Karl Marx et son double

 

Le très sérieux Karl Marx tient le devant de la scène historique, mais que cache-t-il derrière lui ? Son double. Un être utopiste et délirant, haut en couleur et vert de rage. Le monde que Marx attend n’est pas pour demain. Mais pour après-demain, qui sait ? J’ai toujours vu en lui un philosophe du 22e siècle qui a eu la malchance d’être né trois siècles trop tôt. Ou de ne pas avoir vécu 300 ans… 

 

Sa vie, son œuvre

Quand je parle de vivre trois siècles, ce n’est pas une vanne. Un biologiste a affirmé que les humains qui vivront plusieurs siècles sont déjà nés. Soyez tranquille, il n’y a aucun Karl Marx dans le nombre. Des Musk et des must, bien entendu. Des Macro, des Macron, ceux qui parlent pour ne rien dire. Comme d’hab, les microns n’ont pas droit au micro.

Et c’est ça qui le débecte, tonton Marx. Ça le défrise — même si ça ne se voit pas sur ses photos. Issu d’une famille aisée, ça ne l’empêche pas de souffrir avec les exploités, les oubliés de l’industrialisation. Tous ceux sans qui elle n’aurait pas eu lieu. Aussi sent-il sur son épaule la mainmise du grand capital.voir plus loin Pour lui, c’est une prise de conscience qui va déterminer toute sa vie. Jeunot encore, il voit comme on maltraite les pauvres, les sans-grade très éprouvés au temps de Balzac et de Charles Dickens. Dans l’Europe victorienne comme dans l’actuelle, l’être passe après l’avoir. Il vaut mieux avoir du pognon qu’être grognon sans un rond. Pas de syndicat, à l’époque. Pas de retraite non plus. Les travailleurs ne vivent pas assez vieux…

Karl Marx, historien, économiste européen et théoricien révolutionnaire, naît le 5 mai 1818 à Trèves en Prusse. Il s’installe à Paris le 12 octobre 1843 et meurt à Londres le 14 mars 1883. Il est surtout connu pour son ouvrage Le Capital sorti en 1867. Comme on demandait à Charles de Gaulle ce qu’il pensait du bouquin, il aurait répondu : Le Capital ? Sans intérêt

 

Ce qu’on voit

Apparenté aux Philips fondateurs de la société du même nom, ainsi qu’à une famille de marchands propriétaires de vignobles dans la vallée de la Moselle, Marx n’étant ni fils d’ouvrier ni ouvrier lui-même, mais on voit tout le mérite qu’il a de vivre avec son temps. On voit aussi qu’il ne choisit pas de s’enrichir. Chose rare à l’époque, mais encore moins fréquent de nos jours où l’on n’a plus que deux classes sociales : ceux qui ont tout reçu dans leur berceau et qui se partagent la planète, qu’on appellera les planétariens.  Et d’un autre côté, ceux qui ne sont pas de noble naissance et qui n’ont que leurs deux yeux pour pleurer, qu’on appellera les panétariens. Si t’es pas né, t’as rien.

Deux classes sociales seulement ! On voit que notre époque serait plus favorable à Marx qui est mort dans la misère abandonné de tous ainsi qu’une chimère. (source)Victor Hugo Ah non pardon, je confonds avec Nikola Tesla.

On voit aussi qu’il ne fait pas bon d’être en avance sur son temps, tous les jours je m’en mords les doigts, mais ça ne nourrit pas son homme. Est-ce que ça nourrit sa femme ? Le proverbe ne le dit pas. Parvenu à l’âge adulte, le jeune Marx tâte un peu du métier de clown avec ses frangins — ah non pardon je confonds avec Groucho.

On en a vu des machins ! On pourrait voir encore d’autres trucs mais ça suffit comme ça.

