La volonté et l’intention

Deux flammes jumelles ennemies, deux façons bien différentes de prendre son envol

 

La volonté et l’intention sont deux façons d’agir sur notre environnement, sur les autres et sur nous-mêmes. Malgré leur apparente ressemblance, elles n’ont pas grand chose en commun. Leur origine et leur usage manifestent deux points de vue irréductibles sur la vie. L’intention et la volonté se regardent en chiens de faïence, de part et d’autre du large fossé qui sépare le guerrier du quidam.

 

Intention ou volonté ?

Précision préalable : l’intention dont je parle n’est pas la banale envie, le vague projet qu’on peut avoir quand on dit : « J’ai l’intention d’arrêter de fumer ». On sait ce que valent de telles tirades. Je veux parler de l’intention du guerrier, chère au chamanisme de Castaneda. On m’a souvent demandé de préciser avec mes mots ce que Carlos Castaneda et les guerriers du nagual entendent par intention. Je vais le faire en lui opposant la volonté, puissant moteur d’action, au moins tel que l’entend le vieux Sénèque.

Quand tu auras renoncé à l’espérance, je t’apprendrai la volonté.

Sénèque

 

Pour Sénèque, la volonté s’oppose à l’espérance, passive, qui dispense de se prendre en main. On attend que ça vienne, sans faire le moindre effort pour ça. L’espérance est une vertu d’assisté. Ce comportement est indigne du guerrier. « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » a dit Guillaume d’Orange. Je partage cette opinion. Toute ma vie, je l’ai mise en pratique. Mais je suis guerrier, mon regard porte au-delà.

La volonté de Sénèque est le produit du mental et le mental est un autre nom pour l’ego. Cette volonté-là, bâtie sur l’ego, n’est-elle pas proche parent de l’orgueil ? Derrière cette volonté mentale, il y a un vouloir égotique. Le dur désir de briller, de dépasser, de s’imposer, de règner sur tous les autres. Ce vouloir nous rend fiers, mais nous rend-il heureux ?

Le vieux sorcier Juan Matus, le benefactor de Carlos Castaneda, refuse cet encombrant bagage. 

« Ce qui nous rend malheureux est le fait de vouloir, le désir. Cependant, si nous pouvions réduire nos besoins à rien, la plus petite chose que nous aurions serait un cadeau véritable. » (source)Castaneda, Voir, Les enseignements d’un sorcier yaqui, p.140

 

Sénèque l’Ancien (-54 à -39) et Carlos Castaneda (1925 à 1998)

 

Se nourrir d’Intention

Voyons s’il y a une volonté moins mentale. Chez Lao-Tseu, peut-être ?

Là où il y a une volonté, il y a un chemin.

Lao-Tseu

 

Cette volonté-là plairait davantage à Castaneda. Sauf que Lao-Tseu ne nous dit pas où ce chemin mène. Il est des chemins qui ne mènent nulle part… Sans doute parce qu’ils tournent en rond dans la forêt touffue du mental ?

Selon les lamas de l’Himalaya (à ne pas confondre avec les lamas des Andes) le mental est la seule partie de l’être humain qui ne connaîtra jamais l’éveil. Ils récitent pieusement l’enseignement de Rama, qui fut éduqué sur Hyperborée — la fameuse base spatiale des dieux d’avant. Et j’y souscris pleinement.

Le mental est le principal frein à l’élévation spirituelle.

L’intention, par contre, ne vient pas du mental. Quand la volonté nous use, l’intention nourrit le guerrier.  Elle vient du ventre. Et elle ouvre le cœur. Elle donne du cœur au ventre. C’est pourquoi la formulation de l’autre Lao me paraît plus juste : elle traduit mieux ce que je ressens.

Là où il y a intention, il y a réalisation.

Lao Surlam

 

Les émanations de l’Aigle

Quand Castaneda parle de l’intention, de quoi s’agit-il au juste ? De deux choses distinctes. Il y a l’Intention avec un grand I, qui est avec l’Énergie les deux principales manifestations de l’Aigle, ou pour simplifier, de la Source.

En effet il n’y a pas de dieu personnel dans la philosophie du nagual. Ni non plus dans le lamaïsme. Il n’y a que deux forces originelles, deux puissances qui font tout, et sans qui nous ne ferions rien. L’Énergie et l’Intention. Les deux s’écrivent avec une majuscule. Le guerrier les évoque en toute humilité. Que sommes-nous en face de ces prodiges ?

L’Énergie comme l’Intention sont omniprésentes, aveugles et sourdes. La première semble appartenir à la physique, la deuxième ressort de la magie. L’Intention pourrait évoquer le Saint-Esprit des Chrétiens, mans dans une version impersonnelle. Physique. Métaphysique. Aussi est-ce inutile, voire arrogant, de lui adresser une prière. L’Intention ne l’entendra pas. Elle ne l’exaucera pas. Pas de cette manière. La prière n’a d’autre vertu que de rassurer celui qui prie.

