« Celui qui ne croit pas à l’intelligence de la nature et des choses, celui qui ne croit pas au langage des pierres, du bois et de l’eau, est un être-matière borné dans ses perceptions et ses sensations subtiles ; il est irrémédiablement condamné à l’épais et au dehors. »
Fortes paroles. On pourrait croire à l’exorde d’un chamane tongouze ou d’un sorcier sioux, mais non, c’est l’intro d’un chapitre que Robert Charroux consacre à ce qu’il appelle le petrimundo : un monde pétrifié, très ancien, où la nature préfigure le monde vivant à travers une débauche de formes animales et humaines.
Le petrimundo c’est « le miracle des rochers zoomorphes et anthropomorphes de France, du Pérou, du Brésil et de Roumanie. » (Source)Robert Charroux , Le livre du mystérieux passé, p. 306-307 On peut y ajouter aussi ceux d’Inde ou d’Afrique…
Il est vrai que certains rochers ont parfois des formes singulières, où le promeneur ne peut s’empêcher de reconnaître des animaux ou des têtes humaines. Mais n’avons-nous pas tous joué à trouver des formes animales au hasard des nuages ? Ce phénomène s’appelle une paréidolie.
Une paréidolie (du grec ancien para-, « à côté de », et eidôlon, diminutif d’eidos, « apparence, forme ») est une sorte d’illusion d’optique qui consiste à associer un stimulus visuel informe et ambigu à un élément clair et identifiable, souvent une forme humaine ou animale. (source)
Un test psychologique célèbre, le test de la tache d’encre ou test de Rorschach, repose précisément sur la capacité d’association automatique qui nous pousse à reconnaître une forme familière dans un tracé dû au seul hasard.
Certes, répondrait Charroux qui n’ignorait pas le phénomène. Mais le hasard a bon dos, s’il existe. Le hasard seul ne peut expliquer la profusion de formes animales qu’adoptent les rochers d’un certain lieu.
« Plus que tous les autres, le site de Fontainebleau est un parc zoologique abritant une incroyable variété d’animaux.
On y trouve, en pleine liberté, mais minéralisés en quelque sorte, des singes, des rhinocéros, des serpents volants, des oiseaux, des dinosaures, des crapauds, des félins, des agneaux, des ours, des hippopotames, des tortues, des cachalots, des otaries, des hiboux, des éléphants, etc. Et aussi un sphinx et des têtes humaines merveilleusement sculptées. » (Source)Robert Charroux , Le livre du mystérieux passé, p. 306-307
Il est vrai qu’à parcourir le Val d’Apremont, les Gorges de Franchard (point culminant de la forêt), le massif des Trois-Pignons, le Bas-Bréau, ou d’autres lieux comme les environs de la Mare aux Fées sur la route de Bourron-Marlotte, on ne peut cacher son émerveillement.
A chaque pas, un nouvel amas rocheux retient notre attention. Certains ensembles, juchés sur des hauteurs, figurent des châteaux héroïques.
D’autres, abrupts et menaçants au flanc d’une pente raide, évoquent les titans et les géants antiques.
Mais les plus étonnants sont rassemblés en ménagerie d’animaux immobiles. Comme par hasrd, ces lieux-là sont les plus puissants en terme géobiologique. Durant plusieurs années, Edith Guérin a étudié et photographié le site : « Est-ce l’effet du hasard si ces rochers insolites sont groupés comme s’ils avaient appartenu à d’anciens centres rituels, notamment dans les gorges et le chaos d’Apremont ? »
Charroux tente de répondre : « Deux hypothèses peuvent expliquer le petrimundovoir plus haut de Fontainebleau : caprice de la nature et travail des hommes de la préhistoire.
Incontestablement, la seconde proposition doit être éliminée, car le rocher, de grès très dur, porte encore son écorce naturelle, du temps où elle (sic)notre auteur tout à coup féminise le rocher se solidifia à l’air libre, il y a environ trente millions d’années. La première proposition, a priori, n’est pas satisfaisante…
…car le calcul des probabilités qui expliquerait les représentations zoomorphes les plus simples : otaries, serpents, tortues, n’autorise pas un caprice qui porterait sur l’enfantement de trois éléphants, avec leur trompe, leurs yeux, leur queue, leur corps et leurs pattes. Force est donc de revenir à la thèse de la volonté consciente de la Nature de procréer, c’est à dire de s’essayer à l’ébauche des formes futures de sa création la plus élaborée.
C’est l’explication la plus rationnelle,qu’il nous soit permis d’en douter quelle que soit son apparence incroyable et miraculeuse. Le petrimundo de Fontainebleau est, à notre point de vue, la manifestation de l’intelligence de la matière. » (Source)Robert Charroux , Le livre du mystérieux passé, p. 306-307
La thèse de Charroux paraît audacieuse, elle l’était moins à l’époque : n’oublions pas qu’il écrivait voilà cinquante ans. On mesure ainsi combien le concept de rationnel a évolué depuis cette heureuse époque de l’après-guerre. Plus heureuse que celle de la guerre, en tout cas.
