Personne ne te croira

 

Tu peux crier, tu peux rire, tu peux pleurer, tu peux dire, tu peux citer, raconter, témoigner, tu peux jurer, parole d’honneur, tends le bras, crache à terre, croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer… Achète un porte-voix pour ameuter les foules, ouvre un blog épatant pour appâter les goules, lâche des tracts, brise les pactes, ponds un drame en trois actes…

 

Personne

Au journal de 20h, tu peux montrer ton cul — ils diront tous qu’ils n’ont rien vu. Tu peux recruter des volontaires — si tu en trouves assez pour former ton armée. Tu peux monter sur l’Opéra Bastille avec ta troupe, le maestro boit trop, le plateau est à l’eau, mais jamais l’eau paiera.

Si ton armée t’écoute, prends la Bastille avec tes troupes. Devant les journaleux qui raillent, tu peux essuyer la mitraille des gardes françaises, les obus de 16, les lazzis qui pèsent, les lapins qui baisent, les loups en ascèse, les porcs au diocèse — la garde meurt mais ne te croit pas.

La beauté chaude et vivante du toucher est bien plus profonde que la beauté de la sagesse. (Charles Dickens)

 

Tous pourront tomber autour de toi, tu te relèveras malgré tes blessures. Ils reprendront vie au son de ton fifre, preuve triomphale que tu as vaincu la mort elle-même. Si elle t’aime, elle ne te lâchera pas. M’en fous, je suis mort de longue date. J’en témoigne de longue haleine et de long en large. Faut-il que je m’étale de tout mon long sur les talents de ma longue vue ? L’on vient de loin longer le danger. Et bordant ton assiette, le chant du fifre reprendra, entêtant, brodant son ariette sur le roulement des tambours de guerre et le gros son des canons. T’ont-ils cru ? Je dis non.

Toujours le fifre renaîtra dans le grand silence qui suivra l’explosion des mines au fond des sapes et l’éboulement des remparts de part en part. Tu peux rester debout tout nu dans ce qui te reste d’uniforme, le fifre en bouche, le fute en loques, le cœur au ventre et le zguègue au vent. Le fifre lancinant, immortel, reprendra son péan mortel, son chant de guerre et de sang, dont l’air léger comme une bulle réjouit les morts et les passants. La chouette hulule avec le vent. Rien qui couvre un fifre vivant. Il te fouaille le cœur mieux qu’un bistouri. Par les combats que tu livras, tu survivras. Mais nul ne te croira.

 

 

Ne te croira

Tu peux renaître de tes cendres, de ta croix tu peux descendre, croire en ce qui te chante, manger la braise ardente, boire aux pierres poisons, supprimer les saisons, ignorer les raisons, gober mer et poissons, t’immoler par le feu, la faim, le froid, le fiel ou le fusil, tu renaîtras, canaille, et ton fifre à nouveau rira sur la mitraille. Quoi qu’il arrive, quoi que tu fasses, quoi que tu vives, quoi qu’il se passe, toujours la même histoire —— personne ne peut y croire.

Seuls les petits secrets ont besoin d’être protéges.Les grands sont tenus secrets par l’incrédulité du public. (Marshall McLuhan)

 

Ce que tu vois est trop énorme. Ce qu’on t’a dit doit être enfoui. Tu l’as gravé au tronc d’un orme. Ceux qui l’ont lu n’ont pas dit oui. L’orme a disparu.Comme la plupart de ses congénères, fauchés par la maladie de l’orme. L’inscription n’est plus. Double vue, triple bévue, triste revue. Les mots sont obtus  — il faut l’avoir vécu. Nul ne s’en sort indemne. Nul n’en revient le même. On est bon pour traîner ce terrible fardeau jusqu’à la mort, et plus encore : jusqu’à la consommation des siècles. Tristesse est ta maison. Ton chagrin est en crue.  Fais-toi une raison : pas un seul ne t’a cru.

 Ceux qui savent ne parlent pas  et ceux qui parlent ne savent pas. Le sage enseigne par ses actes  et non par ses paroles. (Lao Tseu)

 

À qui peux-tu le dire encore ? Ne l’as-tu pas assez clamé ici, là-bas, ailleurs, partout ? Les passants t’ont pris pour un fou. Hurluberlu. C’était couru. S’en va-t-on tout nu dans la rue ? Qui peut entendre ça sans mourir aussitôt de frayeur et d’horreur ? Il vaut mieux se boucher les oreilles, se doucher les orteils, réciter ses prières, resserrer ses œillères, aveugler la glace, se voiler la face et tourner le dos, crânement, avec le courage du lâche et le panache de la ligoche.Limace dans le patois du coin. C’est moche. Mets tes mots dans ta poche. Ce talent que tu gâches, ce tonus que tu lâches, tu te tues à la tâche, tous ces efforts perdus. Tant pis si ça te fâche, je te le dis tout cru, les gens ne t’ont pas cru.

Qui pis est : moi non plus.

Un guerrier considère qu’il est déjà mort, donc il n’a rien à perdre. Le pire lui étant déjà arrivé, il est calme et serein. S’il devait être jugé sur ses actes et ses paroles, on ne pourrait jamais soupçonner qu’il a été témoin de tout. (Carlos Castaneda)

 

 

En un mot commençant

Avis amis guerriers, guerrières mes amies, ces mots vous ont touchés, ces flux vous ont compris, et quoi que vous disiez vous ne serez pas pris. Vous croiront-ils, ces gens qui s’en vont vers la mort ? Vibreront-ils, ces dieux qui n’en sont pas encore ? Le temps file et vous ment. L’éternité attend dans un bol de farine. Le pain cuira tantôt. Attendez-vous au pire. Qui travaille en cuisine ? Quel plat sera servi quand la faim sera là ? Nul ne sait. Rien ne vient.

On meurt sous la mitraille. L’ennemi se débraille au pied du dieu qui raille. Les munitions déraillent. Le fuit de vos entrailles est mort. Coquin de sort. Faquin de port. Aucun bateau dedans. Les loups n’ont plus de dents. Qui vous dira : debout ? Vous rampez dans la boue. Vous irez jusqu’au bout du délire. Vous vous délivrerez des étaux qui vous brisent. Vous vous enivrerez des parfums dans la brise. Voyez : la place est prise. Les remparts sont tombés. Il n’y a plus de frise aux surplis des abbés. Guerriers, passez la main. Vous pleurerez demain.

Vous avez traversé des rives, des empires. Vous avez rencontré de monstrueux géants. Et maintenant c’est pire. Le prince est un enfant. Qui lui dira demain ? Quel avenir pour eux ? Les chiens n’aboieront plus. Savoir qu’à La Palud je ne suis jamais lu. Amis, baissez vos armes. Les matins différents vont-ils sécher vos larmes ? En attendant l’alarme annonçant la reprise, en écourtant  le charme étourdissant, l’emprise est assurée. La race est épurée. L’empire est constitué. Nul n’échappe à sa loi partout dans les contrées.

Les tagueurs ont bombé. La Bastille est tombée. Soudain le cachot bée. Couronnés de lauriers s’en vont les prisonniers. Vous a-t-on dit merci pour libérer aussi les désaxés d’Issy ? Les babas de Bercy ?  Les gueulards du Raincy que l’on entend d’ici ? Saucissons sans soucis, sauts s’y font sans merci, c’est triste et c’est ainsi que finit mon récit.

 

 

 

Adieu
(s’il existe)

On ne sait jamais. Tout devient possible. Peau cible où je m’enivre. À suivre…

 

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme.
François Rabelais