Libres Sauvages

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Bien des traces attestent encore les civilisations qui ont précédé la nôtre. Vestiges de monuments, ruines immergées, traditions et mythes tout autour du globe. Et nous avons mille fois mieux que des traces : des lignées vivantes.

Dans les dernières jungles menacées par les bulldozers, les populations dites primitives profitent des ultimes instants de liberté que leur laissent les mutants sur leurs machines.

Ce sont les Indios d’Amazonie, les Bushmen d’Afrique, les Tongouzes de Sibérie, les Papous de Nouvelle-Guinée, les Inuits de l’Arctique ou les Aborigènes d’Australie. Ils sont en sursis, nul ne sait pour combien de temps encore, juste maintenant, alors que leur mode de vie n’a pas changé depuis des millénaires.

On les appelle des primitifs, je préfère dire des sauvages. C’est plus noble. Nous autres qui ne sommes plus sauvages, nous sommes domestiqués. Maintenant que les hommes domestiques ont salopé leurs coutumes et leur habitat, il serait temps d’apprécier les sauvages pour ce qu’ils sont : les derniers des hommes libres.

La langue de bois politiquement correcte qui sévit voudrait bannir le mot « primitif » jugé dévalorisant. Et si c’était le contraire ? Il y a trois siècles, J.J. Rousseau affirme que l’homme est naturellement bon et que c’est la société qui le corrompt. Cette thèse est restée célèbre sous le nom de mythe du bon sauvage. Mythe ? Sobriquet tantinet moqueur. Pour tout bon philosophe bien carré, bien côté droit, le mythe fait rire. Dommage.

« Ab origines »  signifie en latin « dès l’origine ». Les aborigènes ou abos sont ceux des origines. D’ordinaire, on réserve ce terme aux natifs des terres australes. Les abos d’Australie représentent une des plus anciennes lignées humaines qui est restée inchangée depuis 10.000 ans, donc peu après le déluge. Coureurs de pistes, ils pratiquent un puissant chamanisme et le culte de l’unité avec la terre et le cosmos. 

 

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Chaque geste de leur vie quotidienne est pénétré de respect pour la Terre, notre mère sacrée. Pour rencontrer de vrais abos croqués sur le vif dans un vrai journal de voyage, on lira avec profit Marlo Morgan et son initiation auprès de ces êtres d’exception.

Ou mieux encore, on dévorera Le Chant des pistes de Bruce Chatwin, un superbe boute-au-rêve, un carnet de voyage magique aux confins de la vie sauvage et de la déglingue. Dépaysement total. Des chamanes déjantés chantent leur chemin dans le désert, des guerriers aux pieds poudreux font surgir la Terre du Rêve dans un climat de fin du monde…

Le désert du Kalahari en Afrique du Sud, est l’un des plus arides du globe. Jusqu’à une époque récente, il abritait une population authentiquement primitive, les Bochimans ou Bushmen.

Une célèbre encyclopédie leur torche cette oraison funèbre : « Les Bushmen n’ont adopté ni l’agriculture, ni l’élevage ; ils vivent de chasse et de cueillette comme avant le Néolithique. Pour cette raison, ils disparaissent en tant que groupe, sous la pression des hommes aux techniques plus avancées qui les entourent. » (source)Encyclopedia universalis

Surtout depuis qu’un film à succès leur a été consacré, Les Dieux sont tombés sur la tête. Les Dieux, ou les touristes ? « Le tourisme, c’est le déplacement des imbéciles » écrivait Pierre Daninos au début du siècle dernier. Comique visionnaire !

A l’époque, le tourisme se limitait aux plages de l’Hexagone plus celles de la Costa Brava. Gilbert Trigano n’avait pas encore développé son Club Med ni Jacques Maillot ses Nouvelles Frontières.

 

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Les grands voyages étaient l’affaire des missionnaires. Ou des explorateurs. On était alors persuadé  -beaucoup le sont encore- que les sauvages étaient les hommes d’autrefois, des primitifs restés à l’écart de toute civilisation.

La même erreur est souvent commise à propos des forêts dites primaires. Qu’on ne s’imagine surtout pas qu’elles viennent en droite ligne du Crétacé ou du Mésosoïque. Avant ces forêts primaires, il y a eu des déserts, des mers, des montagnes, parfois les trois, au fil de éons. Le temps, que voulez-vous, ça dure…

Nos pseudo hommes primitifs n’ont pas toujours couru cul nu dans la garenne. Jadis, ils étaient bien rasées, bien peignés, le cou coincé dans des cravates préhistoriques ils allaient pointer dans les bureaux climatisés des Anounnaki. Et d’autres descendaient au fond des mines d’or ou d’uranium, pas du tout climatisées. 

Les Africains, notamment, que les blancs prennent pour des sauvages, appartiennent au plus ancien peuple civilisé de la planète.

Il y a 200.000 ans, une mégapole s’étendait dans la province de Maputo, Mozambique, Afrique.

Un jour prochain, le monde entier reconnaîtra les torts sans nombre commis à l’égard du peuple africain. Il est grand temps.

Les traits négroïdes des têtes géantes Olmèques, en Amérique centrale, posent la question lancinante du passé inconnu de l’Afrique. Je l’ai abordée dans plusieurs articles qui apportent un éclairage rare sur le sujet. Les populations noires non négroïdes de l’Inde, de l’océan Indien et de l’Océanie sont riches aussi d’un passé civilisé, très développé, au sein de sociétés rigides, à l’organisation de fourmilières, où le travail était la condition nécessaire de la survie. Mais non suffisante…

 

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Tous ces peuples, nos primitifs actuels, sont retournés à l’état de nature qui leur a paru préférable au travail dans les mines. 

Les chasseurs-cueilleurs sont peut-être tous d’anciens cultivateurs de soja transgénique préhistorique. Le phénomène de retour à la nature, into the wild, le recours à la nature nous sera sans doute indispensable dans un proche avenir. 

On n’aura pas le choix, d’ailleurs… Mad Max, nous voici.

Mère Terre première, vois ce qu’ils ont fait de tes enfants des villes…
Toi qui vois la beauté de tes enfants des bois.

 

Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages. Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts, Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages. L’air qu’ils boivent ferait éclater vos poumons. (Jean Richepin)