Cette immensité là-dehors

 

Cette immensité là-dehors, ainsi Juan Matus évoque l’astral infini. Ces mots m’ont toujours fait rêver. Ils décrivent parfaitement l’indescriptible. Ils sont tout ce que j’aime chez Castaneda, ou plutôt chez don Juan. La pertinence, le vertige et la sobriété. Peu de mots suffiraient… si Carlos n’était pas si bouché !

 

Cette immensité me hèle et m’interpelle. Xavier ! Viens me voir ! Viens jouer avec moi ! Qui faut-il croire ? La Source est muette. Les dieux sont morts. Celui ou celle qui parle dans ma tête, qui est-ce ? Quel est son nom, son but ? Qu’attend-il de moi ? Vient-il pour m’aider ou pour me garder prisonnier ? Il est utile que je le sache enfin.

J’ai erré dedans bien souvent. Ai-je rêvé ? Est-ce un nouveau piège qu’on me tend ? Suis-je couché dans un sarcophage bio-électronique, alimenté par sonde gastrique, totalement inconscient, maintenu en vie végétative par la Matrice ? Franchement je me sentirai mieux si tous ces veilleurs ne nous avaient pas à l’œil 7 jours sur 7 et 24  heures sur 24. Prison. Nous sommes dans une prison d’où il est impossible de s’échapper vivant. Nous n’en sortirons que les pieds devant. Si nous ne sommes pas effacés avant…

 

L’échappée belle

Sur l’écran de contrôle on peut lire : « Rapport à l’Aigle, émis le 3 mai 2019 par les autorités de surveillance rapprochée du secteur ouest nord ouest, califat de Hadj-Brieuc, mosquée d’Erquy. Le sujet Xavier Ben Jean Ben Charles Benefactor Jean-Claude est candidat à l’échappée. Il a intégré toutes les contraintes inhérentes à ce processus et semble répondre aux conditions strictes émises par l’Aigle. Âgé de 69 ans,je suis né en 49  il se déclare prêt à tenter le grand départ. Après examen des données soumises, avis favorable, prière de laisser passer.« 

C’est moi ça. J’ai mon viatique. Je peux tailler la route dans l’infini dès que possible. Je n’attends plus que le feu vert de l’Aigle. Et là ça bloque. « Après examen, avis favorable »… J’attends depuis des mois, des ans. Depuis longtemps. Nous sommes en 2123, j’ai 173 ans. Il n’y a pas de raison que ça s’arrête.

Je suis en stand-by, soumis au bon vouloir de l’Aigle, qui m’a l’air plutôt débordé…

 

 

Les conditions de survie sur la planète grise n’ont jamais été fameuses, c’est vrai. Mais c’est de pire en pire. Depuis 2080, la situation se dégrade vitesse grand V. On mange ce qu’on peut. Les mutants sont légions, il y a eu les néo, les niou, les jet7, les in8, les too9, les novelas, les immon10, les koolimbr11,c’est comme « mon timbre en ligne ». Pareil. les 12france,cher pays de mon enfance les 13or… Ça pue. Oh que ça pue de pus en pus.

Les derniers venus s’appellent les nouveaux néo niou (???) ils se nourrissent de chair humaine. Plus personne ne sort seul, de jour comme de nuit. Les risques sont trop grands. Il faut se joindre à une bande armée, et porter soi-même une arme lourde, genre lance-flammes ou destroyall.

 

Fini les papes

J’en ai jusque là de ces conditions atroces, je veux mon viatique, je veux sortir de l’hospice d’attente, je veux tenter le grand saut, l’échappée comme ils disent. Là, tout de suite, avant de devenir complètement gâteux. D’ailleurs, en parlant de ça, je n’en reviens pas d’être toujours le même. Mon esprit n’a pas changé depuis plus d’un siècle. M’a-t-on fait absorber des métabolloïdes et des supraductifs ? Oui. En tout cas, ils ont essayé. Des milliers de fois. Mais j’ai rien avalé. Blouartch ! Aux gogues, les drogues. On me la fait pas.

La guerre à la drogue ne peut pas être gagnée car c’est une guerre contre la nature humaine. (Keith Morris)

 

Donc j’ai survécu, identique à moi-même, disons comme à 40 balais, tout ce temps-là, plus d’un siècle, et sans rien prendre d’autre que ma ration de survie. Très merdique. Bien dégueulbif. Quelque chose n’est pas normal. Plus rien de normal dans la tambouille de ce pauvre monde qui part en quenouille.

Moi ça me va, à condition que le départ s’annonce bientôt. Faut pas rêver. J’ai passé ma longue vie à attendre. Rien n’est arrivé, sauf le pire. Prévu de longue date et personne n’a bougé le petit doigt. Les catastrophes en série nous sont tombées sur le râble aussi drues que la vérole sur le bas-clergé breton. R.I.P. Des abbés il n’y en a plus. Le pape est mort. Un autre pape n’est plus appelé à régner. Araignée ? Quel drôle de nom ! Pourquoi pas libellule ou papillon ?

– Mister Sigouinn? Eun letter-mail pour you ! 

