La pratique de la sweat-lodge est un cadeau du Grand Esprit. Tous ceux qui ont eu le privilège d’essayer comprendront de quoi je parle. Voici en quelques lignes mes souvenirs d’une période bénie, où la folie le disputait à l’innocence, où les visions succédaient aux transes profondes et aux sorties de corps.
Nos pouvoirs subtils sont nombreux, mais nous les avons oubliés. Se repérer sans boussole ni carte ni GPS, c’est tout à fait possible. Il suffit d’écouter les secrets des arbres, de lire la mémoire des pierres et d’entendre la voix de la nature. Les scouts m’avaient appris à m’orienter en forêt à l’aide d’un truc soi-disant infaillible : la mousse sur le tronc des arbres. Sous le couvert du feuillage, il est vrai qu’on ne voit pas le ciel. S’orienter avec les ombres ou la position du soleil devient une gageure. Reste le coup de la mousse. Elle est censée pousser sur la face nord des troncs. En réalité, c’est bidon. La mousse pousse où c’est le plus humide, nord ou pas. Les arbres ont une tout autre utilité.
Pour s’orienter, les Sioux Lakotas ont une technique plus sûre et plus pratique que la mousse sur les arbres. Je l’ai apprise en pratiquant le rituel de la sweat lodge – on dit aussi : hutte de sudation, mais ça craint. Avant d’entrer dans la hutte, on se tourne vers les quatre points cardinaux, pour invoquer les esprits des ancêtres et les animaux tutélaires. Chaque point cardinal a sa personnalité et ses symboles différents des trois autres. On peut le ressentir clairement dès qu’on en a pris l’habitude.
C’est ainsi qu’on éduque son corps à sentir le nord, l’est, le sud et l’ouest. Cette perception subtile se travaille en s’aidant d’une boussole, dans un espace dégagé, à la campagne. On s’oriente vers chaque point cardinal, on s’intériorise, on étalonne ses perceptions. A chaque point correspond un ressenti différent. Avec un peu de pratique, le guerrier sait s’orienter sans boussole et se diriger à coup sûr. Il a éduqué son corps, retrouvé un de ses pouvoirs perdus. A l’heure du GPS, cet apprentissage représente sans doute un effort inutile. Mais sait-on jamais dans quel but on s’entraîne ?
« Dans le rite de l’Onikaghe – la hutte de sudation – interviennent tous les Pouvoirs de l’Univers : la Terre et tout ce qui naît d’elle ; l’eau, le feu et l’air. L’eau représente les Êtres-Tonnerre qui apparaissent d’une manière terrible, mais apportent des bienfaits ; car la vapeur qui sort des pierres dans lesquelles gît le feu, est effrayante. Mais elle nous purifie et nous permet ainsi de vivre comme le veut le Grand Esprit. Si nous devenons réellement purs, il se peut même que le grand Esprit nous envoie une vision » (source)Héhaka Sapa, Les rites secrets ds indiens sioux, p. 77
Il faut croire que nous avons dû devenir très très purs, car plusieurs fois le Grand Esprit nous a donné le pouvoir de sortir de nos corps ! Nous nous retrouvions en pleine conscience à quelques mètres au-dessus de la hutte, batifolant dans nos corps astraux, loin de la douleur cuisante causée par la vapeur brûlante quand mon benefactor balançait un plein seau d’eau sur les pierres rougies par les flammes. Cette période de ma vieles années 90 m’a laissé une poignante nostalgie. Nous étions animés d’une même foi, engagés dans une même quête, accompagnés par l’effarante personnalité de Jean-Claude Flornoy, mon benefactor, hydro-électricien, maître cartier et potier en son domaine le long de la rivière Mayenne. Voici quelques-uns de mes souvenirs de ces huttes fabuleuses.
La hutte de sudation se présente comme une tente circulaire composée d’un bâti de branches de saules recouvert de fourrures ou de couvertures. Le saule a son importance, car son écorce contient un antidouleur naturel qui sera apprécié pendant le rituel. C’est de l’écorce du saule qu’on extrait l’acide acétylsalicylique, plus connu sous le nom d’aspirine. Sur un grand feu voisin, l’homme du feu fait chauffer à blanc des pierres, volcaniques de préférence afin qu’elles résistent à l’éclatement. Elles doivent virer au rouge vif avant que l’homme du feu ne les introduise sous la hutte à l’aide d’une fourche. Au centre de la hutte a été aménagée une cavité où les pierres vives sont déposées avec soin.
Quand la porte de la hutte est refermée, le célébrant asperge les pierres d’une bonne quantité d’eau pour qu’elles dégagent une épaisse vapeur bouillante qui redescend sur les épaules nues des guerriers. Par le biais de cette morsure, les guerriers se relient au cosmos. On a envie de crier. Le célébrant lance un chant sioux pour détourner notre attention de la douleur qui est très vive.
« Tatanka Wamaniyé Até eyelloh Chanunpa ya titchu pitchu Yéni Pictélo Até eyelloh » le chant du bison blanc et du calumet sacré. Tout le monde se met à chanter, les voix s’affermissent peu à peu, alors le célébrant remet deux ou trois louches d’eau sur les pierres. A sa guise, il peut aussi brûler de l’encens, faire chanter un bol tibétain, jouer de la guimbarde ou entonner d’autres chants de pouvoir.
Chaque période entre deux ouvertures de porte s’appelle une porte. Une hutte peut en compter jusqu’à cinq. Mais le rituel ancien des Sioux Lakotas n’en prévoit que quatre. Voici la fin de la première porte racontée par un Sioux : « Puisse ce feu sacré être toujours en notre centre, ô Wakan Tanka, aide-nous dans ce que nous allons accomplir ! »
« L’officiant principal asperge alors les pierres avec de l’eau, une fois pour notre Grand-Père Wakan Tanka, une fois pour notre Père Até, une autre fois pour notre Grand’Mère Unchi, une fois aussi pour notre Mère Ina la Terre, et une dernière fois pour Chanunpa le Calumet. Pendant que la vapeur s’élève et emplit la loge, l’officiant s’écrie : « Ô Wakan Tanka, regarde-moi ! Je suis le peuple. En m’offrant à Toi, j’offre le peuple entier comme un seul être, afin qu’il vive. Nous désirons renaître. Aide-nous » (source)Héhaka Sapa, Les rites secrets des indiens sioux
Une hutte se célèbre à la pleine lune. La phase de la lune détermine la qualité de la hutte. Décaler de deux jours pour tomber sur un week-end est à proscrire. Une hutte dure habituellement entre vingt minutes et une heure. Régulièrement, le célébrant soulève la porte pour faire sortir la vapeur. Dans l’étuve, on aspire de tout son corps le peu de fraîcheur qui entre avec l’air extérieur. Et la porte se referme, et c’est reparti pour un tour. Jusqu’à ce que, tout à coup, la magie opère.
Si Wakan Tanka le permet, un à un, les guerriers sortent de leur corps et se promènent à leur gré dans l’immensité sans limite. Mais d’autres sortent carrément de la hutte : leur corps n’a pas pu supporter la brûlure et l’ouverture totale qu’elle entraîne. Après la hutte, la douleur s’évapore avec l’eau, il ne reste que les souvenirs du voyage. Alors vient le tour de parole : l’un après l’autre, chaque participant met ses mots sur ce qu’il vient de vivre. Et la hutte est finie. La pratique de la hutte est un rude exercice. Mais le rituel marche ! Mieux que ça : il est vertigineux, jubilatoire. Un des plus sûrs moyens de passer dans la lumière blanche du monde de l’énergie, par-delà l’émotionnel.
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