Categories: Méta-linguistique

Le sens caché du breton Diwan

 

Le breton Diwan est de formation récente, et pourtant ! Pourtant il contient en lui toute la sagesse des antiques langues de tradition orale, comme l’argot des bâtisseurs médiévaux ou la langue gauloise. Et le hasard n’y est pour rien.

Pour désigner une langue comprise des seuls initiés, on parle du langage des oiseaux. C’était la langue mystérieuse des bâtisseurs des cathédrales du Moyen-Age. Mais cette formule n’est pas exacte. Il faudrait dire langue des Oisons.

La différence est signifiante. L’oison n’est pas n’importe quel oiseau : c’est le petit de l’oie. Pourquoi l’oie ? En langue codée, les compagnons bâtisseurs des cathédrales se nommaient les enfants de la Mère l’Oie, ce qui signifie aussi, en langue des Oisons, produits de l’amère loi.

La langue des Oisons adore les jeux de mots, les calembours, les gauloiseries et les paillardises, car le sacré s’en nourrit aussi. 

Les bâtisseurs médiévaux avaient d’autres raisons de se nommer petits de l’Oie, notamment le Pédauque, ou patte palmée de l’oie, comme on l’a vu dans la Mère l’Oie. Revenons à nos Oisons et à leur belle langue.

Cette langue codée s’appelait l’argot. Plusieurs auteurs voient dans ce mot une déformation d’art goth, ou art gothique. Le lien entre l’art gothique et l’argot est trop évident pour être ignoré. Toutefois la filiation est inversée: c’est l’expression art gothique qui vient du mot argot, non le contraire.  Selon moi, l’origine de ce mot est Argoat, la Forêt Bretonne. Pourquoi ? Nous l’allons voir.

 

Brezhoneg : yezh ar gwazigou

Il y a deux Bretagnes, la grande et la petite. Et il y a deux Petites Bretagnes, Breiz-Uhel la Haute Bretagne, et Breiz-Izel la Basse Bretagne. Et puis il y en a deux autres, plus secrètes, qu’on appelle Armor la côte et Argoat les terres, le centre.

Armor veut dire la Mer, c’est le littoral pêcheur et touristique. Argoat veut dire la Forêt, c’est l’intérieur sauvage et secret. Argoat a donné argot. Voilà pourquoi l’argot est aussi nommé la Langue Verte : la lange de la forêt sauvage. L’argot est vert comme la forêt, mais aussi comme le Vert-Galant car il ne prend pas de gants, ses mots sont crus, voire triviaux. Mais ses images portent. L’argot est aussi la langue verte car c’est la langue du Petit Peuple de la forêt, toujours de vert vêtu, comme Pan et Peter Pan.

 

 

Ar Coët, ar Goat

L’Argoat est la Bretagne intérieure, la grande forêt qui occupait jadis le centre de la Bretagne, la gigantesque forêt d’enchantements et de sortilèges, Brocéliande, la mythique Mère Forêt dont on ne connaît plus aujourd’hui que la forêt de Paimpont. Toutes les côtes, toutes les forêts bretonnes abritent des Morrigans et des sorcières, des Korrigans et autres créatures maléfiques. Ou bénéfiques.

Les compagnons médiévaux parlaient Breton et Gaélique. Les jeux de mots des argotiques reposaient sur le Breton. Une bonne partie de la toponymie européenne et méditerranéenne vient du Breton. Cette dernière découverte m’a laissé sans voix, tant elle était inattendue. 

La langue bretonne actuelle a été fabriquée au milieu du siècle dernier. C’est une langue composite, mélange de plusieurs principaux dialectes bretons. Les puristes bretonnants se sont plaints, non sans raison, que ce néo-breton ne ressemblait à rien, et surtout pas aux savoureux dialectes de leurs grands parents.

Ceci pour une raison bien simple : il y avait jadis autant de dialectes que de paroisses ou de chapelles. Voici pourquoi.

 

L’échange et le secret

Les linguistes distinguent deux fonctions du langage, l’échange et le secret. En Bretagne, tandis que la langue des échanges régionaux ou nationaux était le français, le dialecte breton était utilisé comme un code secret, que seuls comprenaient les initiés, c’est à dire les locaux.

