Il y a six ans, j’ai publié un article intitulé Pierres molles, qui raconte comment les Incas ou autres bâtisseurs des cités cyclopéennes des Andes auraient ramolli la pierre à l’aide d’une plante particulière. Cette légende, si elle s’avère, peut apporter une solution au transport et au levage de ces énormes blocs.

Le professeur Davidovits, chimiste de métier, a cherché lui aussi une réponse à cette question lancinante. Les archéologues réfutent l’hypothèse, surtout parce que Davidovits ne fait pas partie du sérail. Pensez donc, un chimiste ! s’exclament-ils avec mépris. Ils ne sont pas futés, donc ils réfutent, aveuglés par la foi naïve dans un passé dépassé. Ils sont les seuls à encore y croire.

Ne pas être un universitaire est un atout pour tout chercheur. Mes lecteurs connaissent mon refus viscéral des théories dominantes. Je les démolis une à une avec un plaisir jubilatoire.

L’hypothèse de Davidovits

La thèse de Joseph Davidovits témoigne d’une avancée décisive dans la théorie des pierres molles : le béton de calcaire. Je ne résiste pas au plaisir d’égratigner un peu Wikipédia en la citant. Les encyclopédies sont retardataires par vocation. Mais elles restent précieuses. Une boussole qui indique le sud est tout aussi utile qu’une autre. Il suffit de le savoir, et de prendre le contrepoint. C’est ce que je fais avec Wikipédia.

La théorie selon laquelle des pierres moulées ont été utilisées pour certaines parties de la construction des pyramides égyptiennes est soutenue depuis 1978 notamment par l’ingénieur chimiste Joseph Davidovits. Elle suggère que les blocs de pierre des pyramides d’Égypte n’auraient pas été taillés, mais moulés, à la manière du béton.

Cette théorie tente d’apporter des réponses aux difficultés liées au transport, au levage, ou à l’ajustement très serré des blocs, ainsi qu’à d’autres questions réputées insolubles, comme la fabrication de statues et de vases de pierre dure aux formes fines et à l’aspect de surface soigné, qui semblent impossibles à réaliser par des méthodes de taille, surtout à une époque où l’outillage était de pierre et de cuivre.

Selon Joseph Davidovits, le calcaire argileux, naturellement présent sur les lieux de la construction, a été désagrégé dans l’eau, puis mélangé à un liant essentiellement constitué de natron et de chaux. Ce mélange, versé sur place dans des moules, se serait alors solidifié pour former une pierre agglomérée, aussi solide qu’une pierre naturelle. Joseph Davidovits et son équipe ont procédé à des expériences de moulage de pierres en grandeur nature qui ont montré la faisabilité de la méthode. (source)

L’hypothèse est plus qu’intéressante, mais si l’on s’en tient à cet exposé vaseux, on a peu de chance s’y arrêter. Cette nouvelle piste est pourtant explosive à plus d’un titre. Tout en ayant le rare mérite de mettre en avant des preuves géologiques qui semblent sérieuses, sinon irréfutables.

En se livrant à un examen approfondi de la texture intime des différents blocs, Davidovits a fait une découverte étonnante. En voici la genèse.

Des preuves géologiques

À l’époque préhistorique, la plus grande partie de l’Égypte actuelle était submergée. Sous-marine. Les restes en décomposition d’organismes marins, coquillages et squelettes, plantes, algues et algues, tombés au fond de la mer, ont formé une boue qui s’est condensée en une roche sédimentaire appelée calcaire.

Au cours d’un processus naturel qui dura des milliers d’années les consolida et les durcit, formant des bancs de calcaire. Les blocs pyramidaux sont constitués de ce calcaire, une roche sédimentaire formée de squelettes et de grandes coquilles fossiles d’organismes marins. Ces restes fossiles se trouvent normalement dans des couches sédimentaires horizontales.

Pourtant, observant les pierres de la Grande Pyramide, le Professeur Davidovits a trouvé les couches sédimentaires désorganisées, désordonnées, comme si elles avaient été mélangées artificiellement. Par quel étrange moyen ?

Après mûre réflexion et examen complémentaire, Davidovits note un autre fait troublant. Il constate  dans la pierre des pyramides la présence de bulles d’air, de fibres organiques, d’os et de dents d’animaux. Autant de matériaux étrangers qu’on ne peut trouver dans le calcaire naturel. Faut-il y voir une preuve supplémentaire du caractère artificiel de ces pierres ?

La photo qui suit photo un échantillon de roche du passage ascendant de la grande pyramide de Khéops. Elle a été donnée par l’égyptologue français Jean-Philippe Lauer en 1982 à J. Davidovits. Comme on peut le voir, la section est caractérisée par la présence de fibres organiques et de bulles d’air qui n’existent pas en situation normale, en particulier dans un calcaire datant de 60 millions d’années!

 Davidovits parvient à cette conclusion stupéfiante. Les prétendues pierres seraient en fait du calcaire pulvérisé, mis en moule avec un durcisseur. Une fois sec, ce mortier de calcaire se révèle aussi dur que la pierre d’origine. Le chimiste imagine que les blocs gigantesques auraient été coulés sur place, comme un vulgaire mur en béton. Hypothèse hardie qui résout bien des énigmes… mais soulève d’irritantes questions.

