La grande guerre

On l’appelle la Grande Guerre, pas à cause de sa noblesse, mais de son atrocité. Ce fut aussi la Guerre des Tranchées, parce que les Poilus se sont enterrés vivants dans un réseau de galeries, et j’ajouterai aussi à cause des gorges tranchées, des membres coupés, des corps en tranches.

« Après la bataille de la Marne et la course à la mer, la guerre devient une guerre de position, situation qui devait durer jusqu’en 1918. De Nieuport en Belgique à la frontière Suisse s’est développé, sur plus de 600 km, l’un des systèmes défensifs les plus complexes et aboutis qu’ait connu le monde, sur deux lignes de fortification continues et quasi inexpugnables défendues par des millions d’hommes. Aux tranchées de surfaces correspond un réseaux de galeries souterraines, pour abri ou guerre des mines, véritable termitière humaine dont certaines parties sont même équipées d’éclairage électrique et de systèmes de ventilation. » (source) 

En 1914, à l’orée d’un conflit qui allait se révéler le plus atroce et le plus meurtrier dont notre humanité ait gardé le souvenir, mon grand-père Alexandre Bailleux de la Jonchère allait trouver la mort près de Verdun, sur le Chemin des Dames de sinistre mémoire. Mort au champ d’honneur n’est pas l’expression qui convient. Je dirais plutôt massacré dans un abattoir à ciel ouvert. Pour qu’on y monte plus facilement…  Alexandre laissait derrière lui une très jeune veuve de 16 ans, Marguerite, enceinte de Loulou, ma mère. Elle n’a pas connu son père génétique, puisque Alexandre est mort cinq mois avant la naissance de sa fille unique. Mais son souvenir est resté très présent dans la maison de mon enfance où trônaient plusieurs portraits du héros, dont un que j’ai encore. Il a été peint post-mortem, d’après photo, et l’artiste l’a dédicacé « A mes chers cousins ». C’est en souvenir de ce grand-père inconnu et si présent que je dédie ces quelques lignes, avant qu’on l’oublie tout à fait, ce qui est notre sort à tous et à toutes. Adieu, Alexandre Bailleux. Le fils de Loulou vous bénit.

Déjà la pierre pense où votre nom s’inscrit
Déjà vous n’êtes plus qu’un mot d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri
 (source)Louis Aragon, « La guerre, et ce qui s’ensuivit », 1956, in Le Roman Inachevé.© Éditions Gallimard. 

 

1914-1918 : 10 millions de morts et 20 millions de blessés

La moitié des jeunes Français nés en 1894 et donc âgés de 20 ans en 1914 ont disparu à l’issue du conflit. On compte dans l’armée italienne 750 fusillés pour l’exemple, entre 600 et 650 dans l’armée française, 330 dans l’armée britannique, 48 dans l’armée allemande. On compte environ 300.000 «gueules cassées» en Europe dont 15.000 en France. Le bilan humain du conflit s’élève à 9,5 millions de morts ou disparus dont 1,4 million Français, 2 millions Allemands et 1,8 million Russes. 73,3 millions d’hommes sont mobilisés. 48,2 millions par les puissances alliées dont 7,9 millions Français, 8,9 millions Britanniques et 18 millions Russes. 25,6 millions par les puissances centrales dont 13,2 millions Allemands et 9 millions Austro-Hongrois. On estime à environ 1 milliard, le nombre d’obus tirés par les belligérants pendant les quatre années du conflit. 15% d’entre eux n’auraient pas explosés et sont accusés encore aujourd’hui de polluer les sols et les eaux. En France, terrain majeur du conflit, 3 millions d’hectares sont déclarés impropres à l’agriculture. La raison: la présence dans le sol d’obus et de balles mais également de cadavres humains ou animaux. (source)

La réponse mon ami t’est soufflée par le vent.
Bob Dylan