Chant d’amour à mort

Moi qui vous parle, amis du bout du temps, je suis fini. J’ai voulu, insensé ! me hausser jusqu’aux dieux mes maîtres ! Me croyant tout-puissant, je me suis vu l’égal de la Déesse, moi qui ne puis dénouer ses sandales. Je n’étais pas monté très haut, je suis descendu tout en bas. Pour comble d’infortune, j’ai perdu mon bracelet magique. Sans lui, je ne suis rien.

Tous les dieux portent un tel bracelet. Sans lui, on n’a plus de nom, plus de crédit, plus d’existence. On n’est pas soigné quand on est malade, on ne reçoit ni nourriture, ni vêture, ni mercure pour le spationef. Impossible de se loger, de voyager, de s’amuser. Le bracelet sacré permet de vivre comme les dieux. Sans lui, on vit comme un chien. Voilà mon lot. Vie de chien que la mienne, ou pire : une vie d’orque. Thyann le chasseur mon père, qu’on appelait Jared, aimait raconter des histoires en fumant son herbe à pipe. Nous avons disait-il du sang d’orque en nos veines. Par quelque aïeul, sans doute. Est-ce vrai, ou ne sont-ce que les fumées du Rêve ?

J’étais au fond du gouffre, me voici aux commandes d’un space-jet qui me rend mes cent-vingt ans. J’ai commencé la visite des planètes d’Alcor. Je connais déjà Wahn, où j’ai passé de longues années dans la peau d’un bourreau.  J’ai mis le cap sur la deuxième planète : Avalhom, terre de sortilèges. Je n’y suis jamais parvenu. Mon jet trouait l’espace hyperlumineux où je voyais éclore des brassées de couleurs. La lumière spiralait autour du fuselage, tandis que le temps, soudain immobile, rapprochait les extrêmes et gommait tout relief. Il me semblait que mon corps gonflait comme une ballon, une baleine en laquelle je me sentais perdu, tel Jonas qu’un de ces gros poissons a recraché jadis sur la terre des Lémurs.

Le gros poisson m’a recraché aussi. Je suis sorti de mon sommeil profond au beau milieu d’une assemblée de créatures repoussantes. Leur odeur vive était épouvantable. C’était une horde d’orques bleus mangeurs d’hommes. Impossible de comprendre ma présence en si piètre compagnie. Je cherchais vainement les belles plages d’Awalhom où se baignent toutes nues les plus ravissantes créatures qui se puisse rêver. Au lieu de ça, j’ai devant moi le spectacle puant d’un troupeau de sous-hommes qui roulent des yeux affamés. Ils s’approchent. Je défaille. La puanteur devient mortelle. L’envie de vomir m’a saisi. J’ai voulu fuir, mes jambes étaient mortes sous moi. L’un d’eux a roté. Par Hathor, quel remugle ! J’ai perdu conscience en humant ce gaz asphyxiant. C’est alors qu’il se sont jetés sur moi pour me dévorer. Ça vous réveille un mort.

Oui, ils m’ont croqué vif, ils m’ont mâché, mastiqué, dégluti. Ils ont avalé chacun de mes doigts, chacun de mes orteils, mon nez, mes oreilles, mon pénis et mes burnes, nom d’Hathor, les obscurs salopiots ! Ils m’ont croqué jusqu’au trognon, brisant mes os pour en téter la moelle, broutant mes cheveux blancs, ils n’ont même pas respecté mes organes. Les orques méritent mille morts pour leur forfait.

Je n’ai senti aucune douleur quand ils m’ont dévoré. Juste la haine. Une toute petite voix , lointaine, oubliée, pleurait au fin fond de ma mémoire. J’ai mis le temps, puis je l’ai reconnue. C’est la voix de l’enfant que je fus. Pleurarde, elle scandait, psalmodiait, et la Déesse l’a entendue. Hathor a choisi l’enfançon que je fus, elle a veillé sur lui, donnant toutes les chances… pour les reprendre après.

Où est-il, ce corps qu’elle m’a promis ? Je suis mort, je n’en ai plus besoin. Je suis mort mais j’ai faim. Je vois devant moi la table mise, je vois des mets succulents, des plats dressés, bien odorants, dont le fumet me fait défaillir de désir. Manger !! C’est tout ce que je souhaite. Sentir sur ma langue le goût du sel, du sucre, celui de l’amertume et de l’acidité. Retrouver la sublime jouissance qui s’empare de l’esprit lorsque le ventre est bien rempli.

Aller doucement s’allonger sur une molle couche de mousse pour se la couler douce en votre nom à tous. Et doucement glisser du sommeil vers le réveil sensuel, la sieste amie d’Éros et l’estomac repu. Ventre affamé n’est dur que d’oreille, ventre rassasié devient dur de partout. Elle m’attendait. Elle m’accueille en son paradis. Je suis mort et par la grâce de son corps plein de vie je connais la suprême extase. 

