L’archange Ellil

 

« Où est celui qui EST ? Où est celui qui dit : « Je suis le JE SUIS » ? Où est le Vivant, le principe sacré de toute vie ? » Voici la sainte question que l’archange Elle-il a pour mission de poser à tout être vivant d’où qu’il soit, où qu’Elle-il aille. Tout d’abord, Elle-il a pensé que c’était une blague… Un genre de bizutage, allez savoir ?

 

Our de l’Ourse

Débutant dans le métier, Elle-il se méfie des bizutages, c’est humain. C’est angélique aussi. Notre jeune archange de double d’une archangelle. Je l’appelle Elle-Il à cause de ce double sexe. Elle-il que j’écrirai Ellil, c’est plus court. On ne peut pas révéler son vrai nom. Va pour Ellil… Un pronom personnel qui colle à l’époque. Avec la mode des trans et des non-binaires, il fallait l’inventer.

Ellil porte un magnifique uniforme, une longue chemise bleu-nuit où scintillent des jonchées d’étoiles. Ellil adore cet unif. Son job ? Répandre la bonne parole, celle de l’Éternel. Et donner des notes aux planètes. Ellil adore ce métier qu’il ne connaît pas encore. L’archange/lle  est tout jeune, presque un enfant âgé seulement de deux fractions d’éternité. Pour un/e archange, c’est très jeune. Mais ça donne quand même deux milliards d’années terrestres. Et des brouettes. Ici, le temps paraît beaucoup plus long que là-bas. En Alcor. Sur Our, sa planète natale.

 

L’écran espion

Ellil a son franc-parler, mais dans sa tête et quand il n’y a pas de témoin. Sinon motus et bouche cousue. Son écran portable enregistre tout. Malgré son réacteur anal qui pète le feu, le voyage est un brin longuet. Ellil en profite pour gueuler en silence. « La bonne parole ? Quelle ânerie ! Demander à des êtres vivants s’ils le sont au courant ?! Bien sûr qu’ils le savent. Quand on est mort, c’est différent. On s’en rend compte. Moi je le demande à des vivants !! On croit rêver. Si ça se trouve, c’est une brimade. Le petit nouveau qu’on teste.  » 

Ellil se félicite d’être si intelligent-e. Mais sans moufter. En gardant le sourire. Son écran transmet tout en wifi chez les patronnes et les matrons.

Quelle chierie ! Faut que je demande aussi : « Sais-tu d’où tu viens ? »  C’est prendre les gens pour des cons. L’orteil ignore-t-il qu’il appartient à un pied, à un corps, à un être unique et vivant ? Tout le monde sait d’où il vient car il n’y a qu’une seule Source!!

Oui, sans doute. Tout le monde l’a su, mais qui s’en souvient ? Jeune Ellil, tu es trop vert-e. Jamais sorti-e d’Our, constellation de la Grande Ourse. Comment saurais-tu ce qui se passe dans le vaste monde ? Ellil a son écran. Ellil ne sait rien, pas besoin. Son écran voit tout, sait tout, comprend tout. Bon, c’est du pilotage à distance, surtout quand on débute. Mais faut bien apprendre. Les archanges apprennent toute leur vie. Comme dit leur proverbe : On fait ce qu’on peut, on n’est pas des dieux.

 

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Sur Terra

Ellil est envoyé-e sur Ter-Ra, troisième planète du système solaire, celle qui est bleue comme Ellil. Une voix synthétique sort de son écran. , »Cette planète sauvage fut découverte et aménagée par Déesse Ana, il y a 1,5 portions d’éternité. » Ce qui fait trois milliards d’années terrestres.

-Une planète jeune, se dit l’Archange-lle. Plus jeune que moi, en tout cas.

Ellil pose la question rituelle : « Précédente punition divine ?
-Positif
, » répond l’écran. « Circonstances ? » demande Ellil. « Villes de Sodome et Gomorrhe, destruction atomique, agent d’exécution punitive : Yahveh Dieu. »

Ellil repère une belle et noble ville, malheureusement gâchée par un grand suppositoire métallique pointé vers le ciel. Ellil se pose près du suppo, dans un jardin en long tiré à quatre épingles. Ça craint du boudin. Mais au lieu de faire la gueule, Ellil fait un grand sourire à l’écran qui l’espionne en wifi. Puis, courageusement, Ellil se met au boulot. Dès les premières réponses, c’est la cata. Nul ne sait d’où il vient, ni loup, ni gnou, ni nous, ni lynx, ni l’autre. Pire encore, tout le monde s’en fout.

