ignorants et des loups. Depuis le temps qu’on écrit des conneries, l’écrit aurait dû se dévaloriser tout seul. Mais ça n’a pas eu lieu. C’était compter sans le Kali Yug’ qui tout détruit, tout salit, tout abêtit. Plus que jamais, le credo de l’imprimé façonne les têtes fragiles. « Si c’est écrit, c’est vrai. » Combien de fois ai-je entendu cette contre-vérité ? Nous sommes en fin de kali-yuga, ne l’oublions pas. Si c’est écrit, si c’est imprimé, il y a de grandes chances que ce soit une contre-vérité, du moins un incompris. Seule la parole est d’or. (ah bon? musique)
Signe du déclin, l’écriture s’auto-encense et décerne des médailles en chocolat aux soutiens du système. La Tradition n’est plus enseignée, ou si elle l’est, c’est trop souvent par des ignorants qui la dénature, la déforme, la dévalorise. L’aberration gagne du terrain à chaque génération nouvelle.
Urbains et ruraux
« L’écriture a permis de substituer aux enseignements des Voyants des conceptions de réformateurs religieux ou sociaux. Présentés comme des prophètes inspirés, ils ont donné naissance aux religions du livre qui caractérisent le Kali Yuga. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
Maintenant qu’il s’est chauffé, l’ami Daniélou révèle le fond de sa pensée. J’adore. Les livres sont une contre-éducation, au sens où René Guénon parle de contre-initiation. Telles sont les marottes du Kali Yug.ainsi se prononce yuga en Inde
« La superstition de l’écrit est un obstacle au développement de la connaissance dans le domaine du savoir scientifique ou religieux. Les religions du livre ont été l’un des instruments les plus efficaces de la décadence des hommes au cours du Kali Yuga et ont été utilisées par des oligarchies urbaines, religieuses ou laïques, comme instrument de domination. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
La civilisation urbaine… J’admire l’obstination de Daniélou à désigner ainsi le mode de vie et de pensée occidentaux. C’est plus juste, car la mondialisation a rebattu les cartes. Partout dans le monde, deux modes de vie s’affrontent, deux clans divergent : les ruraux et les urbains. Pourtant, dans certaines parties du monde, les deux clans se rejoignent dans l’erreur. Le credo de l’imprimé en est la parfaite illustration.
« Prendre les textes appelés Véda, Bible ou Coran pour une expression de la réalité ou de la volonté divine est puéril et dangereux. Cela fait partie de l’anti-religion qui ramène le concept du divin à l’échelle humaine. » (source)Alain Daniélou, La Fantaisie des dieux et l’aventure humaine, éd. du Rocher, 1985
Le stable et le mouvant
Teilhard de Chardin a écrit des pages sublimes sur cette question fondamentale. Il croit que Dieu est immobile, éternellement stable, et que l’humanité évolue autour de lui dans une spirale ascendante. Chaque époque le perçoit sous un point de vue qui lui est propre, chaque temps connaît donc un aspect différent de Dieu.
A ce compte, il est dangereux de s’appuyer sur des vérités anciennes, si l’on n’a pas la certitude existentielle que ces vérités fonctionnent encore.
Seul le fantastique a des chances d’être vrai. (Pierre Teilhard de Chardin)
Rien n’est vrai à jamais. Rien n’est vrai pour tout le monde. Rien n’est vrai absolument. (source)extrait de l’article En vérité Wittgenstein, à paraître prochainement