Renaissance des Poètes

 

En France il est un siècle hanté de poésie
Je n’en connais aucun qui l’égale ou dépasse
Pour la douceur bénie, la tendresse et l’audace
La Renaissance en grâce ailée de frénésie

Je suis tombé conquis quand j’étais à l’école
Par Du Bellay, Ronsard et par La Boétie
Ils m’ont émerveillé par leurs chants que voici
D’un cœur qui fait vibrer l’air où l’esprit s’envole

Comment ne pas citer dans ma saga d’Éden
Les vers que je préfère et les rimes lointaines
Des géants qui m’ont fait goûter au paradis?

Comment puis-je étouffer cette émotion pérenne
Née d’un si beau printemps où la rime était reine
Donnant à leurs élans touchantes mélodies?

XS – sonnet – Hommage au 16e siècle

 

 

Heureux qui comme Ulysse

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.

Joachim du Bellay, 1557

 

 

 

À Vénus 

Ayant après long désir
Pris de ma douce ennemie
Quelques arrhes du plaisir,
Que sa rigueur me dénie,
Je t’offre ces beaux œillets,
Vénus, je t’offre ces roses,
Dont les boutons vermeillets
Imitent les lèvres closes
Que j’ai baisé par trois fois,
Marchant tout beau dessous l’ombre
De ce buisson que tu vois
Et n’ai su passer ce nombre,
Parce que la mère était
Auprès de là, ce me semble,
Laquelle, nous aguettait
De peur encores j’en tremble.
Or je te donne des fleurs
Mais si tu fais ma rebelle
Autant piteuse à mes pleurs,
Comme à mes yeux elle est belle,
Un myrthe je dédierai
Dessus les rives de Loire,
Et sur l’écorce écrirai
Ces quatre vers à ta gloire
« Thénot sur ce bord ici,
A Vénus sacre et ordonne
Ce myrthe et lui donne aussi
Ses troupeaux et sa personne. »

Joachim du Bellay, 1555

 

Comme on voit sur la branche

Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose,
En sa belle jeunesse, en sa première fleur,
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose;

La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur;
Mais battue, ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt, feuille à feuille déclose.

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort, ton corps ne soit que roses.

Pierre de Ronsard, Amours, 1560

 

 

 

 

Les roses de la vie

Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise aupres du feu, dévidant & filant,
Direz, chantant mes vers, en vous esmerveillant,
Ronsard me celebroit du temps que j’estois belle.

Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Desja sous le labeur à demy sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille resveillant,
Bénissant vostre nom de louange immortelle.

Je seray sous la terre: & fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendray mon repos ;
Vous serez au fouyer une vieille accroupie

Regrettant mon amour & vostre fier desdain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dés aujourd’huy les roses de la vie.

Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578

 

 

Mignonne, allons voir si la rose

À Cassandre

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au Soleil,
A point perdu ceste vêprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.

Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ! ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !

Donc, si vous m’en croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Pierre de Ronsard, Les Odes, 1575

 

 

 

 

Chanson

À Claude Bectone, Dauphinoise.

Si Amour n’était tant volage
Ou qu’on le pût voir en tel âge
Qu’il sût les labeurs estimer,
On pourrait bien sans mal aimer.

Si Amour avait connaissance
De son invincible puissance,
Laquelle il oitentend tant réclamer,
On pourrait bien sans mal aimer.

Si Amour découvrait sa vue
Aussi bien qu’il fait sa chair nue,
Quand contre tous se veut armer,
On pourrait bien sans mal aimer.

Si Amour ne portait les flèches
Dont aux yeux il fait maintes brèches
Pour enfin les cœurs consommer,
On pourrait bien sans mal aimer.

Si Amour n’avait l’étincelle,
Qui plus couverte et moins se celle,
Dont il peut la glace enflammer,
On pourrait bien sans mal aimer.

Si Amour, de toute coutume,
Ne portait le nom d’amertume,
Et qu’en soi n’eût un doux amer,
On pourrait bien sans mal aimer.

RÉPONSE
Si chose aimée est toujours belle,
Si la beauté est éternelle,
Dont le désir n’est à blâmer,
On ne saurait que bien aimer.

Si le cœur humain qui désire
En choisissant n’a l’œil au pire,
Quand le meilleur sait estimer,
On ne saurait que bien aimer.

Si l’estimer naît de prudence,
Laquelle connaît l’indigence,
Qui fait l’amour plaindre et pâmer,
On ne saurait que bien aimer.

Si le bien est chose plaisante,
Si le bien est chose duisante,convenable
Si au bien se faut conformer,
On ne saurait que bien aimer.

Bref, puisque la bonté bénigne
De la sapience divine
Se fait charité surnommer,
On ne saurait que bien aimer.

Bonaventure Des Périers, 1532

 
 
 
 

En un petit esquif

En un petit esquif éperdu, malheureux,
Exposé à l’horreur de la mer enragée,
Je disputais le sort de ma vie engagée
Avec les tourbillons des bises outrageux.

Tout accourt à ma mort : Orion pluvieux
Crève un déluge épais, et ma barque chargée
De flots avec ma vie était mi-submergée,
N’ayant autre secours que mon cri vers les Cieux.

Aussitôt mon vaisseau de peur et d’ondes vide
Reçut à mon secours le couple Tindaride,
Secours en désespoir, opportun en détresse ;

En la Mer de mes pleurs porté d’un frêle corps,
Au vent de mes soupirs pressé de mille morts,
J’ai vu l’astre besson des yeux de ma Déesse.

Théodore Agrippa d’Aubigné, Hécatombe à Diane,1574

 

 

Hélas ! combien de jours

Hélas ! combien de jours, hélas ! combien de nuits
J’ai vécu loin du lieu, où mon cœur fait demeure !
C’est le vingtième jour que sans jour je demeure,
Mais en vingt jours j’ai eu tout un siècle d’ennuis.

Je n’en veux mal qu’à moi, malheureux que je suis,
Si je soupire en vain, si maintenant j’en pleure ;
C’est que, mal avisé, je laissai, en mal’heure,
Celle-là que laisser nulle part je ne puis.

J’ai honte que déjà ma peau décolorée
Se voit par mes ennuis de rides labourée :
J’ai honte que déjà les douleurs inhumaines

Me blanchissent le poil sans le congé du temps.
Encor moindre je suis au compte de mes ans,
Et déjà je suis vieux au compte de mes peines.

   Étienne De La Boétie, 1555

 
 
 
 

Je vis, je meurs

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé, Sonnets, 1555

 

 
T’es con et t’es méfiant. Parce que tu ne me crois pas quand je te dis que t’es con.
Michel Audiard