Perceval le Gallois, dit Peredur en Armorique,  devait devenir le premier des chevaliers de la Table Ronde en quête du Saint Graal. Découvrir le Graal fabuleux est le destin qui devait lui échoir. Jeune homme, il ne savait rien de la chevalerie, vivant la vie simple et rurale des paysans du Moyen-Age. Il était valet de ferme au Pays de Galles, secondant fidèlement sa mère bien-aimée, qui lui avait tout enseigné. 

 

Nous allons vivre dans ces lignes sa toute première rencontre avec la chevalerie de Bretagne, sous la forme d’une troupe en arme conduite par Lancelot du Lac. C’est le passage que je préfère. Trempée dans l’encre médiévale, la plume magique de Chrétien de Troyes requérait une nécessaire adaptation, que j’ai faite avec grand plaisir. Je vous en souhaite heureuse lecture.

 

Ce fut au temps qu’arbres fleurissent,
bocages ont feuilles et prés verdissent,
que les oiseaux, en leur latin,
doucement chantent au matin
et que tout s’enflamme de joie,
quand le valet quitta sa mère
pour la Grand’ Forêt solitaire.

Il se leva, n’eut pas longtemps
à seller son cheval content,
prenant à lui trois javelots
quitta la mère en son enclos
se disant d’abord qu’il verrait
des herseurs que sa mère avait
pour ses avoines faire ouvrage :
ayant six herses en partage
et douze bœufs fort vigoureux.

En la forêt il entre heureux
le valet, quand la joie le prend
venant de la douceur du temps,
des oiseaux qui gaiement chantaient
toutes ces choses lui plaisaient.

 

 

Pour la douceur du temps serein,
il ôta au cheval son frein
et le laissa aller paissant
par le frais gazon verdoyant.
Et lui, qui savait bien lancer,
tenant ses javelots dressés
allait autour de lui lançant,
un derrière, un autre devant,
un autre au vif, un autre au lent,
tandis qu’il ouït, parmi la lande,
venir cinq chevaliers armés,
de toutes armes équipés.

C’est vraiment grand bruit que faisaient
les armes de ceux qui venaient,
car souvent se heurtaient aux armes
des branches de chêne et de charme,
et tous les hauberts frémissaient,
les lances les écus heurtaient,
sonnait le bois, sonnait le fer
et des écus et des hauberts.

Le valet entend mais ne voit
ceux qui viennent de si bon pas.


Il s’émerveille : « Par mon âme,

elle a dit vrai, mère, ma dame,
me contant que les diables sont
plus effrayants que tout au monde.
Dit aussi, pour mon instruction,
que contre eux on se doit signer.
Mais ce conseil dédaignerai
et jamais ne me signerai
Ma frappe sera vive et forte
d’un des javelots que je porte
et ne s’approchera de moi
aucun des autres, je le crois. »

 

Ainsi à lui-même se dit
le valet, avant qu’il les vît.

Quand le valet à découvert,
les vit qui du bois émergèrent,
il vit les hauberts frémissants
il vit les heaumes clairs luisants,
il vit le vert et le vermeil
qui reluisaient comme soleil,
et l’or et l’azur et l’argent,
il en ressentit la noblesse.

Il dit : « Ha ! Sire Dieu, merci !
Ce sont vos anges que voici.
Hé ! vrai, j’ai gravement péché,
j’ai été bien mal inspiré,
quand j’ai dit que c’étaient des diables.
Ma mère n’a pas conté fables
quand elle a dit: « les anges sont
le sommet de la création,
fors Dieu, mon seigneur et mon roi.
Voici le Seigneur Dieu, je crois :
il est si beau, je le regarde,
je vois les autres, Dieu me garde,
ils sont dix fois moins beaux que lui.

Souventes fois Mère m’a dit
on doit croire en Dieu, l’adorer,
le supplier et l’honorer,
je vais adorer celui-ci
et tous les autres avec lui. »

 

 

Aussitôt à terre il s’élance,
et récite en long sa créance
et les oraisons qu’il savait,
sa mère lui avaient apprises.
Or le maître des chevaliers
le voit et dit : « Restez derrière,
car à terre de peur a chu
ce valet quand il nous a vus.
Que si nous allions tous ensemble
vers lui, il aurait, ce me semble,
si grande peur qu’il en mourrait
et me répondre il ne pourrait
à rien que lui demanderais. »


Ils font halte et lui seul s’avance

vers le valet à grande allure.

Il le salue et le rassure,
et lui dit : « Valet, n’aie pas peur !
– Je n’ai pas peur, par mon Sauveur,
fait le valet, en qui je crois.
Etes-vous Dieu ? – Non, par ma foi.
– Qu’êtes-vous donc ? – Chevalier suis.
– Jamais chevalier n’ai connu,
aucun n’en ai vu de mes yeux
ni jamais n’en ai entendu,
mais vous êtes plus beau que Dieu.
Ah ! comme vous, si je pouvais
être ainsi luisant et bien fait ! »

 

 

D’après le manuscrit de Chrétien de Troyes.

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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