Ainsi d’un clocher à l’autre, les tournures étaient différentes, et le vocabulaire aussi, bien souvent. Au fil des siècles, plus personne ne s’y retrouvait dans cette myriade de dialectes bretons. Sans compter le mélange avec le Gallo, qui est le patois français de Haute Bretagne.

Pour fabriquer le nouveau breton universel, les universitaires de Rennes ont emprunté à deux courants principaux, celui de Vannes et celui de Paimpol. Après maints débats houleux, la langue nouvelle fut accouchée au forceps. Dans les villages, les vieux avaient peur qu’elle ne ressemble à rien.

 

 

Ar Manac’h

A présent la nouvelle langue bretonne est enseignée aux jeunes Bretons dans les écoles Diwan. Et à ma grande surprise, ce Breton recomposé fonctionne comme une langue initiatique et peut donner des clés à bon nombre de singularités linguistiques dans toute l’Europe, l’Afrique du nord et jusqu’en Asie. Tant il est vrai que les Bretons sont de grands voyageurs.

La langue française compte plus d’un mot breton : par exemple, baragouiner vient de bara, le pain et de gwinn, le vin. Il baragouine, il baragouine, le Breton qui débarque dans la capitale et qui demande du pain et du vin.

Le mot almanach est attribué à tort aux Arabes. N’importe quel bretonnant y reconnaît ar manac’h, le moine. Pourquoi le moine ? Il fut un temps lointain où les moines copistes cheminaient dans nos contrées pour apporter ce précieux recueil de préceptes et de leçons de vie, égrené au fil des jours et des saisons. C’était souvent le seul livre qu’on trouvait dans les chaumines fidèles à la tradition orale. L’almanach était sacré, comme le reste encore l’Almanach du Marin Breton. Aussi, quand on voyait arriver le moine et ses précieux recueils, on s’écriait joyeusement : Ar manach !! Le moine arrive. Le r s’est fait l, l’almanach était né.

On trouve dans les mers glaciaires un îlot qui jouxte le Groenland et qui s’appelle  Uummannaq. C’est l’île du moine, où quelque ermite breton avait pris résidence. On a reconnu dans Uummannaq une déformation de du manac’h, chez le moine.

Ensuite, dimanche. Les étymologistes voudraient absolument que ça vienne du latin die dominus. C’est vrai que d’autres langues européennes ont cette étymologie: domingo, etc. Mais pas notre langue. Di Manche, c’est di manac’h, le jour du moine, le jour de la messe au monastère.

 

Néo-langue

Qu’on me comprenne bien : je ne critique aucunement ceux qui étudient sérieusement le diwan. Au-delà de la mise en boîte, je n’ai qu’affection pour les grammairiens passionnés qui ont concocté cette néo-langue. Et enfin je les félicite chaleureusement d’avoir fait de ce Breton moderne, grâce à tous ceux qui l’étudient, la langue sacrée et collective qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être. 

Il faut croire que ceux qui l’ont élaboré étaient des sages –des initiés sans doute, inspirés en tout cas. A leur insu peut-être –mais j’en doute– ils nous ont rendu la très antique langue sacrée d’Hyperborée. Qu’ils soient bénis pour ce grand oeuvre.

La linguistique a très largement ignoré le Breton –qui est à mon avis tout ce qui reste de la langue Gauloise– parce qu’on n’étudie les langues anciennes que grâce aux textes. Nous vivons depuis des millénaires dans une civilisation de l’écrit. La lettre et le mot exercent leur emprise et imposent leur diktat.

Les Celtes évitaient l’écriture, ils étaient des conteurs, restés fidèles à l’antique tradition orale de leurs druides. Si le Gaulois se parlait dans toute la Gaule et bien au-delà, en tant que langue sacrée, il ne s’écrivait pas. Ce qui renforçait le côté initiatique de cette langue.

 

 

D’autre part, presque tous les maîtres d’œuvre des cathédrales étaient Irlandais ou Bretons, aussi trouve-t-on dans la langue verte des initiés beaucoup d’emprunts aux langues celtiques.

Kenavo gwazigou !Au revoir les Oisons

 

Xavier Séguin

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