Trois pas dans l’incréé

 

Après Livre des Déesses, Le Grand Passage et l’Ultime Aurore, ce quatrième volet renverse les barrières rassurantes d’une réalité communément admise. Il nous fait pénétrer dans un monde hors du monde, un temps arrêté de toute éternité qui n’a jamais été. Et nous ? Si nous sommes virtuels dans cette vie simulée, allons-nous exister vraiment après ça ? Dans quel au-delà inimaginable ?

 

Je croyais que je ne pouvais plus traduire et déchiffrer les rébus qui font la suite du Livre des Déesses. Il me fallait, pensais-je, faire un fameux break pour retrouver le fil de la révélation. La Déesse ne l’entend pas ainsi. Elle est venue, elle était nue dansses petits habits (Michel Polnareff) toute la splendeur virginale de Notre Mère infinie.

En la voyant, j’ai tressailli. En l’entendant, j’ai défailli. Mais ses mots resteront à jamais gravés dans ma caboche mortelle, moche et bancroche qui n’a de pur que son absence. Sa démence et son insignifiance.

C’est toute la beauté de la chose. Le pauvre petit que je suis, singe nu démuni, quasi sans abri sur cette terre hostile, bipède ventru qui n’a plus guère à vivre, clown revenu de tout sauf de l’amour fou, vieillard en partance, inconnu sans importance, celui déjà qu’on oublie qui par la grâce de John Seckie est devenu le scribe de l’Immense.

Gribouilleur indigne de ce trop grand mystère, je me tais. Que Sa parole nous éclaire.

 

L’incréé

Livre des Déesses, versets 111 à 115

111  Dans le vide infini de l’Incréé soumis
112   Au loin le Rien n’est plus. L’impossible est admis
113   Le pire est désirable et tout désir de mort
114   Confine à l’absolu. La mort est cœur de vie
115   La vie devient non-vie et ce n’est pas la mort

 

Nous existons depuis toujours dans l’incréé. L’astral. La vraie vie est ailleurs. Au-delà des faux semblants. Au-delà de la mort. Il faut accepter notre état présent, il est absence. Absence à nous mêmes, absence à la vraie vie, absence à notre nature véritable qui est pure lumière.

L’incréé est le pré-existant des Gnostiques. Ce non-monde qui a toujours été, mais dont nous sommes coupés ici et maintenant. Nous sommes prisonniers d’un monde de matière dense, où tout effort est pénible, où la pesanteur nous écrase, où nos corps ne sont qu’une minable copie du corps de lumière habité par le Soi.

Nous n’avons pas de dimension. Nous sommes un point fictif dans le vide, nous dont la nature est l’infini. Peut mieux faire, écrit le prof dans la marge du cahier. L’élève flemmard hausse les épaules. Il le sait qu’il peut mieux faire, il le fait toutes les nuits dans sa vraie vie, sans école, sans diplôme, sans carrière, sans métier, sans jeunesse, sans vieillesse, sans rien — pour pouvoir embrasser tout.

 

L’éternel zénith

Livre des Déesses, versets 116 à 120

116  Ressuscitons la vaillance intrépide
117  Enivrons-nous des parfums de l’abîme
118  L’autre côté est notre raison d’être
119  En ce non-monde où n’existe
120  Ni parfum, ni côté, ni la raison ni l’être

 

Il en faut, du courage, pour affronter le jamais-vu. Ce non-monde est inaccessible aux êtres matériels. Il ne ressemble à rien de familier. Reprendre à zéro le chemin de la vie, d’une autre vie plus vraie, plus lumineuse, moins contraignante. Il en faut de la vaillance. Mais pourquoi intrépide ? Sans doute parce que nous affronterons l’inconnu — pire encore : l’inconnaissable. Nul rêve ni cauchemar, aucune imagination ne peut nous préparer à un tel choc.