Il y en a même qui l’insultent, qui lui balancent des quolibets ou des capsules de boissons pétillantes. Dégueu ! Ça poisse partout ! Ellil a bien envie de laisser tomber, mais il y a une procédure à respecter. L’envoyé-e s’approche du suppo de Satan. Arrivé-e au pied du grand grillage pointu, Ellil traverse une pelouse interdite. Quand ses pieds foulent la promenade, l’archange dénoue sa chevelure d’écailles et d’un geste lent, fait tomber sa chemise d’étoile. Sous les yeux de tous dans sa nudité splendide, on aurait dit la Lune posée sur l’esplanade.

-Venez dans mes bras, mes enfants, mes amours. Venez retrouver votre nature divine, chante Ellil.

Inutile refrain. Pourquoi tu t’entêtes ? Nul ne s’arrête. Oseront-ils te regarder ? Même pas. Ils sont tous trop pressés pour ça. S’ils te regardent, ils ne voient pas. Y a tant de trucs à faire. Trop d’ennuis. Tant d’affaires. Courir avant la nuit.

 

 

Un bipède importun

Un importun s’approche enfin. –Dis-donc le naturiste, elle est chouette ta liquette. Si tu n’en as plus besoin, je l’embarque et tu prends ces biffetons. 

Quoi ?! Ce bipède veut troquer ma resplendissante chemise d’étoiles contre des bouts de papier sale ? Ellil bronche et regimbe. Le bipède rigole en agitant le papier. -Vise les devises et mise ta chemise ! C’est du bon pognon, man ! Prends l’oseille et tire-toi !
Le bipède ajoute à mi-voix : D’où il sort çui-là, avec ses seins et son petit zizi ? Il y a des grands malades, je te raconte pas !

Ellil l’entend mais ne comprenant pas, se rhabille et s’en va. Sa mission tolère des pertes : 7% précisément. Il lui vient une idée. Pourquoi pas niquer la ville au grand suppo ? Faut-il courir le risque d’être rétrogradé ? Vidé ? Les dieux sont vieux? Avec eux, tout est possible. Surtout le pire. Allons-y tranquille. Mollo. Peinardo comme un renardeau.

Autre chose à savoir, j’explique. Il y a des archanges sauveurs et des archanges niqueurs, comme il y a des Terraformeurs et des Dératiseurs. Quand on apprend le boulot d’archange, sait-on ce qu’on sera ? Rédempteur ou Terminateur ? Va savoir à l’avance ! Tout se joue en mission. C’est là. C’est maintenant.

 

Beaux draps

Ellil s’interroge devant son écran. Ces bipèdes dégénérés sont une honte à la face des étoiles. Aucun doute là-dessus. Que faire ? Une bonne purge ? Sans ses habitants, la planète bleue ne serait pas si vilaine. Yahweh Dieu l’a épargnée, il devait avoir ses raisons. Il n’a niqué que deux villes. Il faut toujours suivre l’exemple divin, Ellil n’ignore pas les fondamentaux de son job.

Yahweh, deux villes nazes. Bon, je vais faire moins, c’est plus sûr. Par pure modestie, Ellil ne fera sauter qu’une ville. Pourquoi pas celle-ci, avec son horrible suppositoire qui gratte le cul des nuages. Ça gâche le paysage.

Ellil s’éloigne à la distance réglementaire, respire un bon coup et clique sur PUNIR et clique sur EFFACER. À sa grande surprise, c’est toute la planète bleue qui disparait d’un seul coup.

MEEEERDE ! se dit-ellil. J’ai pas entré les coordonnées de la ville !! Tout est niqué ! Une planète terraformée par Ana !!

Terra s’est effacée sans bruit. Une ceinture de débris se forme sur l’orbite de la planète défunte. Et pour les siècles des siècles, ce sera comme si notre planète n’avait jamais existé.
Putain de sa mère ! Bonjour les pertes ! Plus de 7% à tous les coups ! Je suis dans de beaux draps !

 

 

De Terra, il ne subsiste rien d’autre qu’une flèche de métal ajouré qui file à la vitesse-lumière dans l’espace infini.

 

On pue de la tête.
Lao Surlam