L’antique Brocéliande, c’était la grande forêt qui couvrait jadis tout le centre de l’Armorique à l’endroit où le plateau granitique se transforme en chaîne de collines, qui forment l’épine dorsale de la péninsule.
De cette grande forêt primitive ne subsistent plus que quelques traces, saupoudrées dans chaque département, sur la chaîne centrale. C’est ainsi que le Finistère a la forêt de Huelgoat, les Côtes d’Armor, celle de Loudéac et la colline magique de Croquelien, tandis que le Morbihan et l’Ille-et-Vilaine se partagent celle de Paimpont, la seule qui ait conservé l’appellation mythique de Brocéliande, la mère de toutes les forêts. C’est inexact et c’est injuste pour les autres.
Si ténue soit-elle, chaque bribe de la forêt magique du centre Bretagne mériterait ce nom. Mais on ne prête qu’aux riches… et la forêt de Paimpont a tout accaparé, riche de hauts lieux magiques aux noms faits pour rêver : Néant, Folle-Pensée, le Val sans Retour, le Miroir aux Fées, le Jardin aux Moines, le Tombeau de Merlin, l’Hôtié de Viviane, le Saut du Loup, Trompe-Souris, le château de Comper, le château de Josselin, le chêne à Guillotin, le Tombeau des Géants, le Hêtre de Ponthus…
Brocéliande a sa perle secrète, la Fontaine de Barenton, qui vit naître les amours de Merlin et de la fée Viviane. Le vieil enchanteur aimait méditer près de la fontaine. Or un beau jour, dans un grand murmure de soleil et de gazouillis d’oiseaux, droite et menue sur la mousse, la fée survint. De nos jours encore, il n’est pas rare d’y croiser ces deux habitués, Merlin trônant sur le perron de la fontaine, et la belle Viviane près de lui.
« Ô bois d’enchantement, vallons, sources fécondes
Où se sont abreuvés tous les bardes du monde »
Pays de haute magie et de grande légende, hanté par les souvenirs de l’enchanteur enchanté, mais aussi forêt de haute futaie et de grande randonnée, hantée par les touristes et les troufions. Dieux merci, les lieux sacrés savent se protéger ; ils font une bulle opportune autour du chercheur de vérité. Pour découvrir la magie envoûtante du Val sans Retour ni pollution, allez-y plutôt de nuit. Mais gare : la pleine lune fait sortir les loups du bois, garous ou pas. Allez-y mollo, mais allez-y quand même…
Les pioupious du camp militaire de Coëtquidan raffollent des sites sacrés pour leurs opérations douteuses : des manœuvres mal orchestrées dans le noir, comme dit le film. Quelle est donc cette nouvelle marotte militaire ? Un peu partout dans le monde, l’armée s’approprie les hauts lieux de spiritualité qu’elle confisque. Que ce soit dans la forêt de Brocéliande ou dans le Wiltshire, que ce soit à Roswell, à Dachour ou sur le plateau du Larzac, les camps militaires ont l’art de se poser là où ça se passe.
On dirait que les états-majors ont un faible pour le sacré… ou qu’ils ont des secrets à cacher. Avant qu’ils s’en prennent à Chartres ils ont squatté les pyramides : celles de Dachour, au sud de Saqqara, à savoir la Rhomboïdale et la Rouge attribuées à Snefrou père de Khéops. Elles sont fermées au public depuis des années. Une base militaire y est entourée de barbelés. A Gizeh, un mur de la honte enserre le plateau pour protéger la Grande Pyramide de toute intrusion non autorisée…
Leurs activités dans ces lieux sacrés ne sont pas anodines. En fait, ils étudient soigneusement la question. Ils photographient, enregistrent, mesurent avec leurs moyens lourds : hélicos, radars, lasers, scanners, compteurs et détecteurs divers, informatique, photos aériennes. Ils savent très bien ce qu’ils cherchent. De nombreux témoins les ont vu près d’Avebury et de ses alignements mégalithiques, occupés à photographier les crop circles qui ornent les moissons.
Bien entendu, ils observent le silence total sur ces recherches, allant jusqu’à en nier l’existence. Mais ça les intrigue. Et même beaucoup plus que ça. Pour l’état-major ce sont « des initiatives individuelles difficiles à contrôler. » A d’autres ! La vérité est ailleurs. Ne comptez pas sur la Grande Muette pour ouvrir le bec. Notez que l’implantation d’un camp militaire en plein lieu sacré a aussi ses bons côtés : l’armée protège le périmètre contre l’invasion du tourisme …et du béton.
Les pétales du temps tombent sur les halliers
D’où soudain de ses bois écartant les ramures
Sort le cerf que César orna de son collier
L’hermine s’y promène où la source murmure
Et s’arrête écoutant des reines chuchoter
Aux genoux des géants que leurs grands yeux émurent
Chênes verts souvenirs des belles enchantées
Brocéliande abri célèbre des bouvreuils
C’est toi forêt plus belle qu’est ombre d’été
Comme je ne sais où dit Arnaud de Mareuil
Broussaille imaginaire où l’homme s’égara
Et la lumière est rousse où bondit l’écureuil
Brocéliande brune et blonde entre nos bras
Brocéliande bleue où brille le nom celte
Et tracent les sorciers leurs abracadabras
Brocéliande ouvre tes branches et descelle
Tes ténèbres voici dans leurs peaux de mouton
Ceux qui viennent prier pour que les eaux ruissellent
Tous les ans à la fontaine de BellentonAutre nom de Barenton
(source)Louis Aragon, Brocéliande