Foutu transducteur. Impossible de lui apprendre à prononcer mon nom. Et ce sabir à la con, le Moundial Frenglish de mes deux. Letter-mail ? Voyons ça… Bordel !! Le cachet de l’Aigle !!! ENFIN…

C’est ainsi que le 3 mai 2119, un siècle tout rond après ma demande, j’ai reçu mon viatique pour le grand saut. Je suis parti tout de suite, vous pensez bien. J’étais fin prêt depuis un bail emphytéotique. Ranafoot, j’ai sauté dans le vide et me vlà.

 

 

Bouddha parti

Bouddha n’est plus là. Quand il a compris qu’il était enfin libéré, Bouddha s’est barré. Sans esprit de retour. La Terre, basta ! Il connaît déjà. Moi pareil. Holà, suis pas Bouddha, mais je me soigne. En route pour l’infini !

Celui qui a connu le monde a trouvé un cadavre. Et celui qui a trouvé un cadavre, le monde n’est pas digne de lui. (Jésus, Evangile de Thomas)

 

Quand on a un corps, on en chie gore. Et c’est « Allo, Maman, bobo » toute la sainte journée, tous les jours que Dieu fait. Et Dieu sait qu’il en fait. Mais sans corps, plus rien qui gène. Pudeur, souffrance, honte, hygiène, paraître, manger, boire, dormir, chier, s’habiller, se traîner… Nib, keud, balayé, fini tout ça.

 

Libre enfin !

On se la pète nature. On se tartine des comètes. Très froid, très chaud, connais pas. Très loin, très haut, ranafoot. J’avale. Je dévale. Je cavale. Tout est pareil, tout m’est égal. Je file à travers tout tel un Captain Marvel. Joie du vent stellaire dans mes cheveux d’ange.

Je vais si vite que je ne suis plus qu’un point loin devant ma traînée lumineuse. Et dans ce point tient l’infini. Je ne suis plus dans l’immensité, je suis l’immensité. Je file plus vite que la lumière en restant totalement immobile. Mon poing sait tout. Un point s’est tout. Immobilis in mobile.

L’histoire pourrait s’arrêter là. Je viens de casser mon cordon d’argent avec mes dents. On a des dents en astral ? Faut croire. À partir de dorénavant, plus de retour possible. Plus de communication non plus. Vous vous demandez : « Comment il a fait pour poster ça ? » À quoi je réponds : « Je t’en pose des questions ?« 

En fait oui, ça m’arrive. Mais tu réponds jamais.

Respect du grand mystère de mes deux. La droite et la gauche. Ne pas choisir, surtout. Voie du milieu. Il y a autant de monde de chaque côté, ça tient bien chaud. Folies, j’ai dans la tête tant de tristes fumées. Sirènes d’un navire qui vient pour m’emporter. Loin de chez moi. J’en ai le cœur au carré. Ça ou autre chose.

Je réalise que je viens de traverser la galaxie avec le même crincrin dans la tête, qui fait : « Maintenant Nicolas et Bart Vous dormez au fond de nos cœurs Vous étiez tout seuls dans la mort Mais par elle vous vaincrez« . La ballade de Sacco et Vanzetti. Bordel. Je préfère la version de Joan Baez. Grave.

 

Le 23 août 1927, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti passent sur la chaise électrique de la prison de Charlestown, Massachusetts. Les deux anarchistes italiens ont-ils été victimes d’une erreur judiciaire ? Leur procès a, en tout cas, mobilisé l’opinion mondiale.

Pour leurs accusateurs, les deux émigrés étaient de dangereux « rouges » étrangers. Pour leurs défenseurs, ils restent les victimes symboliques d’une Amérique xénophobe, empoisonnée par la « chasse aux sorcières ». (lire la suite)

 

Dans le non-temps

Here’s to you Nicola and Bart   Praise forever in our hearts   The last and final moment is yours   That agony is your triumph. Musique de Ennio Morricone, paroles de Joan Baez. La gueule que ça vous a ! Mais le chanter à tue-tête à travers la folie divine, c’est beaucoup. Bel hommage qui sent pas le fromage. Bonjour l’image.

Je ne sais pas combien d’éons je suis resté suspendu telle une grenouille sur son bénitier. En astral le temps ne compte pas, juste l’intention. L’espace non plus d’ailleurs, pas plus que la vitesse. C’est l’intention qui compte. Un point dans l’infini, à égale distance de la fin comme du début, s’il y en a. Sans temps ni espace, j’en doute fort.

Le temps et l’espace ? Bah. Ce sont des catégories de l’entendement, articule ce vieux Kant, le sagouin tranquille et coucou régulier. Ce qu’il veut dire par là ? Demandez-lui. Moi je suis par ici. Ça n’a rien à voir. Je vous regarde faire, trop marrants. Ah, vous avez mal, c’est si dur, et que ça dure, que ça dure ! Je sais, j’ai connu ça. Ici y a pas. Ni bonheur, ni malheur. Peinard. Allez je vous dit bye bye. Il se fait tard. 

 Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. (Antonio Gramsci)

 

Moi je suis bien loin de tout ça. Bien bien loin ! En tout cas, c’est ce qu’il me semble

 

Cet article a été publié une première fois en avril 2019; je l’ai repris et enrichi pour qu’il colle parfaitement aux énergies du moment.

 

Si la lumière voit cent mille personne, elle ne descend que sur celui dont l’essence est lumière.
Rumi