Pour moi, l’affaire est classée. Il n’y a rien de naturel dans ces pierres. Et les questions se multiplient. Pourquoi seuls les bâtisseurs des pyramides de Khéops, Képhren et Mykérinos ont utilisé cette brillante technique ?

Comment se fait-il que cette technique de construction n’ait été utilisée que pour les pyramides de Gizeh au Caire, ou celles de Séti 1er à Abydos ? Pourquoi le secret s’en est-il perdu ? Pourquoi les descendants de Khéops n’ont utilisé que de petites pierres ou des briques ? Pourquoi n’ont-ils construit que des pyramides incapables de résister à l’épreuve du temps ? 

Un choix inexplicable

Un autre fait vient apporter un éclairage supplémentaire. La structure géologique du plateau de Gizeh, où s’élèvent les trois grandes pyramides, révèle deux veines distinctes, une de calcaire dur, l’autre de calcaire tendre. Selon le géologue Thomas Aigner et l’égyptologue Mark Lehner, la surface originelle de la formation de Mokkatam, qui constitue le soubassement des pyramides, est constituée de calcaire très dur de type nummulite.

Au contraire, l’affleurement qui plonge dans l’oued, où se trouvent les carrières, ainsi que la tranchée entourant le Sphinx et le corps du Sphinx, sont constitués de couches calcaires marneuses plus denses et plus tendres, avec une quantité relativement élevée d’argile.

Les constructeurs ont extrait les pierres dans les calcaires plus tendres et densément stratifiés de la partie sud de la formation de Mokkatam, mais ils ont fondé les pyramides sur la rive nord, en nummulite. Pourquoi ne pas avoir bâti la pyramide dans le calcaire le plus résistant ?

N’importe quel architecte aurait opté pour cette solution. Sauf si le calcaire tendre ne devait pas être utilisé tel quel. S’il était destiné au broyage et au durcissement, par exemple. Dans ce cas, un calcaire moins tendre n’aurait pas convenu. Ce fait troublant peut constituer une autre preuve géologique de la théorie de Davidovits.

Réinventer le béton antique

Ce dernier s’est souvenu qu’il était chimiste de formation. Du coup il a inventé une nouvelle famille de béton, fabriqués à partir de roches tendres type calcaires, les bétons géopolymères.

Australie, octobre 2015. L’aéroport de West Wellcamp (BWWA), à Toowoomba, dans le Queensland, est le premier aéroport public australien à être construit en 48 ans. La BWWA est devenue pleinement opérationnelle avec des vols commerciaux exploités par Qantas Link en novembre 2014.

Trente ans après l’invention du ciment géopolymère aux États-Unis, chez Lone Star Industries (ciment Pyrament), ce projet marque une étape très importante dans l’ingénierie – le plus grand projet de béton géopolymère au monde à ce jour. BWWA a été construit avec environ 40 000 m3 (100 000 tonnes) de béton géopolymère, ce qui en fait la plus grande application de cette nouvelle classe de béton au monde. Le béton géopolymère mis au point par la société Wagners, connu sous le nom de Earth Friendly Concrete (EFC), s’est révélé bien adapté à cette méthode de construction en raison de ses caractéristiques de résistance élevée à la traction par flexion, de faible retrait et de maniabilité. Le béton géopolymère renforcé, d’une épaisseur de 435 mm, utilisé pour les chaussées des échangeurs, des aires de trafic et des voies de circulation accueille un cargo 747 lourd pour le trafic aérien régulier entre l’aéroport Toowoomba-Wellcamp BWWA et Hong Kong. (source)

Le béton de Tihuanaco

Joseph Davidovits ne s’est pas arrêté à ce succès commercial. L’étude des pyramides de Gizeh ne lui semblait pas suffisante. Avec son équipe internationale, il a entrepris les mêmes recherches sur les pierres des cités des cimes, dans les Andes. Le résultat est strictement identique.

Au cours du 10ème Geopolymer Camp de 2018, le Prof. Joseph Davidovits a présenté les dernières recherches entreprises par son équipe sur les mégalithes de Tiwanaku (Tiahuanaco) / Pumapunku. En Novembre 2017, une équipe internationale de scientifiques (un géologue de Universidad San Pablo de Arequipa, Pérou et un membre du Geopolymer Institute / Institut Géopolymère) est allée sur le site pour étudier les différentes pierres et monuments. Joseph Davidovits et son équipe ont ensuite effectué différentes analyses au microscope (lame mince) at au microscope électronique à balayage MEB. Ils ont découvert de la matière organique dans la roche volcanique andésite, ce qui est impossible dans la nature. Cette découverte suggère une roche artificielle géopolymère et en plus une possibilité de datation au C-14 (recherche prévue). (source)

Je tenais à vous présenter les travaux de ce découvreur, et leurs applications économiques. L’étude du passé lointain mène assurément à un meilleur futur. Non seulement le béton géopolymère était employé il y a des milliers d’années, mais on l’utilise à nouveau, en le considérant comme le béton le plus innovant jamais mis au point par notre civilisation. Faut-il encore d’autres preuves de notre passé hyper technologique ? Ceux qui ne veulent pas y croire refusent tous les arguments, ceux qui y croient déjà n’en ont pas besoin. Alors dites-moi pourquoi j’écris ?

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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