Le secret de Pioneer 10

Juin 2029Le bug de Pioneer 10 a mis le monde scientifique à feu et à sang. Comment la sonde spatiale censée filer vers l’étoile Aldébaran revient-elle vers la terre depuis la direction diamétralement opposée ?? Une énigme qui déchaîne les amphis. Astrophysiciens, mathématiciens, statisticiens, généticiens, informaticiens, et autres iciens se lancent des hypothèses et des grenades incendiaires tandis que l’opinion publique se passionne pour l’affaire. Mais remontons à l’origine du projet.

Cap Canaveral, mai 1968 – Le projet Pioneer vient d’être lancé. Tandis que les ingénieurs et les techniciens s’affairent à sa réalisation, les astrophysiciens s’excitent comme des puces à l’idée de contacter – peut-être – des intelligences extraterrestres. En fait, celles-ci ne sont pas très loin… 

Station d’observation intra-lunaire, au même moment – Eh oui, il y a une station d’observation à l’intérieur de la lune. Vous avez bien lu. La lune, pour ceux qui l’ignorent encore, est un satellite artificiel creux. Elle dispose de pistes d’accès sur sa face cachée qui, comme vous l’avez forcément remarqué, reste tout le temps invisible puisque notre satellite tourne sur lui-même exactement dans le même temps qu’il accomplit sa rotation autour de la terre. Coïncidence trop parfaite pour être due au hasard – qui comme on sait n’existe pas !

La lune a été placée là par le gigantesque vaisseau-mère que les Romains appelaient Hyperborée, les Sumériens Nibiru, les Celtes Sidhe, et qui a reçu une infinité d’autres noms selon les peuples et les époques. Sa position a été soigneusement choisie, ni trop près pour ne pas courir le risque plus ou moins rapide de s’écraser sur la terre, ni trop loin pour éviter d’échapper à l’attraction terrestre et finir brûlée par le soleil. Tout un art. C’est encore un exploit impossible pour les experts de la NASA ou de l’ESA, mais ce fut un jeu d’enfant pour les dieux d’avant.

L’intérieur de la lune contient un vaste astroport et son hub, toute l’infrastructure hôtelière pour traiter les nombreux visiteurs des étoiles, ainsi qu’un complexe de loisir digne des dieux. De plus elle est pourvue d’une station d’observation et d’enregistrement, télescopes lasers, micros et caméras longue portée, ainsi qu’une flopée de capteurs ultra sensibles. Rien de ce qui se passe ici-bas n’échappe au gros œil blanc de la lune. Les terraformeurs savent tout, ainsi peuvent-ils tout anticiper.

La première fois qu’ils sont venus sur terre, elle était encore sauvage. C’était il y a plusieurs milliards d’années. Les terraformeurs ont façonné cette planète, ils l’ont peuplée de plantes et d’animaux variés, ils ont mis au point une espèce intelligente pour surveiller leur œuvre et si possible la prolonger. Peut-être auraient-ils dû nous faire plus intelligents ?

Nous n’avons pas été à la hauteur de leurs espoirs. Comment s’étonner qu’ils nous surveillent ? Et pourquoi s’en indigner ? Après tout, ils sont chez eux. Ici-bas tout leur appartient, même nous autres. Ils n’ont pas envie qu’on sabote un projet si ancien, qui leur a demandé tant d’efforts. Bref, les dieux savent tout en temps réel, c’est naturel et c’est bien connu. 

Dès la conception du programme Pioneer, les dieux étaient au courant. Et là, pour une fois, l’idée leur a plu. Le fait que les petits humains aient envie de rencontrer d’autres intelligences que la leur, franchement, ça mérite un bon point. de plus ils lancent un programme prévu pour durer des millions d’années, voilà une ambition qui les honorent.

Du coup les dieux se sont passionnés pour cette affaire. C’est devenu une sorte de feuilleton pour les Sélénites.nom qu’on donnait jadis aux habitants de la lune Ils en suivaient toutes les péripéties, commentaient toutes les options, riaient souvent des naïvetés humaines, ce qui est une habitude chez eux, d’ailleurs. Certains dieux comme Apollon et Enki ont même pris des paris sur la réussite du programme. Pas des paris d’argent, non. Les dieux parient des femmes. Et les déesses ? Des hommes, bien sûr.

