Cerveau gauche, cerveau droit… Raisonnement, intuition… Logique, création… Architecte, poète… Le drame de notre époque est de refuser la moitié de nos cerveaux. Les scientifiques explorent-ils les bonnes pistes ? Se posent-ils les bonnes questions ? Les chercheurs ont souvent du mal à trouver la bonne hypothèse. Pour une raison symétrique, les voyants ont toujours du mal à dater leur voir.
Voir l’avenir est impossible, croit-on, parce qu’on ne peut pas être juge et partie. On ne peut voir le cours d’un fleuve à partir d’une barque sur laquelle on navigue. Comme le fleuve change sans cesse, comme on est dans une barque qui bouge, on ne peut prédire ce qui va se produire. Il faudrait voir le fleuve sous un autre angle. Alors comment fait le voyant ? Il se sert de son cerveau droit,Ou de son « côté gauche » pour parler comme Castaneda il utilise son double qui lui donne un point de vue extérieur. Disons qu’il se regarde depuis la rive du fleuve. Ou du dessus.
Mais cela ne l’aide pas à prédire les dates. Sur ce point, il est dans la même panade que le scientifique en manque d’hypothèse. Parce que l’acte de voir, ou bien l’intuition d’une hypothèse, nécessitent un engagement total dans le cerveau droit.
A l’opposé, la logique et la date relèvent du cerveau gauche. Il faut donc que le voyant ou le savant restent à cheval sur les deux hémisphères de leur cerveau. Ce qui n’est pas évident. Le cerveau gauche correspond à la logique, au rationnel. Le cerveau droit ouvre la porte au méta-rationnel. Chez les scientifiques, l’esprit logique est très développé, condition nécessaireEt non suffisante ! de leur activité. Ils refusent les sommets du cerveau droit, trop loin du confort rationnel où ils ont leurs marques. Ainsi la méthode scientifique se réduit-elle à la logique pure, au mépris des fulgurances de l’intuition.
A ce jeu, on sacrifie les hypothèses, on tourne en rond dans la myopie. Sans hypothèse créative, il n’y a pas de progrès scientifique. Il se trouve que notre civilisation nous cantonne dans le cerveau gauche.
Et pas seulement les scientifiques, on est tous concernés. Déjà, les anatomistes constatent que le cerveau droit est nettement moins développé que le gauche. Ils ont la preuve que notre cerveau droit s’atrophie. C’est le genre d’info énorme, ignoble, mais cette bombe laisse le téléspectateur indifférent, parce que le cerveau droit, pour lui, c’est comme une roue de secours quand on n’a pas d’auto.
Mais là, il se trompe lourdement. Ce qui le zombifie un peu plus. Parce que le cerveau droit, ou le côté gauchePour parler comme Castaneda c’est la clé de l’invisible, la clé de l’onde alpha, la clé du plan astral.
Au secours, v’là Descartes !
Avec notre cerveau gauche/côté droit, on raisonne, on calcule, on est un parfait outil de production. La productivité doit à tout prix éliminer les alternatifs et autres rebelles : artistes, éveillés, voyants, passants et mendiants de lumière. Plus l’avènement s’accomplira, plus l’ego sociétal se renforcera. Les puissants ne vont pas lâcher le morceau sans combattre. Tenir bon, s’en foutre, laisser sortir sa lumière, peu à peu le morceau de fromage va disparaître avec les rats. Selon Friedrich Nietzsche, cette overdose rationnelle s’origine quelque part en Grèce antique, quand le dyonisiaque, ou la démesure de l’hubris, laissa la place à l’apollinien, l’ordre juste, la lumière de la raison.
Pour l’occident, ce fut en effet un tournant décisif. Mais pour nous, Français, le vrai coup de grâce, ce fut un mauvais tour des cartes.
Cogito ergo sum, a dit René Descartes dans son poële, enfumé par le chanvre de Hollande, où il vivait. Je pense donc je suis. A-t-il fallu qu’il se creuse pour nous pondre un si bel œuf ! Voici l’histoire : cherchant une base solide où asseoir sa pensée, Descartes dirige une entreprise de démolition, le doute méthodologique. Avec lui, Descartes dégoupille toutes les infos qui nous parviennent : nos sens nous trompent, nos rêves nous trompent, nos femmes nous trompent,Non, là, je déconne. Désolé. rien ne résiste au doute cartésien.