L’Aigle n’entend pas nos prières, lui non plus. Il diffuse ces deux forces de façon libre et gratuite. Pour le castanedisme, ces forces originelles sont les émanations de l’Aigle : des effluves astrales issues du centre galactique. Elles sont émises par l’imposant trou noir dont la force d’aspiration fait tourner en spirale notre Voie Lactée.

Les sorciers yaquis le voient comme un Aigle. Ils discernent une sorte de bec qui aspire absolument tout, y compris la lumière. Les chrétiens le voient comme un Être de Lumière, le Christ qui accueille les âmes des morts. Ce en quoi ils se gourent grave : un trou noir bouffe tout ce qu’il attire à lui.

Le trou noir absorbe tout, mais il nous donne en échange, à tous sans distinction, êtres vivants, conscients ou non, plantes, animaux ou êtres spirituels, ces deux valeurs qui nourrissent et rendent parfaits, l’Intention et l’Énergie.

 

L’Aigle est le trou noir géant qui fait tourner la Voie Lactée

 

 Toute puissante intention

Chaque guerrier possède une intention propre qui devient efficace et puissante en recevant l’apport magiqe de la grande Intention,  L’Intention est sourde. Mais elle n’est pas aveugle. Enfin pas tout à fait. Le guerrier qui a besoin de son aide doit accumuler l’énergie grâce à un comportement impeccable. Il doit ensuite renforcer son intention personnelle afin de faire briller sa luminositéson aura pour attirer sur lui l’Intention et recevoir l’aide attendue. Pourtant il ne se fait aucune illusion sur l’efficacité de cette stratégie. Rien ne garantit le résultat. Le guerrier agit inlassablement, mais il n’attend aucun résultat de son action. Et quand il va mal, il agit pour attendre que ça se passe.

Quand tu te sens en situation d’échec, souviens-toi que le grand chêne, lui aussi, a été un gland.

Michel Audiard

 

Si l’on y pense, voilà qui décrit parfaitement le monde où nous sommes. L’efficacité de la prière y est proche de zéro. Il semble que les dieux des différents croyants ont d’autres chats à fouetter. Bien peu de prières sont exaucées. Se conformer jour après jour à des préceptes religieux contraignants pour un si piètre bénéfice me paraît très inefficace. Le pari de Pascal est un marché de dupes.

 

Le pari de Pascal

Pascal propose à l’athée le pari suivant : “Dieu est ou il n’est pas. Mais de quel côté pencherons-nous ? La raison n’y peut rien déterminer; il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu, à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagnez-vous ? Par raison, vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre; par raison vous ne pouvez défendre nul des deux. Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix; car vous n’en savez rien“.

L’objection consisterait à refuser de parier. À ceci, Pascal rétorque que nous n’avons pas la liberté de nous abstenir de parier, puisque notre vie éternelle dépend du choix que nous aurons fait : “Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué … Votre raison n’est pas plus blessée en choisissant l’un que l’autre, puisqu’il faut nécessairement choisir”. (source)la-philosophie.com

 

Masque mortuaire de Blaise Pascal, 1662

 

Dieux mortels

Pourquoi faudrait-il choisir ? On m’a appris en philo de toujours refuser les dilemmes, car ils vous prennent en tenaille. Chaque fois que j’entends « c’est blanc ou c’est noir » j’opte pour le gris. Ou si l’on me dit, comme Marcel Zanini, « tu veux ou tu veux pas ? » je n’accepte ni l’un ni l’autre, j’y mets mes propres conditions.

Le pari de Pascal est stupide en ce sens qu’il nous oblige à croire à un dieu tel que celui dans lequel croit Pascal. Il est évident que je n’y crois pas. Mais à la question : croyez-vous en dieu(x) ? je suis contraint de dire oui. Les dieux ont existé, peut-être existent-ils encore, vu leur extrême longévité. Mais ils n’ont rien à voir avec le dieu de Pascal. Ni avec aucun des dieux uniques auxquels on croit en ce moment. Les vieilles croyances étaient plus respectueuses de l’être et plus proches de la vérité que les religions actuelles, toutes adeptes du mensonge.

Ils sont mortels comme nous, sujets à l’erreur, pleins de défauts, et ne sont pas animés de cet amour inconditionnel décrit par les religions chrétiennes, ni de cette puissance absolue des autres dieux uniques. Ils ont terraformés la terre, mais elle existait avant leur venue. Ils n’ont pas créé l’univers, ni le multivers. Ils ont de grands pouvoirs, ils savent prolonger leur vie presque indéfiniment, mais ils doivent mourir un jour, comme tout ce qui vit.

