Plus j’apprends, plus je comprends que je ne sais rien, a dit Socrate. C’est aussi ma devise. Plus ça va, moins ça se voit. Plus je sais, moins je saisis. Qu’est-ce qu’il se passe ? Est-ce qu’on sait ?
Mes biens chers frères, vous me faites braire, allez donc vous faire traire, disait un curé de mon enfance. Honni soit qui mal y pense ! Ce curé m’a fait piger un truc : quand Jésus nous appelle ses brebis, ce n’est pas une image, c’est vrai. Des vaches à lait. Nous sommes ici bas pour nous faire traire, mes biens chers frères.
Si tu laisses quelqu’un prendre en main ton destin C’est la fin. La fin.
Quand je dis ça, je ne dis rien. Je constate. Pourtant la minute suivante, je constate le contraire. Avec la même force. Nous sommes ici bas pour aimer. L’amour est partout où je regarde, où mon regard se pose, où me portent mes jambes. Nous sommes là pour aimer. Balavoine chantait : Aimer est plus fort que d’être aimé. Qui aime se donne. Qui se donne existe. Son cœur se consume dans le feu vif de l’amour.
Nous sommes tous des visiteurs de ce temps, de ce lieu. Nous ne faisons que les traverser. Notre but ici est d’observer, d’apprendre, de grandir, d’aimer… Après quoi nous rentrons à la maison.
C’est l’image du Sacré Cœur de Jésus. Sacré comme ton cœur, comme le sien, le mien, le vôtre à tous. Il brûle haut et clair, tu fais rôtir ton égoïsme dans son brasier. Tu te consumes d’amour. Pour qui tu brûles ainsi ? Pour personne. Pour tout le monde, pour tout ce qui vit. Pour rien, pour le plaisir. Et puis ça change encore. L’absurdité de la condition humaine me saute à la gorge.
La condition humaine est comme celle des troupeaux qui trottent dans la poussière, conduits à l’abattoir au son du galoubet, par d’interchangeables bergers.
J’étais hédoniste, stoïcien, épicurien, me voici existentialiste. J’étais déprimé, me voici joyeux, dynamique, étincelant. Je n’avais jamais la patience d’attendre, me voici qui bat la semelle à la porte du temps. Je ne connaissais que très peu de gens, me voici en lien avec des dizaines d’amis, des centaines de correspondants. Et demain, sans doute, nouveau décor, tout va changer encore. Ces revirements incessants m’épuisent et finiront par lasser mes lecteurs. Ou pas ?
N’oublie jamais que tout est éphémère, alors tu ne seras jamais trop joyeux dans le bonheur, ni trop triste dans le chagrin.
La quête de la vérité me hante. Mais quelle vérité ? Y a-t-il seulement quelque chose qui s’en approche ? Ou bien chacun a-t-il sa vérité propre, forgée au fil d’une vie faite de hauts et de bas, de plaies et de bosses, d’amour et d’ennui ? Parfois je croyais tenir un fil sacré, je m’y accrochais, il m’emmenait sur des hauteurs insoupçonnées, puis je dégringolais au fond d’un précipice interminable. Pas comme le puits sans fond où tombe la pauvre Alice. Mon puits à moi ne mène pas au Pays des Merveilles. Il donne sur un désert sans vie.
Nous ne nous approchons de la vérité que dans la mesure où nous nous éloignons de la vie.
Deux doigts me saisissent par le col et m’enlèvent vers les nues à une vitesse vertigineuse. Je voudrais protester, je sais que c’est inutile. Impossible de m’en tenir à une ligne de conduite, ce n’est pas moi qui tiens la barre. Je suis un jouet dans la main de plus puissant que moi. Un tout petit pantin au creux de la paume d’un géant. Comme Socrate ?
Non, pas vraiment. Socrate fut le jouet du destin et la victime expiatoire du pouvoir en place. Jugé corrupteur de la jeunesse, il fut condamné à mort pour l’exemple. À part quelques dates et l’épisode de la ciguë, on ne sait pas grand chose du philosophe le plus célèbre de l’antiquité. Seuls les écrits de son élève Platon nous apportent quelques lumières sur celui qui n’a rien écrit. Pas comme moi ! Mais Platon ne l’a pas toujours compris.
Le premier savoir est le savoir de mon ignorance : c’est le début de l’intelligence.
