Quand la mort vient

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La mort, seuls les vivants en parlent. Et par définition ils n’y connaissent rien. Le jour où Pandore ouvrit sa boîte, tous les maux en sortirent pour s’abattre sur nous, dit Hésiode. Tous les maux sauf un seul : l’espoir.

Ce serait donc une calamité, cet espoir dont les Chrétiens ont fait une vertu théologale ? Il paraît que oui. En tout cas, si nous n’avons pas d’espoir, c’est grâce à Pandore. Les vertus théologales,  pour les Catholiques Romains, sont les vertus les plus importantes pour assurer le salut de l’âme. Il y en a trois, la foi, l’espérance et la charité. Mais la mort dans tout ça ?

La mort est jaune citron et sent la vanille
– Vous êtes sûr de ça ?
– Je prends les paris ! (source)Jean Rochefort, Le mari de la coiffeuse

Anthropologue, ethnologue et philosophe français, Claude Lévi-Strauss, né à Bruxelles le 28 novembre 1908, nous a quitté le 1er novembre 2009, à l’âge de cent ans. Il est l’un des fondateurs du structuralisme. Son best-seller, Tristes Tropiques, n’a pas fini de nous interpeler. Comme Einstein, Claude Levi-Strauss était connu de tas de gens qui ne l’avaient jamais lu. Mais il le vivait bien. « Tant qu’on ne me confond pas avec les pantalons ! » blaguait-il. A la fin de sa vie, cependant, l’espoir se refusait à lui. Victime du syndrome de Pandore, le grand homme n’avait plus le cœur à rire.

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« Ce que je constate, ce sont les ravages actuels. C’est la disparition effrayante des espèces vivantes, végétales ou animales. Du fait  de sa densité, l’espèce humaine vit sous un régime d’empoisonnement interne. Et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n’est pas un monde que j’aime. » (source)Claude Lévi-Strauss dans sa dernière interview télévisée encore visible sur le web 

Terrible testament… Et l’astrophysicien télévisuel Hubert Reeves en remet une couche. « La terre est infestée d’humains », écrit-il. Infestée ! Comme si nous étions de la vermine, des rats ou des cloportes.

N’est-ce pas une infâmie De voir la race humaine Dans une telle course de rats ?

Bob Marley

Il y a des grands esprits qui, en fin de vie, expriment leur refus du monde et des hommes, quand d’autres restent confiants jusqu’au bout.

Il n’y a pas de pessimistes, il n’y a que des optimistes bien informés.

Patrick Timsit

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Peu de temps avant sa mort, j’ai rencontré André Franquin, un grand artiste habité d’amertume et d’humilité. Auteur belge francophone de bande dessinée, Franquin a repris Spirou et Fantasion, il a créé Champignac, Gaston et le Marsupilami. A la fois gagman de génie et dessinateur prodige, il nous a quitté en 1997. Le 9e art, inconsolable, porte son deuil depuis lors.

Des plantes grasses aux formes improbables avaient colonisé son salon bruxellois. « Elles m’ont inspiré plusieurs gags des Idées noires « , confia-t-il avec son demi sourire. Chez lui, tout respirait la sympathie, la gentillesse, l’humilité.

craignez-la-derniere-200poAu soir de sa vie, après plusieurs crises dépressives qui l’avaient gêné dans son travail pour Spirou, André Franquin avait quitté l’humour potache de Gaston et du Marsupilami pour exprimer sa face ténébreuse. Publiées par Fluide Glacial, ses Idées Noires sont un des sommets du Plat Pays. Lui non plus, à la toute fin, ne se sentait plus chez lui sur cette terre. Or la terre est ce que l’homme en fait. Ces temps-ci, ce n’est pas brillant, en effet. Mais bon, que ce constat ne soit pas une excuse pour baisser les bras. La terre a besoin des hommes. Il serait peut-être temps de nous souvenir à quel point nous avons besoin d’elle.

Ce n’est pas l’espoir qui nous manque, mais la réussite. Tous les maux sont sur nous, la belle affaire, on l’avait remarqué depuis le temps que ça dure. Il y a quelque chose qu’on peut faire, un grand projet, un challenge à réussir ensemble, unis sur terre.  

Quand la mort vient, il n’est pas rare de voir l’être humain, célèbre de préférence, céder à un pessimisme parfois pathétique. Quoi ? Ces grands hommes ont vécu toute une vie guidés par des principes, un idéal, une morale généreuse et positive, comment peuvent-ils se laisser aller à l’angoisse ? Ils sont excusables, nous le sommes tous qui agissons ainsi. Cette société a banni la mort, elle en a dissimulé tous les traits déplaisants, toutes les rides, jusqu’à la moindre trace. Nos religions font de moins en moins recette et ne peuvent donc nous préparer à l’ultime échéance. Elles se gardent bien d’en parler. Personne, à vrai dire, ne semble s’en soucier. 

Tout le monde fait comme s’il était immortel. Quand d’aventure un héros national vient à mourir, sportif, cinéaste, acteur, chanteur ou autre enfant chéri des médias, tout le monde est inconsolable – pendant un jour ou deux. La mort n’existant pas, les morts non plus. Tout va de plus en plus vite, une actualité chasse l’autre, on enchaîne, on passe à autre chose. 

Et vogue le navire, circulez, y a rien à voir. Où est cachée la mort ? Ne la cherchez pas sous le tapis, non, elle dort dans nos poumons, chaque fois que nous respirons nous l’entendons gémir.  

Castaneda nous donne le conseil ultime : prends ta mort pour conseiller. Accepte que tu es mortel. Apprends à ressentir la présence de ta mort, qui ne te quitte jamais ta vie durant. Elle attend son heure, ta mort est ton double, toujours deux pas derrière toi, un peu à ta gauche. Ta mort est ton double, te répète le chamane. La mort est ta moitié. Si tu l’ignores, tu ne seras jamais ce que tu es : une graine divine. Si le grain ne meurt, le blé ne poussera pas. 

La mort est une autre naissance.  Nous sommes des esprits engagés dans un monde matériel. La vie n’est pas limitée à la matière. L’éternité qui est en chacun de nous ne demande qu’à éclore et gagner la terre entière. Cherche-la au creux de l’instant. Ne l’attends pas après la mort si tu ne l’a pas côtoyée dans la vie.

Mourir à soi-même, renoncer, lâcher tout, pour la grande aventure de l’au-delà. La petite mort, nous la vivons chaque nuit. Dormir, c’est mourir un peu. Il faut savoir sans fin mourir à soi-même pour faire page blanche, soigneusement, chaque matin. Renaître de ses cendres comme le phénix des légendes. La grande mort, c’est l’arcane XIII, le grand nettoyage de printemps, la mort du vieil homme, la mort de l’Adam Kadmon pour que renaisse l’Osiris.

Amen, alleluya, mitakuye oyasin.  

Nous sommes faits de la même matière que les rêves et nos courtes vies sont bordées de sommeil.
William Shakespeare