Au 6e siècle de notre ère, l’empereur de Rome fait une ultime recommandation à son protégé Artourœs,ainsi les Romains prononcent-ils son nom qui deviendra Arthur Pendragon : « une seule chose fonctionne vraiment dans ce monde bancal et c’est la magie. Tout le reste ne vaut pas un pet de lapin. » Est-ce une vérité historique ? En tout cas c’est dans Kaamelott, que beaucoup tiennent avec moi pour la meilleure série télévisée de tous les temps.
C’est si drôle qu’à la énième vision on en redemande encore. On sait ce qui va se passer, ce qu’ils vont dire, on attend la nouvelle ânerie du génial Perceval, et le fait de savoir ce qui va arriver rend les épisodes plus palpitants encore. Le film tiré de la série est bizarre, très différent, déconcertant. Je me suis senti floué parce que ce n’était pas de la même veine que la célébrissime série. Ce premier volet sur grand écran peut décevoir à la première vision. Mais dès la deuxième, on y prend goût et on en redemande. Patience ! La suite va venir.
En attendant, je me repasse cent fois de plus les différents épisodes de la série télé. Avec une préférence marquée pour le livre VI, un préquel. L’enfance d’Arthur, ou plutôt son adolescence à Rome, où il se plaît comme un poisson dans l’eau. Et les différentes séquences avec l’empereur sont autant de scènes d’anthologie. Aucun doute, Alexandre Astier est une sacrée pointure. Héritier d’une dynastie de comédiens, il fait honneur à sa lignée. Mais cette réplique qu’il met dans la bouche de Pierre Mondy tranche carrément avec l’esprit de la série. Elle ne cadre pas vraiment avec les idées d’Astier. Elle s’accorde mieux avec les miennes.
Car on va assister ensuite à de la grande magie, de la vraie. Celle qui ébouriffe. Celle qui existe depuis la plus haute antiquité. Elle remonte à cette très lointaine période que j’appelle la pré-antiquité, autant par boutade que par besoin d’un terme. Les historiens parlent de proto-histoire, car elle s’intercale entre la préhistoire et l’histoire. Pré-antiquité est moins barbare, quoiqu’ aimable barbarisme.
La magie ! Le grand mot est lâché. J’en suis friand, j’avoue, mais la magie fait peur au grand nombre. Les esprits forts comme Astier n’en ont que foutre. Mais l’homme ou la femme de la rue peuvent y croire dur comme fer. Un vent de panique souffle sur les plus crédules. Et si tout ça n’était que sortilèges et envoûtements ? Œuvre du démon ? Travaux du diable ?
Primo, celui qu’on appelle le diable est le dieu de la religion d’avant. C’est la règle universelle. Un clou chasse l’autre. Du temps des Romains tous les dieux avaient droit de cité. Mais depuis le diktat du dieu unique, il faut choisir son camp. Cette histoire de dieu unique provient d’une confusion. Ceux qui nous ont créés, éduqués, formés ne sont pas des dieux au sens moderne du terme. Ils sont mortels. Le dieu unique est un mythe impossible. On l’a confondu avec la Source, impersonnelle, universelle, éternelle. La Source est en chacun de nous, humains ou divins ; vivants, morts, ou invisibles.
Deuxio, la magie n’est ni blanche ni noire. Sa couleur provient de l’usage qu’on en fait. On les appelle sorciers ou mages, envoûteurs ou désenvoûteurs, jeteurs de sorts ou exorcistes, chamanes ou brujos, ensorceleur ou enchanteur. Autant d’erreurs. La plupart des magiciens ne portent pas d’étiquette. Ils ne se déguisent pas et peuvent intervenir dans un domaine qu’on ne maîtrise que par les dons reçus.
Chaque fois qu’on me propose d’agir dans un domaine inconnu, j’écoute… mon ventre ! S’il reste calme, détendu, confiant, j’accepte la mission. Et je me lance dans un truc inconnu. Souvent limite. Croire sans y croire est ma bouée de sauvetage. J’ai décroché un mort, comme disait mon benefactor. Il m’a raconté comment il est intervenu pour libérer une âme rongée par la culpabilité, qui ne pouvait quitter le lieu de son péché.
Il a écouté ce que la défunte avait à dire, il l’a bénie en lui disant « Va en paix, tes péchés sont remis« . De son propre aveu, le plus dur a été de ne pas rire en disant cette phrase illustre. N’est pas Jésus qui veut. Restons simples. Humilité mon bouclier.
On m’a demandé un exorcisme. J’ai accepté. Or je ne suis ni prêtre, ni spécialiste en démonologie. J’ai écouté mon ventre : il gargouillait. Pas terrible. J’ai écouté ma voix : voilà que je parlais elfique avec la future exorcisée ! Oui, j’atteste qu’elle en avait besoin. Alors j’ai écouté mon cœur avant de casser la gueule à une grosse saloperie véloce qui s’est tirée à toute pompe par la fenêtre. Qui était fermée !! Ça n’a pas empêché la chose de passer au travers à la vitesse de l’éclair.