L’amour qui est dans mon cœur ne vient pas d’eux. Ils ont créé le véhicule charnel dans lequel j’évolue, mais ils n’ont pas créé mon âme immortelle. Ils m’ont donné un accès direct à la transcendance, grâce à la générosité d’Athéna / Ninhursag. Mais ils ne sont pas cette transcendance. Quelle est-elle, dans ce cas ? Ma réponse personnelle, ici et maintenant, est de pointer le nagual.

La transcendance réside dans l’Énergie surabondante, et dans l’Intention qui bannit le hasard.

Le hasard n’existe pas. Tout ce qui arrive est voulu.

Bouddha

 

La mise en œuvre de l’esprit

Les faibles humains avaient besoin d’un dieu bon, d’un père consolateur, d’une mère aimante. Les terraformeurs se sont prêtés à ce désir qu’ils jugeaient légitime. Mais c’est une comédie. Une traque. Et si le ciel était vide ? questionne Alain Souchon. Non,il n’est pas vide. Le ciel est tout plein d’extraterrestres, mais on y cherchera vainement le bon dieu. Le guerrier ne peut compter que sur ses propres forces. Si l’Intention y ajoute son aide, tant mieux. Sinon il s’en passera. 

Le guerrier n’espère pas, il ne prie pas, sa vie spirituelle est intense, mais il n’est pas religieux. 

La religion est pour ceux qui ont peur de l’enfer. La spiritualité, pour ceux qui y sont déjà allés.

Lee Stringer

 

Son seul secours réside dans son impeccabilité. C’est en étant impeccable qu’il accumule de l’énergie. Dans son corps, et pas dans son cerveau. Il existe un grand pouvoir qui dort au fond de nos entrailles. Activé par une gigantesque quantité de neurones et de bactéries, notre microbiote revêt une importance bien plus grande qu’on ne l’avait imaginé jusqu’ici.

 

 

Cerveau conscient, microbiote inconscient

Rien de plus simple qu’un système digestif. Du moins en apparence. La part de pizza que nous venons d’avaler est broyée dans la bouche, dégradée dans l’estomac, puis glisse dans l’intestin grêle qui absorbe les nutriments nécessaires. Le côlon en extrait l’eau, digère certaines fibres puis élimine le reste par l’anus sous forme de matière fécale. Trivial ! 

« Mais cette vision simpliste qui a influencé des générations de médecins et de chirurgiens est dépassée : l’intestin est bien plus délicat et puissant. C’est un petit cerveau », martèle Emeran Mayer, gastro-entérologue, directeur exécutif du Center for Neurobiology of Stress de l’université de Californie à Los Angeles (États-Unis) et auteur de The Mind-Gut Connection. (source)

Je ne crois pas que le microbiote soit un second cerveau, pas plus que je ne crois à la prééminence du cerveau gauche – ou pour parler comme Castaneda, du côté droit (du corps). Le microbiote, pour moi, est bien plus important que le cerveau, car il est le siège de l’inconscient. C’est en lui que le guerrier puise sa force. Le côlon est plus grand et plus puissant que le cerveau qui n’est qu’un ordinateur. Dans le microbiote, mieux que dans l’hémisphère droit du cerveau, se niche la véritable créativité. Elle n’a strictement rien de mental.

Nous sommes des êtres magiques, non pas des magiciens, mais des êtres infinis doués de pouvoirs immenses. Notre triste époque les a mis dans un sac qu’elle a jeté au fond des océans. À chacun de plonger au plus profond de son océan intérieur pour les faire émerger. Dieu n’est pas notre origine, mais notre devenir.

Comme Friedrich Nietzsche, je crois à l’avènement du surhomme. Ce sont des surhommes qui nous ont donné le jour, à notre tour d’évoluer vers ce qu’ils ont été. Et ce n’est pas la science menteuse qui nous y conduira. C’est notre intention et notre impeccabilité.

 

Le commandement du guerrier

J’ai déjà reçu le pouvoir qui gouverne mon destin.
Je ne m’accroche à rien, pour n’avoir rien à défendre.
Je n’ai pas de pensées, pour pouvoir voir.
Je ne crains rien, pour pouvoir me souvenir de moi-même.
L’Aigle me laissera passer, serein et détaché, jusqu’à la liberté.

Carlos Castaneda

 

 

Carlos Castaneda

 

Après le départ définitif de Don Juan Matus, Carlos Castaneda a traversé une période sauvage

Les sorciers ne peuvent jamais construire un pont pour rejoindre les personnes de ce monde. En revanche, si les personnes le désirent, elles doivent construire un pont pour rejoindre les sorciers.

Carlos Castaneda

 

 

Quand il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion.
Voltaire