À dos de griffon

 

Je m’appelle Kivanu. Je suis né sur Terra, troisième planète du système de Ra. J’ai grandi parmi les fées des prés et des forêts, comme tous les enfants de Terra. J’ai reçu mon premier griffon à 8 ans, l’âge de monte. Aussitôt reçu, je l’ai enfourché. Il a poussé un long cri rauque et nous nous sommes envolés. Depuis lors, Duc d’Air et moi, nous sommes inséparables.

 

Duc d’Air et moi

Comme la plupart d’entre vous, je vis sans contrainte aucune. Je me baigne dans les torrents fougueux ou dans les ruisseaux caressants. Je vole avec Duc d’Air, on joue à saute-étoiles et au mur de feu. J’ai des graines de soleil plein les poches pour les semer au hasard de nos courses. J’en cache des milliers de toutes variétés dans les fontes de mon griffon vaillant.

Jamais il ne se cabre, jamais il ne bronche au risque de me tuer. Je ne l’entends ni rugir ni feuler. Il est toujours prêt pour une escapade. Jamais lassé, jamais rompu, il m’a mené par tous les temps, de l’automne au printemps, et j’en suis bien content.

 

Premiers Frissons

Et puis une belle fille m’a changé les idées. Elle s’appelle Reine. J’ai connu les premiers frissons d’amour à l’âge de 15 ans, comme il se doit. Agenouillé près d’elle, j’ai étendu mes mains au-dessus de son ventre et j’ai chanté très doucement la prière en prélude à la première étreinte et les gestes rituels que les fées m’avaient enseignés. 

Sainte Mère de tout ce qui vit, bénis ce corps que je vais prendre. Rends-le semblable au corps du nourrisson et rends-moi digne de son amour.

Je me suis allongé près d’elle pour qu’elle me rende la pareille. Et j’ai connu Reine en rendant grâce à Notre Dame.

Ainsi vont les choses et la vie par ici. Ma vie pareille à celle des garçons et des filles aux jardins de Terra. Je n’ai rien de spécial, rien ne me distingue des autres, rien ne me destinait à vivre la vie rare que les fées m’ont donnée.

 

 

La Druidesse Éphémère

Ainsi se nommait-elle. Du moins l’ai-je cru longtemps. Douce et tendre avec les petits, elle était cassante avec les grands. Mais tous elle les aimait pareil. J’ai connu la Druidesse au cours d’une incursion dans sa réalité. Mon griffon m’y avait mené. Avec ou sans lui, j’y retourne souvent. À cet endroit la vie ne finit pas. Ma Druidesse avait juste mon âge. Du moins l’ai-je cru longtemps. Au pays des fées le temps tourne au ralenti. Et mon corps a vieilli quand les fées sont parties.

Magie de mon enchanteresse. Je l’écoutais pendant des siècles. Son enseignement m’est un baume et déjà sa voix me guérit. Non que je sois malade. Je souffre seulement du même mal que vous tous. Je trimballe la malédiction du programme, comme les autres robots de maintenant. J’entends les sons, pas le sens. Je comprends autrement que la plupart des gens. Si ce défaut m’a joué de vilains tours, il m’a aussi rendu de grands services.

Elle ne vieillissait pas. Son corps restait le même et toujours différent. Au palais de mon cœur, ma druidesse était reine. L’amour nous a donné de très nombreux enfants. Duc d’Air avait grandi. Il pouvait emporter quatre enfants sur son dos, deux sur son encolure et d’autres s’accrochaient à sa queue en riant. Mon griffon glapissait de joie en s’envolant. Les gamins s’enivraient de ciel pur et de vent. Ma reine était heureuse et moi j’étais content.

Rien ne dure ici-bas, même au pays des fées. J’avais l’art de guérir et j’ai tout essayé. Malgré tous mes efforts, ma reine a succombé. La tristesse a gelé mon cœur d’un éternel hiver. Au moment de sa mort, dans son dernier regard, j’ai compris son vrai nom : DFM. Druidesse et Fée Mère.