En l’entendant ici ou là, il m’a semblé pourtant qu’Alexandre Astier n’est guère ami de ces gens-là et de leurs pratiques, qu’il juge globalement bidons. Certes les faux-culs ne manquent pas en ce domaine comme dans tous les autres. Exploiter la crédulité publique est bien plus facile que d’accomplir des miracles. Dans la série Kaamelott, l’empereur Pierre Mondy transmet à son protégé Arturus une pierre précieuse aux grands pouvoirs magiques. Ce qui ne laisse pas de me surprendre de la part d’Astier. Ça ne lui ressemble pas. On s’attend à ce que cette pierre soit l’occasion de nouveau gags — eh bien pas du tout. Elle agit comme Excalibur, dans la haute magie, sans caricature aucune. Et ça m’étonne.
La série est surtout prétexte à gags (excellents) et ne recule devant aucune bouffonnerie, vulgarité, pirouette, exagération etc. Les anachronismes sont devenus sa marque de fabrique. C’est dans la droite ligne d’Astérix, mais ça va plus loin encore. Astier n’a jamais caché son admiration pour ses géants maîtres René Goscinny et Albert Uderzo, créateurs du petit Gaulois.
Pourtant Astier n’est pas Goscinny. L’époque n’est plus la même. La farce, chez le premier, a toujours son contrepoint. Goscinny écrit pour les enfants. Astier s’adresse à un public plus adulte, mieux informé. Il déforme pour informer. Il bouffonne pour enseigner. C’est un pédagogue autant qu’un humoriste — ce qui le rend encore plus sympa. Son travail sur Kaamelott est d’une profondeur et d’une complétudeDidactique, rare. État, caractère de ce qui est complet, achevé, parfait. Synonyme : achèvement, finitude – antonyme : insuffisance qui m’a toujours laissé pantois.
Quand on regarde la série, embarqué par le rythme et l’humour qui semble couler de source, on ne perçoit pas forcément l’énorme quantité de travail. C’est la partie cachée de l’iceberg. Cependant une bonne part du succès de Kaamelott vient du perfectionnisme d’Astier. Si son humour, énorme, indiscutable, n’échappe à personne, sa culture et son intelligence me fascinent encore davantage. Mais parlons plutôt magie.
La magie du prestidigitateur n’est que l’art de l’illusion. Elle s’appuie sur le besoin de merveilleux qui fait de chaque adulte un enfant — l’enfant qu’il a été et qu’il n’oublie jamais tout à fait. Mais celle que nous vivons à chaque instant pour peu qu’on y prenne garde, celle que nous allons vivre grandeur nature dans nos rêves de Loups Volants, cette magie-là n’a rien à voir.
– En es-tu si sûr, m’objectera-t-on. Celles et ceux qui me suivent sur les sentiers escarpés de la haute magie, peut-être obéissent-ils à la même fascination enfantine ? Le goût du merveilleux ne suffirait-il pas à leur faire prendre des messies pour du Sauternes ?ou des vécés pour une citerne ? Des récits pour une poterne ? Je ne me souviens jamais de cette expression idiote
Que répondre ? Je suis habitué à la haute magie depuis l’enfance. Mes aînés sont jumeaux. Les Tongouzes affirment que l’enfant qui vient après des jumeaux est toujours un chamane. Je ne me sens pas chamane même si j’en ai les talents. Je ne suis pas né magique par hasard, je le suis devenu par nécessité vitale. Tout bébé, il m’a fallu résister à la putain de pression que me foutait ces deux rigolos. Avec leur complicité silencieuse, ils lisaient l’un dans l’autre comme dans un livre.
J’ai dû apprendre très vite à me protéger. Sentir les signes, décoder les attitudes, apprendre la transmission de pensée et d’autres trucs du genre. Il fallait anticiper les coups, question de survie. Frustré dans mon désir d’échange, rabaissé au rang de victime, isolé dans une fratrie hostile, au mieux indifférente, je reportais ma soif d’absolu sur mes grands amis ou mes petites amies. Peu d’adolescents se sont sentis aussi seuls que j’ai pu l’être. Toutes les nuits, fébrile, j’écrivais jusqu’à point d’heure, persuadé que j’étais que la mort imminente me prendrait pendant le sommeil.
Finalement je leur dois ce que je suis. Tout le reste s’oublie. Merci. Comme mes aînés, je n’ai jamais été seul en fait. Mon jumeau est intérieur. C’est mon double. Je suis du signe des Gémeaux.
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