Quand le programme a été définitivement mis en place, quand on a montré la plaque à la télé, avec le portrait des humains, avec des éléments de chimie et d’astronomie, plusieurs dieux se sont extasiés devant l’orgueil de leurs créatures. « Non mais qu’est-ce qu’ils s’imaginent, ces petits gaillards à la vie brève ? Ils se prennent pour nous ? » Enfin quand les dieux ont vu ce bonhomme à poil et cette bonne femme toute nue, ils se sont roulés par terre, morts de rire. Celle-là, c’était la meilleure du millénaire !

« Déjà ils se décident à explorer le système solaire. C’est courageux après la baffe qu’on leur a mise quand ils ont voulu débarquer sur la lune. Sur notre lune, bordel de dieu ! Un jour ils voudront débarquer sur Titan, sur Cassiopée, et pourquoi pas, se poser sur Alcor dans la Grande Ourse ? Bon, ils n’en sont pas là, mais si on compte en années divines, c’est pour demain ! Tu te souviens quand nos ancêtres Olympiens avaient enlevé le sage Hénoch ? Ce terrien-là est déjà venu sur notre planète natale, nos pères les y ont amenés. Un jour, ils viendront sans notre aide. Ils ont grandi, ces petits. »

« Et ils ont déjà commencé ! Leur minuscule engin ridicule est prévu pour filer pendant 2 millions d’années terrestres. Direction Aldébaran. Rien que ça ! Ils vont être contents les Aldébardeurstel est le nom qu’ils se donnent! J’imagine déjà leur tronche devant le cadeau :
– C’est quoi cette merde ? Et ça vient d’où ? La terre ? Pourquoi pas le trou de mon cul ?? Mate un peu la tronche en biais ! Les seins de la meuf !! MDR ! Ils font peur, ces pauvres taches! »

Vous vous dites que ce petit jeu a fini par les lasser ? Vous vous trompez. Les dieux adorent se payer nos tronches. Ça les occupe et puis ça les distrait. Ils sont là pour nous surveiller, qu’on fasse pas de connerie irréparable. Oh, on en a fait ! Et on en refera. Seulement les dieux sont efficaces : ils savent tout réparer. Quand c’est vraiment mort, ils rebroussent le temps, et tout redevient comme avant. Commode. Ils leur suffit de presser une touche.

Non, les dieux ne se sont pas lassés de Pioneer 10. Ils ont été aussi curieux des moindres détails que les ingénieurs de la NASA. Ils en savaient autant qu’eux. Davantage même, les dieux voient le futur, ça aide. Apollon-4 a dit que cette sonde serait la cause aux grands effets. Mars-3 s’est foutu de sa gueule, sous prétexte que ses prédictions, comme toujours, étaient si incomplètes qu’elles ne servaient à rien. Mars-3 a dit qu’Apollon-4 avait gagné son permis de prédire en grattant un Tac-o-tac. Apollon-4 a rétorqué que si Mars-1er avait été aussi piètre guerrier que Mars-3, la Terre serait tombée aux mains des Anunna! 

– Elle l’est déjà, non ? s’est étonné Eros-3, l’éternel enfant qui ne vieillit pas mais meurt quand même dans la fleur de sa jeunesse. Celui-ci, troisième du nom, vit depuis 700 années humaines, il en a encore pour presque autant avant de perdre ses petites ailes marrantes et ses fesses potelées. Alors il tombera comme une mouche. La plupart des dieux vivent plusieurs millénaires de nos années. Mais les dieux sont vivants, ils sont donc mortels.

En 2012, au mois de décembre, les dieux lancent un concours d’idées. Quelle leçon allons-nous donner aux humains pour les dissuader de lancer d’autres sondes ? La meilleure idée sera mise en œuvre et le lauréat gagnera 500 ans de vie en plus. C’est toujours bon à prendre. Tous les dieux s’y mettent. Héra retient les douze meilleures suggestions. Finalement c’est Mars-3 le gagnant. Son idée : capturer la petite sonde Pioneer 10 et retour à l’envoyeur. C’est net, clair et précis. Mais pas assez original pour gagner la palme. Aussi a-t-il ajouté qu’il fallait la téléporter à deux millions de kilomètres de la terre, et dans la direction diamétralement opposée à celle qu’elle avait suivi au départ.

Voilà toute l’histoire. On comprend mieux l’émoi des humains, qui sont loin de se douter. S’ils savaient ! Mais non, les humains ne peuvent pas savoir. Comment le pourraient-ils ? 

En attendant, si tu te dis que l’énigme est éclaircie, es-tu sûr d’avoir tout compris ?

(à suivre)

L’important n’est pas de croire ou de ne pas croire. Ce qui compte, c’est de poser un maximum de questions.
Bernard Werber