 

 

Marx Théoricien

« Plus d’un siècle après sa mort, Karl Marx apparaît bien comme le premier théoricien du socialisme scientifique — même s’il n’est pas l’inventeur de cette expression, déjà utilisée avant lui par Proudhon — et, à ce titre, comme l’initiateur du mouvement ouvrier international contemporain. Toutefois, la présentation de sa théorie n’a jamais cessé d’être l’enjeu de luttes idéologiques, donc, en dernière instance, politiques. » (source)

Il est vrai qu’on l’a mis à toutes les sauces, le pauvre Karl. Du marxisme-léninisme à l’écologie d’extrême gauche, tant de mouvements, de partis, de franges, de groupuscules ont agité sa bannière qu’on finit par ne plus rien savoir de sa pensée et de ses idées. Il est vrai que le cher homme aux cheveux fous a signé un maître livre, Le Capital, Das Kapital en v.o., qui examine de nombreux courants idéologiques sous le prisme de diverses disciplines.

Karl Marx a abordé à la fois la philosophie, la sociologie, l’analyse économique du capitalisme dans le cadre du matérialisme et de la science. Il a appliqué, toujours dans le cadre matérialiste, une analyse critique des pensées de Pierre-Joseph Proudhon, Hegel, Ludwig Feuerbach, etc. Il a donc construit une nouvelle étude des sociétés que l’on nomme conception matérialiste de l’histoire. (source)

Ça tombe mal, je ne suis pas matérialiste. Je développe quant à moi une conception spiritualiste de l’histoire. Et je ne m’intéresse à Marx que pour son double.

 

Marx Prophète

Dans le cadre éthique, il milite pour le projet révolutionnaire communiste, c’est-à-dire une société débarrassée du salariat, du capitalisme, des classes sociales, des États, et des frontières. (source)

C’est son grand projet. Mais sur ce point, Wikipédia manque de précision. Si Marx a suivi le mouvement ouvrier international, il fut le premier à écrire combien serait illusoire de créer un îlot de communisme dans un monde capitaliste. Tôt ou tard, ce mouvement isolé dans un monde hostile sera dévoré — bien vu l’ami !

Sa lucidité montre que Marx n’est pas un philosophe dépassé, mais un génie à venir. Qu’appelle-t-il de ses vœux ? Un monde débarrassé du capitalisme et de la lutte des classes. Un monde où l’argent ne serait plus une idole, une religion et le paramètre d’ajustement de toutes les politiques.

Aussi je le déclare prophète futur et christ du siècle prochain. Ce qui n’engage que moi, et encore, pas complètement.

 

 

Sur la photo

Karl Marx se la pète un peu quand même. Se prendrait-il pour Napoléon, lui qui a quitté sa Prusse natale pour vivre à Paris? Non, car sa main ne repose pas sur un ulcère à l’estomac, mais sur son portefeuille. Un bon point pour lui. Il sent sur son épaule la mainmise du grand capital, bleue comme la mort. Entre lui et son double, on voit une figure fantomatique. Elle annonce la venue d’un prophète juif, encore un, celui que Karl Marx ne manquera pas de devenir dans les temps futurs. Marx et son double désespèrent de voir leur utopie prendre forme, tant que règneront en maîtres la bourse, la spéculation, les élites gorgées de pognon, et ceux qui les protègent dans l’espoir de les rejoindre. Pas d’îlot communiste dans un monde capitaliste. C’est pourtant ce que la Russie a tenté de faire au siècle dernier. Comme Cuba, l’Albanie, la Chine et autres utopies.

 

Échec annoncé du communisme

Que reste-t-il aujourd’hui de ces tentatives vouées à l’échec par Marx lui-même ? Rien. L’URSS n’est plus, la Russie cultive des élites crapuleuses qui se gorgent de grand capital, Cuba est libre comme son cocktail, l’Albanie a ouvert ses frontières aux touristes nantis. Et la Chine… Ah la Chine et ses 6000 ans d’histoire ! Elle en a connu des révolutions, des troubles, des renversements de dirigeant, des changements de régime !

Mais dans ce très vieux pays où la tradition s’étire en longueur, les idéologies ne durent pas, surtout quand elles viennent d’ailleurs. Phagocytées par la Chine éternelle, les idées étrangères sont digérées et transformées en quelques décennies pour devenir chinoises bon teint. Comme tout ce qui est digéré et transformé, on n’en reconnaît pas grand chose. Oubliés les dazibaos de Mao Tsé Tsé. Sur les murs des grandes villes chinoises, on peut lire : ENRICHISSEZ-VOUS. Ici aussi, le communisme a vécu.