 

Mots de sa bouche aimée

Triste mal des robots ! Je ne peux me résoudre à dire bot, que je m’obstine à prononcer beau. C’est idiot. Beaux ces zombis ne le sont guère. Ils concentrent en eux la laideur d’un corps mort. Leurs élans les plus vifs ne sont que léthargie. Adieu, je suis parti. Je suis re-né pour constater que le monde était un grand cimetière sous la lune. Cette odeur de charogne a de quoi foutre en rogne. Pas trop de mes deux pognes pour me boucher la trogne. Alors je suis re-mort sans le moindre remord.

Que disait-elle ? Paroles d’or pur, gestes des mains, dernier refrain, on se verra demain. Il est un monde où rien ne meurt. J’y passais des journées, des nuits et des années. Quand on vit chez les fées, on ne voit pas le temps passer. Ironie de se dire éphémère quand on vit si longtemps ! On n’est pas mortel quand on est éternel. La Druidesse amour et tendresse a vécu cent vies à chaque instant. J’en ai connu autant et j’en suis bien content.

Perdu le paradis où ma Druidesse était chez elle. Mais le chemin existe, il suffit d’y aller. Nul ne me force à vivre ici. Sans quitter le présent, je vis dans d’autres temps, excitants, déroutants. D’autres lieux pour les yeux. Bateleur indécent, voyageur amassant les photos du passé, j’aime assez traverser les fossés du pathos que le doute a creusé pour nous emprisonner. Il est assez rusé pour nous empoisonner.

Je meurs et je renais cent fois dans la journée. Je ris et je m’ennuie quatre-vingt fois par nuit. Au soleil d’un ciel gris, je pleure et je souris.

 

 

L’humain

L’humain sans paradis
Son éden interdit
Qui possède en son corps
Un fabuleux trésor
Ce malheureux s’entête
À vivre dans sa tête

L’humain sort de son cocon
Il ne se prend plus pour un con
L’un après l’autre il a cassé
Les tiroirs du prêt-à-penser

 

Croyances

Je suis comblé de biens immatériels. L’œuvre que j’accomplis m’emplit. Mais sans ton amour, je ne suis rien. Mon corps s’évanouit comme ombre dans la nuit.  Ô mère éternelle, accorde-moi la vie longue assez pour écrire encore et chanter sans fin les mots de l’autre monde. J’y vis le plus clair de mon temps.

Car nous y séjournons durant notre sommeil. Sans un souvenir au réveil. Le voile d’Isis est une seconde paupière plus opaque que la première. Ô très sainte et très sacrée mère de ce monde et de tout ce qui erre dans l’air, sur le sol et dans les profondeurs, ô toute puissante génitrice, femme divine, Notre Dame des Fécondités, accorde-moi de transmettre la joie où tu m’as élevé.

Que mes paroles soient les tiennes afin que vivent dans le cœur de mon peuple la félicité et la lumière qui t’appartiennent. Ô Ana, ô Ama, ô Isis, ô Gaïa, que vienne ta puissante main pour ôter le bandeau de la face humaine ! Les temps sont venus m’as-tu dit. Que la Paix qui est tienne s’incarne en tes enfants. Vois comme ils sont perdus loin de toi. Daigne aviver ta flamme à nouveau sur Terra.Voir l’image ci-dessus et sa légende

 

 

Ma prière

Je prie pour que nos cœurs s’ouvrent à ton Amour, à ta Sagesse et à ta Grâce, par la Toute Puissante Galaxie, par le Grand Central et par son Trou Noir qui l’anime, centre immobile, axe de la spirale amoureuse, par les myriades de Galaxies comme la nôtre et plus vastes encore en cet univers de lumière et par l’infinité du multivers de vie.