Sur les pas de Teilhard de Chardin qui voyait dans le règne minéral le rougeoiment de la vie, Robert Charroux perçoit de l’intelligence dans la matière; il divinise la nature, en lui prêtant une intelligence, un désir d’évolution, et même un don créatif.
Le fabuleux bestiaire de pierre de la forêt de Fontainebleau a déclenché la verve lyrique de ce visionnaire du siècle dernier.
Charroux a vu, senti, perçu beaucoup de choses avant tout le monde. Je n’ai eu connaissance de son oeuvre que récemment, grâce à un internaute qui me reprochait de ne pas le citer davantage. Comment l’aurais-je fait si ne ne l’avais pas lu ? Depuis, j’ai réparé cette lacune. Ce grand monsieur a collecté un nombre de faits prodigieux à l’appui de ses thèses innovantes.
Il lui manque la vison d’ensemble que son époque ne pouvait lui fournir. Les travaux des nouveaux archéologues, peut-être inspirés par les thèses de Charroux, ont permi de nettes avancées ces dernières années, dont on ne peut que se réjouir, même si le temps me dure.
Une rencontre comme celle de Charroux, via ses bouquins, compte dans la vie d’un chercheur de mon acabit. Je remercie donc l’admirateur de Charroux pour sa précieuse info. C’est grâce à vous que je corrige mes erreurs, change mes points de vue ou comble mes lacunes.
Vraiment, Robert Charroux se lâche. Fontainebleau l’a pris par le coeur et ne l’a pas lâché. J’y ai rôdé des années durant, quand j’avais ma petite maison de Courances, près de Milly. La forêt des Trois Pignons est une réelle merveille qui mériterait largement un classement au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
Il fallait à la forêt de Fontainebleau un chantre, un aède, un troubadour, un barde de la trempe de l’ami Charroux.
Pertinent visionnaire, effronté lanceur d’hypothèses qui réveillent, ce cher homme avait tout pour me plaire.
Pour Charroux, dans ce lieu béni des dieux, la roche aurait pris des formes précises, ébauchant les animaux. La nature aurait fait des maquettes de sa création. Loin de moi l’idée de tourner en ridicule ce réenchantement du monde, qui en a bien besoin. Mais pourquoi refuser d’imaginer que des hommes, dans un lointain passé, ait eu le savoir-faire nécessaire pour tailler ces rocs ? Impossible car « le grès porte encore son écorce naturelle, datant d’environ trente millions d’années. »
Peu de chercheurs sont prêts à admettre que l’homme existait il y a trente millions d’années. Peu de chercheurs peuvent imaginer le degré de développement technique, artistique, intellectuel et spirituel des très anciens habitants de la terre.
L’argument du temps ne tient pas, d’autant que rien nous dit que ces rocs aient une telle ancienneté. Les peuples développés qui nous ont précédé ici savait faire avec la pierre des prouesses plus fabuleuses que leur donner une apparence ancienne et naturelle.
Les dolmens et les menhirs montrent leur goût pour la pierre brute, à l’apparence naturelle. On peut aussi imaginer que ces sculptures ont été taillées il y a si longtemps que la pierre s’est usée.
Quant à moi, ce bestiaire sculpté m’en rappelle un autre, peint sur les parois des grottes. J’ai expliqué ailleurs comment les chamanes ont utilisé les peintures magiques de Lascaux, Chauvet ou Altamira pour pactiser avec l’âme-groupe de chaque espèce.
Ainsi pourrait s’être déroulée la domestication des principales espèces animales il y a environ 10.000 ans : avec l’aide des images sacrées peintes dans les grottes. On ne peut exclure a priori que ces sculptures aient servi le même dessein : pactiser avec les animaux sauvages.
D’autres auteurs y ont vu des rites propitiatoires, comme les danses des Amérindiens avant de partir en chasse, afin que Wakan Tanka aide les chasseurs à ramener de la viande pour la tribu. Dans une Europe redevenue sauvage, comme elle l’a été au sortir de l’âge de glace, la chose n’est pas inconcevable…
On voit en tout cas que le poids des pierres ne semblait pas les gêner beaucoup. Cette civilisation des mégalithes pourrait nous en remontrer sur bien des chapitres. Encore faudrait-il admettre son existence.
Les animaux sont rassemblés dans certains lieux, et j’ajouterai dans des lieux choisis, particulièrement puissants. D’où ma tendance à préférer une hypothèse chamanique. Le mieux, c’est d’y aller vous-même. Tâchez de les voir, quand vous les regardez. Servez-vous de l’oeil fée.
Ce qui m’a frappé à Fontainebleau a aussi attiré l’attention d’un autre chercheur, Joël Szymanski, chercheur indépendant, qui a réalisé (presque)pour lire les légendes des photos et découvrir leur auteur, passez lentement votre souris sur chaque image toutes les photos de cet article, qui sont sous son copyright. Il m’a permis gracieusement de les publier ici. Qu’il en soit ici remercié !
Va ton chemin sans peine, cher Joël !