Qu’a-t-on besoin d’un corps pour vivre ? Qu’a-t-on besoin du monde matériel pour jouir et s’épanouir ? Les morts aussi font l’amour, mes chéris. Être mort, c’est une façon comme une autre de mener sa vie. C’est un choix tout à fait respectable. Beaucoup l’ont fait, bien d’autres le feront, chez les humains surtout. Les dieux n’ont pas permis que nous vivions longtemps. Ils ne nous ont donné que 120 ans de vie, Hathor me l’a bien dit. C’est fixé pour toujours, c’est prévu, c’est ainsi. 120 ans ? Balivernes ! J’ai vécu mille et cent. Mort enfin, me voici sur l’autre versant du vivant. Et la vie continue tout pareil ! La surprise est de taille. J’ai quitté la vie sans rancune, je n’aurais plus jamais mal aux dents. (source) Quoique…

Qui perd son bras souffre de ce bras mort comme s’il était toujours là. Qui perd son corps éprouve encore des désirs physiques, manger, câliner, boire, respirer, marcher. Tous ces petits riens qui font la magie de la vie, faut-il y renoncer ? Faut-il les oublier ? L’autre monde est le miroir de celui-ci. Je passerai au travers. On peut revenir d’entre les morts. J’en fais mon nouveau défi. Ma chair s’est dissoute dans le ventre des orques, je suis orque. Si je reviens ce sera dans un corps d’orque.

Par Hathor mi amormis à mort? ! Je suis mort, pourtant je vis encore. Jouet des puissants, plaisir des grands, je me suis fait petit, j’étais fini, mon cœur à nu, enfin je ne suis plus. Or me voilà vivant, viril, pareil qu’avant. De grands prodiges ont fait mon lit, de quels festins sera fait mon destin ?

Dans un grand feu grégeois qui me laisse aveuglé, j’entends résonner l’écho d’un oliphant. Une voix divine tombe du ciel noir d’encre. Tout s’éclaire, c’est la Déesse ! Pleine d’amour et de tendresse, elle vient vers moi chantant le doux hymne qu’elle composa pour moi. Hathor, ma Reine, ma Déesse ! Hathor, mon tendre amour perdu… Hélas ! Je ne suis plus. Et déjà tu t’effaces…

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La ballade d’Hathor

I

Chante, Hénoch. Chuchote tout près
Tes mots d’amour humains.
De ma Création tu sauras les secrets.
 L’amour coule en chacun par l’effet de ma grâce 
Et toi tu es parfait chaque jour que je crée.
Je rêve que tes bras m’enlacent. 
Amour, laisse-moi écouter
Ton chant à tes côtés.

II

Chante avec moi Hathor, bénis mon infortune.
Sois ma compagne. Tu veilleras sur moi.
Je veux tenir ta main pour marcher sous la lune,
Comme on l’a fait sur Terre, souviens-toi.
Je souffle l’aile d’un papillon
Dans tes cheveux soyeux.
Jusqu’à la fin du monde attendrai-je tes yeux ?
Jouer du luth, s’aimer, comblés nous dormirions.

III

Invente-moi la nuit étoilée de Vincent,
Il y a concert au paradis.
Baroque et triomphal sonne un clairon puissant
En l’eau calme d’un lac Hathor voit son reflet.
Hénoch ne l’a pas remarquée.
Reviens vers moi, a-t-elle dit,
Et vois combien tu m’as manqué !
Hénoch, souviens-toi,  s’il te plaît !

IV

Hathor sort ses pieds hors de l’eau,
Enoch ne voit que le reflet du ciel trembler.
Il lave son visage et ses bras dans le flot. 
Il est triste. Accablé.
Hathor s’écrie des profondeurs:
Qu’importe les humains ?
Mon but est mon chemin.
Mais toi, quand reviens-tu, mon cœur ?

V

Enoch aime rester la nuit à ciel ouvert.
Il joue à déchiffrer des mots dans les étoiles.
Il se sent seul et vide. Hiver.
La nuit est froide et les arbres sans voile.
L’ultime feuille en tombe avec un bruit très doux.
Quelle étrange impression, dit Hénoch.
J’ai cru sentir quelqu’un au loin. Etait-ce vous?
Courage, Hénoch !
C’est tout.

VI

Prends-moi le cœur Hénoch,
Sens comme il pèse lourd.
Sens comme il bat pour chaque âme qui sourd 
De tout lieu, toute époque.
Les ai-je vraiment toutes ?
C’est mon but, à ton tour
Il faut que tu m’écoutes.

VII

Je sais que tu étais assis
Dans l’eau du lac, aussi
Tu ne pouvais voir mes pensées.
Nous n’irons pas plus loin. Assez
Pour aujourd’hui. J’ouïs
Les échos du cache-cache 
Entends-tu qu’ils jouent sans relâche
Dans le dédale de l’esprit ?

VIII

(Lacune. Texte manquant)

IX

Voici mon chant pour toi, Déesse:
« La Lune laisse
Le ciel gelé au dur Soleil
Qui étend ses rayons et qui baye aux corneilles
Aux arbres d’or que rien ne réchauffait
Ni le Soleil ni l’onde
La Lune applaudit ce méfait
Tandis qu’Hathor revêt sa cape bleue profonde ».

(source)Sergio Figallo, adaptation Xavier Séguin

Répétons la Vérité sans cesse car le Mensonge est répandu constamment et par le plus grand nombre : dans la presse et les livres, à l’école et à l’université, partout il exerce son emprise.
Johann Wolfgang von Goethe