Jusqu’où, dans la mémoire mythique de l’humanité, les vagues de la grande inondation ont-elles déferlé ? Très loin, assurément.
Jadis, il y a plus de 12.000 ans, eut lieu la mère de toutes les inondations. Si l’en croit les mythes, elle fut planétaire, on la nomma le Déluge. Et l’eau monta jusqu’au ciel pour retomber sur toutes les terres.
On connaît le mythe de Noé, mais sait-on que ce récit se retrouve dans la plupart des mythologies du monde ? Plus de cinq cents légendes relatives au déluge ont été répertoriées à travers les cinq continents. Et ces récits ne sont pas des copiés-collés.
En ciblant son analyse sur quatre-vingt-six récits de déluges (dont vingt en Asie, et trois en Europe) l’ethnologue Richard Andrée a pu conclure que 80% d’entre eux étaient complètement indépendants des récits hébraïques et mésopotamiens. (source)Allgemeiner Handatlas par Richard Andree
Par exemple, Marco Polo s’est fait conter plusieurs versions chinoises d’un déluge universel, comme il l’indique dans ses mémoires. (source)Le livre des Merveilles par Marco Polo Les premiers Jésuites qui visitèrent la Chine au 17e siècle, furent aussi admis dans la Bibliothèque Impériale.
Ils y consultèrent un vaste corpus de quatre mille trois cent vingt rouleaux qui, dit-on, aurait été constitué « en des temps très anciens » et contenait « tout le savoir du monde ». On imagine l’émotion de ces hommes de foi et de connaissance, et avec quelle voracité ils se plongèrent dans son étude.
Ce grand livre comprenait de nombreux récits des origines, narrant les rapports difficiles entre les dieux et les hommes. Il expliquait aussi comment sont survenus les grands déluges.
En ces temps très lointains, après que « l’humanité se fut rebellée contre les dieux et que l’univers eut été plongé dans le chaos, la course des planètes fut altérée. Les cieux tombèrent plus bas vers le nord. Le soleil, la lune et les étoiles modifièrent leur trajectoires. La terre se brisa en morceaux et les eaux jaillirent de ses profondeurs pour tout envahir. »
On retrouve des thèmes connus, comme la notion de châtiment divin, qui semble universelle.
« Le déluge est fait par les Dieux, pour punir les hommes. » Voilà ce que les dieux ont dit à leurs serviteurs pour les rendre encore plus dociles. Et les hommes, ces naïfs, ont gobé ça tout rond.
Certaines légendes amérindiennes disent que les hommes se sont changés en poissons : l’origine d’Aquablue ! Autre version, avec cette légende du Laos : il y a très longtemps, des créatures appelées Thens vivaient dans le royaume supérieur, les hommes dans le royaume inférieur.
Les Thens étaient des maîtres cruels, ils devenaient de plus en plus exigeants et les hommes n’en pouvaient plus.
Un jour, les Thens annoncèrent aux hommes qu’ils devraient leur donner une part de leur nourriture en signe de respect. Les hommes refusèrent et les Thens, dans leur rage, déclenchèrent une inondation qui dévasta la terre entière. Trois hommes furent sauvés : ils s’étaient construit un grand radeau avec une maison et un jardin, ils y avaient embarqué femmes, enfants, plantes et animaux. Ainsi l’humanité fut-elle sauvée, et la vie conserva ses droits.
On reconnaît ici presque mot pour mot le déluge de la Bible, l’arche de Noé, mais aussi le mythe de Deucalion et Pyrrha, le mythe de Prométhée et celui de Pandore tel que nous les a contés Hésiode et d’autres auteurs de l’antiquité gréco-latine. Comment imaginer que l’une des deux sources ait influencé l’autre ? La logique voudrait que Grèce et Laos aient puisé à une même source, la civilisation qui s’était développée sur toute la terre avant le déluge.
S’il y a tant de mythes qui nous parlent de déluges et d’inondations, c’est peut-être parce que des déluges, comme disait Platon, il y en eut plusieurs. Mais pour le déluge universel, tintin !
Tant de fois les eaux sont montées, la mémoire les a laissé se mêler pour n’en faire plus qu’un seul, un grand, qui les résume tous. Et si ça nous fait plaisir d’imaginer le père de tous les déluges, si ça nous amuse ? Plutôt que cent plus petits ? Plus riquiquis ? Ce mécanisme mémoriel est fréquent, en matière de mythes. Chaque pierre trouvée, chaque inscription, chaque ombre inconnue, chaque rumeur antique, il faut que ce soit l’Atlantide. C’est l’arbre qui cache la forêt.
Cadeau empoisonné de Platon, l’île-continent introuvable est un abcès de fixation hypnotique. Impossible d’en détourner le regard. Il n’y a pas que les Atlantes, Eden Saga en témoigne assez. D’autres peuples sont engloutis, la civilisation pré-diluvienne était planétaire. Comme la nôtre. On a évoqué les Elohim, les Titans, les Olympiens, les Rama, les Quetzalcoatl, les Viracocha, les Tuatha, les Annuna, les Mù, et les Taks. Il y en a sûrement bien d’autres…
Edgar Jacobs dit que l’Atlantide existe encore, bulle engloutie au fond des mers. Les légendes sumériennes content la même histoire : l’Abzu est le domaine souterrain du prince Enki, notre créateur, qui régnait sur Sumer il y a plus de douze mille ans. La tradition dit que le prince Enki aurait survécu au déluge. Par la voie souterraine, il a traversé l’océan Atlantique pour civiliser les Andes. C’est ainsi que Enki-Ea y est encore adoré sous le nom de Tiki-Viracocha.