Autant de tentatives et d’échecs qui donnent raison à Marx le visionnaire. De crise en crise, d’injustice en répression sauvage, on attendra que les prolétaires de tous les pays s’unissent. Le programme est simple : mettre à bas la rapacité qui bloque l’échelle sociale, renverser la poignée de multi-milliardaires qui confisquent les richesses des nations. Tel tyran accumule en secret la quasi totalité des ressources de son pays, laissant le peuple dans la misère noire — je ne parle pas d’un pays d’Afrique. Pas seulement.

 

 

Le double de Karl

Le double de Marx n’est pas encore né. Il va venir, déjà il émerge des limbes où Karl l’a laissé. Le double de Marx est un idéaliste fou. Un christ aussi, sans doute. Il apportera la paix dont se languit le pauvre monde.

-Je ne suis pas de cet avis, dit le Double. Il faut brûler le Capital !
-Ne l’écoutez pas, sanglote Marx. Il est mon Double, la duplicité est sa nature. Le Capital est mon œuvre la plus achevée. Il ne faut pas la brûler.
-C’est donc toi qui a inventé le Capital, ses turpitudes, ses injustices, aberrations et soustractions. Pour une telle infamie, tu périras sur le bûcher. Car je suis Hachem ton dieu, sous tes pieds la terre s’ouvrira, tu finiras englouti dans le Shéol.

Ce dialogue est de source douteuse, il semble qu’il fut ajouté à la proclamation originelle au titre de 127e codicille et doit donc être rejeté.

 

Double Vue

Ainsi naquit le Double. Il dit ceci :

Bientôt l’argent n’aura pas plus de valeur que l’or. Le plomb et la pâte à modeler deviendront les nouveaux étalons où vous mettrez l’estomac des riches.L’estomac dans l’étalon ?? Chacun son tour. Ils seront les seuls pauvres dans ce nouveau monde sans argent, sans monnaie, sans fafiot, sans une thune. Le travail en sera banni. En son lieu et place, chacun s’emploiera du mieux qu’il peut à produire des œuvres, des œuvrettes, des ouvrages et ouvertures. L’économie ne sera plus utile, puisqu’il n’y aura plus rien à économiser. Le temps se passera de commentaire, on pourra donc supprimer définitivement la météo. Les lapins seront nos convives, eux dans l’assiette, nous dans la fourchette. 

Toute personne munie d’un passeport se verra dans l’obligation de passer le port. Les autres feront ce qu’ils voudront.

Dans la phase transitoire qui précédera l’avènement du nouveau mode de vie, l’argent sera distribué équitablement à chacune et son chacun. Un salaire mensuel équitable et unique sera attribué à chaque nouveau-né. En échange de ce salaire, les gens feront ce qu’ils voudront. Labourer la terre, semer des œufs, récolter les poules, fermenter le vin, faire monter la température et autres obligations prépondérantes se verront effectuées à la source. Je lui ai demandé son avis, elle est d’accord.

Les livres seront brûlés sauf s’ils sont illustrés. On devra découper soigneusement les illustrations afin de les conserver à température constante sous hygrométrie contrôlée. Ceux qui souhaitent garder leurs livres ne seront pas inquiétés ni poursuivis, sauf s’ils le désirent. Ceux qui brûleront les livres seront brûlés à leur tour, en vertu de la loi de réciprocité que je viens d’inventer.

Pour tous les autres domaines de l’activité humaine, je n’en sais rien.

 

 

Karl opine

J’ai tout lu, j’aime bien. Il n’y a pas de raison, c’est ça qui me plaît. En attendant, je vais aller brûler le Capital, car il ne contient pas d’images.

À la suite de quoi, en vertu de la loi de réciprocité inventée par son double, Karl fut brûlé en place de grève le 14 mars 1883.
Ou « à la place d’une grève » ? Ou « à la glace de Trèves » ? Le manuscrit a été brûlé, ce qui le rend peu lisible.

 

 

Faut-il pleurer ? Faut-il en rire ? Font-ils envie ou bien pitié ? Je n’ai pas le cœur à le dire. On ne voit pas le temps passer.
Jean Ferrat