Alors il nous faudra tenir le coup. Résister à l’éparpillement du Grand Passage. Maintenir notre point d’assemblage en sa position première. Peu à peu, il changera de place. Il grandira. Notre regard sur l’extérieur ne sera plus filtré par un seul point, il sera émis par la totalité de notre luminosité. Nous pourrons enfin avoir une infinité de points de vue dans le même instant éternel. Mais pour voir quoi ? Pour vivre quoi ?

Nous ne verrons plus scintiller
Au-dessus du désert glacé
La silhouette tant adorée
De la sublime Hyperborée.

Peu à peu, notre regard intérieur s’habituera à l’inacceptable. Et la dernière image que nous emporterons de notre planète mourante surgira d’un passé déjà trop lointain pour nous donner un quelconque regret. Oubli de l’ultime aurore, nous vivrons l’éternel zénith. 

C’est la mort que je prends, c’est la vie qu’on me donne.
N’ai-je donc tant vécu que pour cet infini?
Pardi, c’est l’agonie qui veut m’apprendre à vivre.
Si la vie m’est laissée, que la mort me délivre.
Vivre ou mourir m’est un, vogue le bateau ivre.
Plaisir d’amour jamais ne s’apprend dans les livres.
(John Secky)

Pourquoi viens-tu si tard quand il fait déjà noir ?

Aimé Duval

 

 

La honte

Livre des Déesses, versets 121 à 125

121   Oui nous avons subi la honte, humains faillis
122   Oui nous avons reçu le châtiment promis
123   Oui nous avons connu l’effroi qui désunit
124   Ces temps sont désormais honnis, bannis, finis
125   Oui le passé n’est plus et l’avenir non plus

 

Vieux motard que j’aimais, mieux vaut tard que jamais, comme dit Lhôte. C’est au pied du mystère qu’on juge l’enchanteur. Si fait, ne me jugez point, gentes dames du temps jadis. Vous n’étiez plus, vous revoilà. Vous paraissez d’amour tissées. Vous étiez reines des humains, vous êtes unies à nous comme doigts de la main.

 

 

Homère d’alors

Livre des Déesses, versets 126 à 131

126 Comme des oriflammes
127 Au firmament hissés
128 Toujours vous subissez
129 À jamais vous bissez 
130 Le retour de Circé
131 Dans la furie des flammes

 

Circé, puissante magicienne, toi que le pitre Homère appelait polyphármakos,πολυφάρμακος illustre experte en drogues de tous horizons, dédiée aux multiples défonces, à maints poisons, tu modifies les choses, tu nous métamorphoses.

Homère méritait d’être chassé des concours à coups de bâtons,  et Archiloque aussi. 

Héraclite

 

La honte est nôtre, bons apôtres. Buvons pour oublier.

Soûlons-nous pour durer dans l’incassable étreinte
D’un monde aussi bidon que cette toile peinte
(Complainte du chialant qui passe)

 

Éternel refrain du temps fini qui dure infiniment. Couplet répété d’un espace absent qui nous porte pourtant. Incompréhensiblement clair, obscurément limpide, nous nous cognons aux parois invisibles qui ne nous ont jamais enfermés. Ce sont les conventions, les fausses règles, les contraintes inexistantes qui font les murs de notre prison.

Tente un pas, un seul pas et soudain tu respires. L’ordalie n’est plus là. Tout vice a disparu. Il n’y a plus morale ni vertu. Il n’y a que l’amour, siège et lieu de la vie, horizon de la mort, alcool qui délivre du besoin d’être ivre.

 

Quant au châtiment promis
Savez-vous quel est-il ?
Propice ou inutile ?
Est-il inévitable ?
Est-ce un siège éjectable ?
Pourrait-il être omis ?
Aux calendes remis ?
À jeter aux fourmis ?
(John Sépa)

 

 

Éteins la lumière

Livre des Déesses, versets 132 à 136

132   L’espace est aboli, rien ne tient plus sur hier
133   Au firmament désert on éteint les lumières
134   Ne te retourne pas, ne cherche pas ailleurs
135   Tout est là devant toi, néant, malheur, bonheur
136   Bientôt tu comprendras que ces trésors sont tiens

 

Plus d’espace, plus de temps. Déjà c’est incompréhensible. Rien dans notre expérience spatio-temporelle ne nous permet de comprendre l’éternité.

