Plaidoyer pour les dieux d’avant

Cet article est très bien du tout. Et les images ! Merci Kervor !!

 

Au fil des chapitres consacrés aux terraformeurs, ces visiteurs des étoiles que je tiens pour nos pères génétiques, je me suis laissé aller à des excès de sévérité. Souvent ai-je méjugé les dieux d’avant, les ai-je moqués, brocardés, leur ai-je taillé des costards trop près du corps. J’avoue mes torts. Pour mon rachat, je les renomme les vieux d’avant. Entre vieux, on se comprend.

 

Les vieux d’avant sont d’accord avec moi. Presque d’accord. Mais pas contents quand même. Dans leur splendeur de gloire, tout armés de lumière, tout hérissés d’antennes, ils me sont apparus. Des images et des contes s’enroulent autour de leurs doigts. Je crois rêver. Chaque scène, chaque histoire, chaque séquence est tirée d’Eden Saga. Les vieux d’avant me montre un monde inédit, parfait. Son histoire semble si vraie, si réelle, plus vraisemblable dans son invraisemblance que la triste histoire rance des manuels de notre enfance. Et je l’avoue, non sans une bouffée de satisfaction, parce que merde, faut le dire, ce magnifique spectacle que m’offrent les vieux d’avant, j’en suis le scénariste s’ils en sont les auteurs. Les acteurs. Les producteurs. Les metteurs en scène…

Ouais, mais c’est justement la mise en scène qui a merdé. C’est ça que je dénonce. Manque de rigueur au montage. Du coup l’histoire est décousue, bancale. On comprend rien.

 

Pas contents contents

« Fais mieux si tu peux ! » m’ont dit les dieux. Qui ? Moi ?
« Oui, toi. Tu nous a copieusement méjugés, moqués, brocardés, tu nous a taillé des costards très près du corps, trop près. Tu nous as jugés de loin, tu nous as condamnés sans oser croiser notre regard. N’empêche qu’on a fait le boulot. On a mis le temps, plusieurs milliards d’années. Mais tu aurais vu le travail quand on est arrivé ! On doit avoir des images d’époque, on garde toujours un témoignage de l’état des lieux avant de commencer une terraformation. En cas de contestation, on ne sait jamais. »

 

Contestation ? Je pige pas.

« Il arrive que des créatures à nous sur une planète à nous se rebellent et veulent nous flanquer dehors. Il y a une procédure légale au niveau galactique pour régler ce genre de litige. Mais passons, ce chapitre ne vous concerne pas. Si ?« 

Il se fout de ma gueule. Je ne bronche pas. Le vieux d’avant s’en va, je reste seul après. N’empêche qu’il a raison. Chapeau les dieux d’avant ! Quand vous terraformez, c’est pas des mots, c’est pas du vent ! Conçu pour durer. 

 

A pu !

Je reconnais qu’il y a bien deux-trois défauts dans leur façon de faire. Mais voyez le résultat après des chiées de millénaires. Moi et nos pères, ça ne fait pas la paire.  Leur CV m’exaspère. Ils avaient tout pour plaire. L’élan, le talent, d’infinis savoir-faire, une mémoire multi-millénaire, et nous ? Pas de comparaison possible. Des moucherons devant des dinosaures, voilà ce que nous sommes devant nos maîtres.

Et des moustiques qui rouspètent. Bzzzzz ! Bzzzzzzzzz ! À la longue, ça énerve même un dieu. Paf ! A pu moustique.

 

 

La critique est aisée

Si les dieux n’ont pas tort d’avoir raison, ils ont aussi des raisons d’avoir tort. Mais quoi ? Faut toujours que je critique ! Mea culpa. Ma très grande faute. C’est vrai que je leur en veux. Surtout à cause des mensonges. Ils n’ont pas arrêté de nous baratiner. Le fait de nous avoir caché certaines évidences, comme par exemple qu’ils n’étaient que des mortels, et que nous ne devions pas les confondre avec la Source. Au contraire, non seulement ils ont laissé planer le doute, mais ils ont clairement dit aux prophètes que oui, c’est bien eux qui ont créé tout le bazar. Sans arrêt, ces grands culottés nous ont bouffé la tête. Et ils continuent ! C’est pour ça qu’il faut se la couper…

Et si vraiment Dieu existait,comme disait Bakhounine,ce camarade vitamine, il faudrait s’en débarasser.