De plus en plus exalté par les vapeurs cannabiques, il en vient à douter de sa propre existence. Flip total, l’herbe à pétunerVieux mot pour fumer est trop forte en Hollande, notre philosophe perd pied. A la toute fin, près de se noyer, René trouve cette terre ferme : « Je pense ! » Il se croit sauvé. « Si je pense, c’est donc que j’existe ! Et si j’existe, tout redevient possible ! » Le voilà re-né.humour Excité par sa trouvaille, il écrit sans se relire un petit bouquin carré, le Discours de la Méthode. Posant à l’oeuvre philosophique, il fait l’effet d’un brûlot existentiel.
Son bouquin narre par le menu la lutte désespérée d’un esprit qui s’ouvre et qui dans le même temps refuse absolument de s’ouvrir. Ce conflit basique et sordide aurait pu rebuter s’il n’était conté avec une certaine élégance, car Descartes a la défonce gracieuse. Aussi un éditeur hollandais prend-il le risque de le sortir sous le manteau.
Et là, stupeur : cet opuscule rencontre aussitôt un succès inexplicable et devient, comble de mépot, la règle à penser de la France pour les quatre siècles suivants… voire plus, car affinités. Voilà pourquoi l’Hexagone est carré. Alors que René, défonceman basique, s’était trompé lourdement. Etre ne se pense pas. Qui veut être, au contraire, arrête la pensée. Le flux mental fait obstacle à l’éveil, donc nous sépare de l’être. Dommage que René n’ait pas supporté le chanvre batave. C’est « je pense, donc je ne suis pas » qu’il fallait dire.
L’humanisme du 18e siècle a défini l’être humain de façon beaucoup trop restrictive : il l’a défini comme être pensant au lieu d’être vivant. (Claude Lévi-Strauss)
Oui, bien dommage. Sans le carcan du cartésianisme, l’Europe aurait gagné quatre siècles sur son chemin d’éveil. C’est quand même curieux que tout le monde ait gobé cette énormité sans mot dire. Tout le monde, non. Un petit îlot celte résiste encore à l’envahisseur. Un îlot qui par esprit de contradiction refuse de faire comme ces diables de Français : AlbionL’Angleterre du 18e siècle n’est pas tombée à pieds joints dans le piège rationnel. Au contraire, l’Angleterre a choisi le sensualisme. Privilégiant l’expérience, fuyant les systèmes, la sagesse anglaise Humephilosophe sensualiste anglais l’air du temps, sans se soucier de son costume en Locke.philosophe sensualiste anglais
L’invention majeure de Descartes, le rationalisme, ne fait pas bon ménage avec la métaphysique. « Le rationalisme se définit essentiellement par la croyance à la suprématie de la raison, proclamée comme un véritable « dogme », et impliquant la négation de l’intuition intellectuelle pure, ce qui entraîne logiquement l’exclusion de toute connaissance métaphysique véritable. » (source)René Guénon, Le règne de la quantité On peut se demander si le rationalisme cartésien n’est pas le socle sur lequel s’est bâti l’individualisme. Ce même individualisme dont les excès détestables empoisonnent aujourd’hui tous les aspects de la vie sociale.
Est-il encore temps de renverser la vapeur ? A-t-on les moyens d’y parvenir ? En avons-nous vraiment envie ? Lâcher l’individualisme et le rationalisme, c’est sombrer dans le collectivisme et la folie. Si le diable est dans les détails, il est plus souvent encore dans leur absence. Les généralisations hâtives qui gomment les différences subtiles sont plus diaboliques que le pinaillage.
Erreur commune : « Chaque jour, la Science recule un peu plus les limites du monde connu. »
Combien de fois n’a-t-on pas lu, sous la plume d’un vulgarisateur scientifique ou dans le micro des frères Bogdanoff, ce fameux cri de victoire « qui, en fait, est exactement le contraire de la vérité : jamais ces limites n’ont été aussi étroites qu’elles le sont par cette prétendue science profane, et jamais le monde ni l’homme ne s’étaient trouvés ainsi rapetissés, au point d’être réduits à de simples unités corporelles, privées, par hypothèse, de la moindre possibilité de communication avec tout autre ordre de réalité ». (source)René Guénon, Le règne de la quantité
Voilà comment se plaignait René Guénon il y a un siècle.
Depuis lors, la situation n’a fait qu’empirer.
Admettre que la vie humaine est gouvernée par la raison, c’est détruire toute possibilité de vie. (Sean Penn)