Et pourtant je vous dis qu’elle existe. Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans mes vues.

Tant de vieilles religions l’ont enseignée à nos aïeux ! Il est vrai que les nouvelles religions nous ont bercés d’illusions trompeuses.

Elles nous ont vendu de l’or dur au prix de l’or fin.

 

Quand il n’y aura plus de ciel, où chercher les étoiles ? Quand il n’y aura plus rien de reconnaissable, pourquoi chercher encore ?

On chercherait en vain.

L’infini peut tenir dans le creux de ta main.

Mais tu n’as plus de main. Ni demain. Tu n’as rien. Et les dieux te font croire que le Tout t’appartient. Il est à tout le monde, à tous les humains.

Il est aussi aux Martiens, aux Vénusiens, aux Saturniens, aux Jupitériens et à tous ceux du Soleil, fidèle gardien des illusions scientistes.

 

Nous l’aurons bel et bien en travers de la hure
Dans cet interminable instant d’éternité qui dure
Triste ordure et dorure en peinture effacée
Qu’on sentira passer par dessus les fossés
(John Seppuki)

 

Le Tout est aussi à ceux des étoiles lointaines. À ceux des autres mondes, des autres galaxies, des autres univers. Tout ceux-là n’auront plus rien, et les dieux de là-bas leur diront qu’ils ont tout. Bientôt tu comprendras que plus rien n’est à toi. Et tu vivras encore, enviant ceux qui sont morts…

 

Soûlons-nous pour durer dans l’invivable étreinte
D’un monde aussi bidon que cette toile peinte
Qui tient lieu d’horizon ou qui sert de maison
Dans le cœur d’un amour qui n’a plus de saison
(Complainte du chialant qui passe)

 

 

Notre Mère Athéna

Livre des Déesses, versets 137 à 142

137   Tu as compris déjà que tu n’existes pas
138   Athéna veut que tu sois là
139   Où tout est un. Tu vas parmi les tiens
140   Immobile infini qui survient de partout
141   Veux-tu grandir et t’unir au Grand Tout ?
142   Ne sois rien.

Et si tu n’existais pas dis-moi pourquoi j’existerais ?Joe Dassin Plus personne n’existe apparemment, pourtant Athéna ou John Secchi me parlent comme si je pouvais les entendre sans oreilles et sans ouïe. En me tutoyant qui plus est! Comme un triste Allemand! Ces gens-là sont vexants. Et trop envahissants.

Notez que dans l’incréé ils ne prendront plus de place. Personne n’en prendra plus, ce qui laissera la place aux autres. Quelle place? Quels autres ? Ben les dieux, nom d’eux ! L’incréé est à eux, ils y sont depuis toujours, et même avant. Ils ont la clé, pas nous. Ils ferment à double tour dès qu’ils s’éloignent pour pisser sur le reste du monde. Impossible d’y foutre les pieds. Ce qui vaut mieux, car les non-dieux s’évaporent dès qu’ils s’y introduisent. Prudence. Restons chez nous, dans l’espoir inouï que les dieux fassent de même.

 

 

Pater Noster
 Jacques Prévertsur l’image il est prérouge

Notre Père qui êtes au cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
(…)

 

Quelquefois si pourrie aussi. Du temps de Prévert, ça se voyait moins. Pourtant Paris était dégueu, noir de crasse et d’ennui, il y pleuvait des confettis racistes, l’épicière avait peur des Noirs, mon concierge avait peur des bombes à fellaghas, les gens riaient jaune en attendant le péril du même nom, qui n’est jamais venu celui-là.

Fellaga ou fellagha est un terme utilisé pour désigner tout combattant algérien entré en lutte pour l’indépendance de son pays entre 1952 et 1962, qui faisait alors partie intégrante du territoire français.