Sans ton amour le plus sage ne sait rien. Le plus magique ne comprend rien. Le plus actif ne fait rien. Le plus pénétrant reste à l’extérieur. Le plus rapide est immobile. Le plus digne ne vaut rien. Le plus courageux s’enfuit en tremblant. Ô conscience infinie dont se nourrit l’esprit, tu es l’amour qui prélude à la vie. Tu es désir éternel qui donne envie de vivre encore et de chanter l’immensité à ton image, toi qui avant le temps vivais déjà, avant l’espace, avant les étoiles, avant les soleils, avant les comètes et les planètes, avant Terra.

Sœur de l’aube lointaine, tu étais déjà là quand Terra née de toi n’était encore que du feu et des eaux, la fureur des éclairs, des secousses et des tremblements. Et quand le jour viendra où ma vie finira, Ô marraine des existences, puisses-tu m’appeler près de toi.

 

Griffonnages

« Le griffon apparaît en Élam à la fin du IVe millénaire av. J.-C. et en Égypte vers -3000, avec un corps de lion, une tête et des ailes d’aigle. Tout au long de l’histoire antique, cette forme première ne cesse d’être nuancée par divers apports iconographiques, notamment dans les cultures mésopotamienne, grecque puis romaine. Le griffon se voit souvent associé aux divinités et héros locaux (Gilgamesh, Seth, rois égyptiens, Apollon, Dionysos, Éros ou encore Némésis).

Le griffon est un animal à quatre pieds, quoiqu’il ait des plumes. Il est en tout semblable au lion, si ce n’est qu’il a la mine d’un aigle ; mais ceux qui avaient vu de ces rucs assuraient constamment qu’ils n’avaient rien de commun avec tous les autres animaux, et qu’ils n’avaient que deux pieds comme les autres oiseaux. »  (source)https://fr.wikipedia.org/wiki/Griffon_(mythologie)

Ce texte est de la plume de Marco Polo, dont on peut douter de l’honnêteté et de la véracité de ses écrits. En effet, son ouvrage majeur intitulé Le Livre des Merveilles raconte son long voyage en Chine, qui s’appelait encore Cathay. Il y décrit de nombreuses merveilles dont il n’a manifestement pas été témoin. Il est censé avoir passé plusieurs années près du Grand Khan, persona grata de sa cour impériale. Il aurait parcouru une grande partie du territoire chinois, et s’agissant de la nourriture, il énumère quelques plats fantaisistes mais jamais il ne mentionne l’aliment de base, le riz.

 

 

À lui seul, cet oubli jette un voile d’incrédulité sur son prétendu voyage. Il se serait arrêté du côté de Samarkhand et, en fait de voyage en Chine, il aurait compilé quelques récits de voyageurs asiates dont il aurait fait connaissance. Je souligne son emploi du mot ruc pour désigner le griffon. Il s’agit de l’oiseau-roc très présent dans la littérature persane, notamment dans les Mille et Une Nuits. A-t-il confondu ce grand aigle d’orient avec le mythique griffon ?

 

Au cinquième jour de La Sepmaine, le poète gascon Guillaume du Bartas le décrit ainsi :

« L’Indois Griffon aux yeus estincelans,
A la bouche aquiline, aux ailes blanchissantes,
Au sein rouge, au dos noir, aux griffes ravissantes,
Dont il va guerroyant et par monts et par vaux
Les lyons, les sangliers, les ours, et les chevaux :
Dont il fouille pillard le feconde poictrine
De nostre bisayeule, et là dedans butine
Maint riche lingot d’or, pour apres en plancher,
Son nid haut eslevé sur un aspre rocher :
Dont il deffend, hardi, contre plusieurs armees
Les mines par sa griffe une fois entamees ».  (source)https://fr.wikipedia.org/wiki/Griffon_(mythologie)

 

Guillaume du Bartas ne prétend pas avoir vu cet animal magique. Il ne fait que rassembler les croyances qui s’y rapportent. Bartas nous apprend que cet animal vit en Inde : l’Indois Griffon. Mais il semble le confondre avec le dragon : le griffon plancherait-il son nid avec maint riche lingot d’or ? À ma connaissance, c’est le dragon qui dort sur un tas d’or. Et certains canards, si l’on croit Disney et son détestable Onc Picsou.