Nous avons pourtant quelques points communs, Socrate et moi. Il sait qu’il ne sait rien. Il interroge les gens sur ce qu’ils croient savoir. Il détruit leurs illusions et leurs fausses connaissances. Ils les pousse à penser par eux-mêmes. Ironique, il démontre aux héros qu’ils ignorent le courage, et aux élus qu’ils méconnaissent la politique. Socrate cherche à éveiller (source)la-philosophie.com par la pratique de la maïeutique, l’art d’accoucher les esprits.
Ils ont des yeux, qu’ils regardent ! Ils ont des oreilles, qu’ils écoutent ! Ils ont un esprit, qu’ils s’en servent ! Ils ont une bouche, qu’ils la ferment !
Mais son enseignement tourné vers l’éveil des consciences sera jugé dangereux par l’élite qui le condamne à boire la ciguë. Socrate accepte le verdict, continue à parler philosophie et meurt dans la sérénité. Son attitude exemplaire fait de lui un héros de l’humanité, dira Hegel. Socrate fonde sa philosophie sur la critique impitoyable des opinions humaines, ce qui va devenir un modèle pour toute la pensée occidentale.
Que celui qui veut mouvoir le monde se meuve d’abord lui-même.
Comme lui, je ne sais rien. J’accouche les esprits. Je suis un éveilleur. Je refuse les idées toutes faites, non parce qu’elles sont en kit, mais parce qu’elles sont fausses. Depuis Socrate, bien des penseurs ont voulu comme lui critiquer les opinions infondées, refuser les évidences qui n’en sont pas, user du doute pour bâtir un système de pensée fondé sur les bases solides. L’erreur est là. Tout système est contraire à la vie. Il la dénature, l’enferme dans son carcan.
L’existence fait éclater tous les systèmes.
Socrate n’avait aucun système. Moi non plus. Il s’en méfie. Moi aussi. Avait-il seulement une pensée traçable ? Ma tête est vide, aucune pensée ne la traverse, et quand j’écris, j’ignore quel mot va sortir sous mes doigts. Socrate dénonce les opinions, il pousse les gens à penser par eux-mêmes. Avec des mots simples, il explose les fausses certitudes.
Une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue.
C’est un éveillé. La lumière du soleil l’éblouit moins que la lumière intérieure. Il avance avec sûreté au cœur des ténèbres, car il sait où il va, même s’il ignore où il se trouve. Tous les chemins mènent à Athènes, et quel que soit le chemin qu’il suit, au bout il trouvera la coupe de ciguë. L’amer à boire. La mort. Il regarde les coureurs et se demande vers quel but ils se dépêchent ainsi. De quoi ont-ils si soif ? La mort à boire.
Le temps passé n’est plus et le futur n’est pas / Et le présent languit entre vie et trépas / Bref, la mort et la vie sont en tout temps semblables.
Il refuse l’apparence, il méprise le luxe et la mode. Il pratique la simplicité volontaire. Il n’a pas de belle voiture, ni le dernier modèle de smartphone. Sa toge est grossière, comme la robe des ermites. Que lui importe le quand-dira-t-on ? Il va son chemin, semant les questions, guettant les réponses, traquant les erreurs. Il se moque d’être populaire, il ne cherche pas de disciple, même si Platon en fut un.
Ne fais pas de disciple, tu n’aurais que des zéros !
Socrate pourrait être un modèle pour nous tous, malgré les millénaires qui nous séparent. Il est bien plus moderne que tous les philosophes qui l’ont suivi, Nietzsche excepté. Il a peut-être une étrange façon de parler, mais sa parole est forte. Je le trouve plus contemporain que ceux qui parlent le dernier jargon à la mode et qui n’ont rien à dire. Ceci étant, tout modèle qu’il puisse être, ne le suivez pas. Ne me suivez pas non plus. Ne suivez que vous-même.
« N’écoute les conseils de personne, sinon du vent qui passe et qui te raconte l’histoire du monde »
Socrate n’a rien écrit. Pas une ligne. En fidèle disciple, Platon l’a fait à sa place. Amplement. Il était moins extrême que son maître, il ne portait pas des vêtements grossiers, il était soigné de sa personne et nul aréopage ne l’a condamné pour le mauvais exemple qu’il donnait à la jeunesse. Pourtant il faut le lire et le relire encore. On s’y ennuie à périr. Et on y prend un plaisir extrême.
Toute réalité existe dans l’esprit. Le phénomène externe, ce qui apparaît, n’est que son expression extérieure. L’univers visible est le reflet de l’invisible.
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