Léo Ferré

 

S’entête le guerrier sans tête

Notez bien que personne ne nous a jamais dit que les dieux ne mentent pas. Ils nous disent : priez moi, je vous exaucerai. T’as plus vite fait de jouer au loto. Notez bien que je suis quelqu’un qui prie. Je prie qui ? Ne me demandez pas puisque je ne me pose pas la question. Je prie un dieu sourd qui n’existe que dans ma tête. Pas grave. Qui vous priez, ça n’a pas d’importance. L’important est d’envoyer vers les étoiles ce message d’humilité et de soumission. Quand je parle comme ça, ils m’envoient des bisous. Ah les coquins, ils veulent si fort qu’on les aime !

 

Arête dans le bifteck

Ou pas ? Si ça se trouve, la façon d’agir avec leurs créatures intelligentes, est écrite à la virgule près dans leur MTPNmanuel de terraformation pour les nuls. Ils n’ont qu’à suivre les items sans poser de question. Ce sont des putains de professionnels. Des planètes comme la nôtre, ils en ont une quinzaine sur le feu, à différents stades d’évolution. La terraformation des planètes sauvages est un travail de longue haleine. Tu fais pas ça en cinq minutes comme voudrait faire la NASA sur la planète Mars. Merci les gars ! Les voyants qui vous regardent n’ont pas fini de rigoler.

 

Mais l’art est difficile

J’ai l’air de me moquer, mais non. Je ne me permettrais pas. Ces vieux-là méritent tout notre respect. Ce sont des géants, vraiment. Des putains de professionnels. Ils ont l’art et la manière, de la classe et de la bouteille. Triés sur le volet, formés pendant trois siècles, ils sont opérationnels à 350 ans, ce qui leur laisse grosso modo 1650 ans de vie active, en pleine maturité, santé, célérité. Le boulot qu’ils font méritent tous les éloges. Leur ventre est régulier comme celui d’une horloge. Leur tête est en argile et leur règle en coton. Ils tissent les destins. Ils croisent les saisons dont les fils de la lisse avec ceux de la trame font un seul métronome. Leur ventre est une horloge qui compte les éons.

 

 

Le meilleur du pire

Ils sont ce que nous avons de meilleur et nous faisons ce qu’ils font de pire. Sainte imitation de Nos Saigneurs. Ils nous ont fait à leur image, qui n’est pas si claire qu’elle en a l’air.

Ils ont pris le temps qu’il fallait pour bâtir et pour que ça dure. Le temps dit-on ne respecte rien de ce qu’on fait sans lui. Il a tout respecté de leurs œuvres éternelles. Pyramides de partout, murailles cyclopéennes, cromlechs, menhirs, dolmens, allées couvertes sous tumulus, temples aztèques, mayas, incas, grecs, égyptiens, indiens, chinois, japonais, thaïs ou sibériens, leur empreinte est partout, leur talent n’est pas rien. Leurs masures ont de l’allure. Sans ciment ça tient bien. Siècles, millénaires, qui sait depuis combien d’éons se dressent leurs frontons ? Leurs fabuleux rochers sculptés ? Leurs armées d’argile ? Leurs empires ? Leurs villes ?

 

Héritiers responsables

Les animaux qu’ils nous ont donné font une arche de Noé qu’il nous revient de protéger. Les plantes, les fruits et les légumes, les céréales et les tubercules, ce qui pousse sous terre, sur le sol ou dans les airs, portés par la branche et les feuilles, ce qui est doux, amer, acide ou bien salé. Ce qui se boit, se lèche, se croque ou se savoure, ce qui se contemple ou se cache, ce qu’on ne verra pas deux fois et ce qu’on connaît de toujours, rien qui vient d’eux n’est peu.

Qui d’autre que ces dieux aurait pu donner cette forme à Terra ? Le hasard naturel ? L’architecte éternel ? Il a fallu les vieux d’avant. Il a fallu des dieux longtemps. Et quand ils sont partis il a fallu grandir. Vivre en paix. Continuer leur œuvre de progrès. C’est pour ça qu’ils nous ont fait. Les imiter sans rechigner, sans se décourager, sans jamais s’arrêter, dans l’idée qu’un jour les humains à leur tour pourront bâtir dans la durée. Comme on peut tous le constater, ce jour-là n’est pas arrivé.

Homme, si tu projettes Ton esprit par delà lieux et temps Tu peux à chaque instant Vivre dans l’éternel.

Angelus Silesius

 

Les oiseaux ont leur nid, les loups ont leur gîte, mais le fils de l’Homme n’a pas même une pierre où poser sa tête.
Jésus