Guerrier sans importance

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Chaque fois que l’apprenti sorcier Carlos Castaneda vient voir son guide le Nagual Juan Matus, celui-ci fait remarquer à son élève qu’il a encore pris du poids. Ou bien le sorcier se répand en sarcasmes sur la façon qu’a son élève de souiller ses vêtements quand la trouille est trop forte.

Et la trouille, dans la pratique de Castaneda, est toujours au rendez-vous. L’apprenti Carlos ne fait jamais rien comme il faut aux yeux de son mentor, qui le lui fait remarquer à chaque instant. La situation devient si drôle que le vieux maître en pleure de rire. Affolé, Carlitos se réfugie dans sa prise de notes comme un élève studieux. L’hilarité de Juan Matus redouble. A bout de patience, Castaneda finit par se vexer et rassemble ses affaires pour rentrer chez lui.

Perdre son importance

« Tu te prends trop au sérieux, dit don Juan. Tu es sacrément trop important, au moins d’après l’idée que tu te fais de toi-même. C’est ça qui doit changer ! Tu es si important que tu peux te permettre de partir lorsque les choses ne vont pas à ta guise. Tu es si important que tu crois normal d’être contrarié par tout. Peut-être crois-tu que c’est le signe d’une forte personnalité. C’est absurde ! Tu es faible, tu es vaniteux. » (source)Castaneda, Le Voyage à Ixtlan 

A plusieurs reprises, Juan Matus reviendra sur l’obligation de perdre sa propre importance. C’est le corollaire direct du point précédent. Quand le guerrier n’a plus de passé, il n’a pas trop de mal à perdre sa propre importance, en changeant le regard qu’il porte sur lui-même.

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« L’importance personnelle est notre plus grand ennemi. Penses-y : ce qui nous affaiblit, c’est nous sentir offensés par les faits et les méfaits de notre entourage. Notre propre importance nous amène à passer le plus clair de notre vie à nous sentir offensés par quelqu’un » dit Don Juan Matus.

Quand on découvre l’infinité des mondes possibles, notre importance en prend un coup. Quand on découvre la complexité des merveilles de l’au-delà, comment resterait-on bouffi d’orgueil ? L’étape suivante, d’ailleurs, va nous amener à l’humilité. Pas le choix. 

 

La mort pour guide

« La mort est notre éternel compagnon. Elle est toujours à notre gauche, à une longueur de bras. » (source)Castaneda, Le Voyage à Ixtlan

Castaneda sursaute: il vient de voir sa mort. « Lorsque tu t’impatientes, tourne-toi simplement vers ta gauche et demande conseil à ta mort. Tout ce qui n’est que mesquineries s’oublie à l’instant où la mort s’avance vers toi, ou quand tu l’aperçois d’un coup d’oeil, ou seulement quand tu as l’impression que ce compagnon est là, t’observant sans cesse. » (source)Castaneda, Le Voyage à Ixtlan 

A partir de là, on devient passant. On recherche les lieux de pouvoirs, les portes vers d’autres mondes. Peu à peu, on se rend inaccessible, on s’efface pour être disponible au pouvoir. On va le chercher dans la nature sauvage, au crépuscule, sur une colline amie où souffle le vent. « Au crépuscule, il n’y a pas de vent. A cette heure du jour, il n’y a que du pouvoir. » (source)Le voyage à Ixtlan, page 70

On apprend la marche de pouvoir, la vision nocturne qui permet de courir dans le noir, sans trébucher sur aucun obstacle. La pratique rend cette marche sûre et fluide, en laissant faire le corps.

 

Responsabilité totale

Notre corps sait beaucoup de choses dont nous n’avons pas été informé. Il est bon et rassurant de l’écouter, il sait.

Le guerrier a déposé les armes, il a les mains vides et la tête aussi. Voyageur sans bagage sinon sans étoile, le voici passant. Il assume la totale responsabilité de ses actes, c’est le minimum. Les sorciers du Nagual vont au-delà : ils assument aussi l’entière responsabilité de tout ce qui leur arrive. Ils ne disent jamais : « je n’ai pas de chance » mais toujours « merci ». Ils n’attendent rien. Ce qui leur arrive est toujours le mieux. Ils ont la maîtrise de leur vie comme peu d’êtres, en même temps ils acceptent et assument avec humilité la totalité surhumaine de la Règle, leur seul guide dans « cette immensité là-dehors« .

Il n’y a qu’une seule chose de mauvaise en toi, tu crois que tu as l’éternité devant toi.

Carlos Castaneda

Castaneda n’est pas un apprenti facile. Du coup, Juan Matus doit lui faire subir toutes sortes d’exercices qui sont, pour le lecteur, de magnifiques instructions, précises et reproductibles. Ainsi, pour lui apprendre à pratiquer le « ne-pas-faire », il lui montre comment se faire, sur une butte, un lit de ficelles. Ceux qui l’ont essayé vous en diront le plus grand bien. On flotte, toutes les sensations et perceptions sont incroyablement aiguisées.

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Alors le corps se souvient de cette technique ancienne :

Ne-pas-faire

« Ne-pas-faire est très simple mais excessivement difficile. Le point n’est pas de le comprendre mais de le maîtriser. Voir est bien sûr le couronnement final d’un homme de connaissance, et voir ne s’obtient que lorsqu’on a stoppé le monde par la technique du ne-pas-faire. » (source)Castaneda, Le Voyage à Ixtlan

Bien sûr, Castaneda n’y comprend rien, et nous non plus. C’est inutile. Il suffit de le faire. Et ça, notre corps le sait. Mais notre mental veut tout expliquer, tout comprendre ! Quel orgueil il y a chez ce petit roitelet!!

Depuis notre enfance, on nous à appris à faire. C’est ce faire de tous les humains, mis bout à bout, qui assemble ce plan étriqué que nous appelons le monde. Monde étriqué, qu’on nous vend comme seul horizon, quand il existe des infinités d’univers parallèles. Ne pas croire, ne pas gober, résister, douter, réfléchir, s’ouvrir au nouveau monde qui vient. Et le meilleur moyen d’être soi, d’être enfin pur, c’est la pratique assidue de ne-pas-faire.

Ne-pas-faire, c’est cesser de considérer toute chose comme allant de soi, ainsi qu’on nous a appris à le faire. Il faut défaire nos sensations, défaire les objets familiers, défaire ces illusions qui constituent le monde du faire. Soudain, ce monde fabriqué s’écroule. Le guerrier a stoppé le monde. Il voit.

A présent, il doit resserrer sa vie, la rendre compacte.
Alors seulement il pourra 
rêver.

Un guerrier traite le monde comme un mystère infini, et ce que les gens font comme une folie sans bornes.

Carlos Castaneda

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N’oubliez pas ce fait : « Les sorciers ne peuvent jamais construire un pont pour rejoindre les personnes de ce monde. En revanche, si les personnes le désirent, elles doivent construire un pont pour rejoindre les sorciers. » (source)Carlos Castaneda, La force du silence, p.197

 

Où cours-tu, le lapin ? Ne sais-tu pas que le Ciel est en toi ?
Christiane Singer …et Coluche