J’ai un autocollant « Visitez la Russie (en attendant que la Russie nous visite) ». Ça fait rire jaune, comme le péril. Restons chez nous, dans l’espoir inouï que les Russes et les Dieux fassent de même.

Il est possible que j’ai complètement foiré mon interprétation de l’incréé. Le sujet n’est pas facile. Moi qui suis soi-disant créé de toute éternité, moi qu’on a baladé dans tout l’éther mité, décrire l’inédit j’ai des facilités, mais peindre le néant qui n’a pas existé, je cale.


Soûlons-nous pour durer dans l’intenable étreinte
D’un monde aussi bidon que cette toile peinte
Qui tient lieu d’horizon ou qui sert de maison
Dans le cœur d’un amour qui n’a plus de saison
Droguons-nous pour ne plus sentir comme on nous berne
Comme on nous gruge au pied des pavillons en berne

(Complainte du chialant qui passe)

 

 

Le non-désir

Livre des Déesses, versets 143 à 149

143    Ne désire plus rien : nul n’est là, tout s’en va
144   Tes amours sont partis qui ne reviendront pas
145   Par ta faute s’est fait le vide autour de toi
146   Tes bien-aimés sont là que tu ne verras pas
147   Tu les tiens, tu les as mais le vent te les prend
148   Furieux vent du néant qui te gifle et nettoie
149  Tes sœurs et ton frère qui sont-ils si ce n’est toi

 

S’il se nettoie, c’est donc ton frère. Je n’en ai point. C’est donc quelqu’un des tiens.* Lequel ? Que t’importe ? Un tien vaut mieux que deux Tulle aux rats. (Office de tourisme de Tulle en Corrèze)
*Jean de La Fontaine, Le Loup et l’Agneau

Soûlons-nous pour durer dans l’implacable étreinte
D’un monde aussi bidon que cette toile peinte
Qui tient lieu d’horizon ou qui sert de maison
Dans le cœur d’un amour qui n’a plus de saison
Droguons-nous pour ne plus sentir comme on nous berne
Comme on nous gruge au pied des pavillons en berne
La Déesse a promis bonheur à satiété
Labourant sans effort les prés d’éternité

(Complainte du chialant qui passe)

 

 

L’évidence et la liberté

Livre des Déesses, versets 150 à 155

150 Ne te refuse plus, ouvre-toi, lâche prise
151   Ce que tu nies devient l’éternité promise
152   Rêve à demi conçu, unique liberté
153   Les éons effacés, les géants dépassés
154   Ta main ne tient plus rien, maintenant le néant
155   Ici tout ce qui dure est dans ton cœur d’enfant

Main tenant le néant. Plus rien ne tient plus rien. Le vide de l’Incréé se mord la non-queue. Ça fait moins mal qu’une vraie. Il n’y a plus de mal d’ailleurs, ni de bien. Ni d’ailleurs. Il n’y a presque rien mais le presque lui aussi a passé son chemin. Que dire du néant ? Laissons-le s’exprimer lui même :

 

 

 

 

 

 

 

Je n’aurais pas mieux dit. Fermons la non-parenthèse.

ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi?
De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous!
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront, il est l’heure de s’enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. (Charles Baudelaire)


Soûlons-nous pour durer dans l’improbable étreinte
D’un monde aussi bidon que cette toile peinte
Qui tient lieu d’horizon ou qui sert de maison
Dans le cœur d’un amour qui n’a plus de saison
Droguons-nous pour ne plus sentir comme on nous berne
Comme on nous gruge au pied des pavillons en berne
La Déesse a promis bonheur à satiété
Labourant sans effort les prés d’éternité
Mais nous n’aurons plus rien qui se perde ou se garde
Si nul œil ne peut voir le Tout qui nous regarde

(Complainte du chialant qui passe)

 

« pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps »

 

Le Livre des Déesses

 

Bientôt la fin du monde et le cinquième volet du Livre des Déesses : Cette obscure clarté

 

 

 Chaque vie est un conte de fées écrit par la main de Dieu.
Hans Christian Andersen