Maître Glenmor

 

J’aime ma Bretagne. J’aime Erquy où je suis arrivé en 1953. J’avais quatre ans. Ma vie a connu bien des errances et des bonheurs surtout. Musicien et compositeur, je fus bercé par le dernier des bardes, Glenmor, à qui je dois beaucoup.

 

Le temps est bien loin où j’allais l’écouter dans les bistros des Côtes d’Armor et du Finistère nord.

Sans le savoir, Glenmor a fait de moi un peu de ce que je suis. Inspirateur, éveilleur, il m’a entraîné à sa suite avec tout un peuple contestataire qui plus tard allait faire mai-68. À l’école des miracles, il fut mon premier maître, et quel prof généreux a-t-il été ! Quel magnifique passeur de relai !

Aussi, dans ces pages consacrées aux grands poètes, je tiens à lui donner l’hommage qui lui revient de droit.

Bohème

Il est des chemins, il est des vallons où la vie reprend ses droits
Il est des sentiers et des horizons où le cœur revit ses joies
Il est des matins et des lendemains où courent les vents et meurt la peine
Il est des poèmes et des mélodies qu’apportent les vents du soir
Il est des chansons et des harmonies où la vie fleurit d’espoir
Il est des amours et des amitiés où naît le bonheur et meurt la peine

Sur les chemins de la Bohême tu ne vieilliras pas
Si tu ne vis que de rêves le temps t’épargnera
Si pour toi le jour se lève sur un autre nid
Sur une autre envie sur une autre chanson sur un autre refrain
Une autre raison d’aller vivre plus loin

Il est des regards et de longs voyages vers de nouveaux horizons
À chaque tournant à chaque virage mûrit une nouvelle e moisson
Il est des grandeurs il est des oublis où naît le bonheur et meurt la peine

Sur les chemins de la Bohême tu ne vieilliras pas
Si tu ne vis que de rêves le temps t’épargnera
Si pour toi le jour se lève sur un autre nid
Sur une autre envie sur une autre chanson sur un autre refrain
Une autre raison d’aller mourir plus loin

 

Ma Terre (Le Retour)

Et voici bien ma terre, la vallée de mes amours

Quand bien même se lève en fleur de bruyère la graine d’insoumission
Je retrouve ici ma terre, la vallée de mes amours
En ma chaumière se refont les vents du nord
Traînant dans leur colère les duvets des oiseaux morts
Et la sombre demeure qui se rit de la pluie
Se refait d’heure en heure
Beauté sans nuage et nuage sans oubli

Et voici bien ma terre, la vallée de mes amours

Ce fut la rosée de mai qui vit partir l’enfant en quête de nouvelles rosées
Tout est gîte au printemps
Ce fut décembre qui ramena l’oiseau aux granges du passé
L’hiver il n’est qu’un nid, un visage, un appel
Cette odeur de fumée piquée de gel

Et voici bien ma terre, la vallée de mes amours

Voici venir ailé de nuages le sourire d’une mère
Cheveux blancs en bandeaux de lumière
C’est bien ici ma terre la vallée de mes amours

 

Cet amour-là

En glissant la vie aux lointains rivages
Tu fais du chemin un bien doux métier
En tenant le cœur de joies et partages
Tu fais du bonheur un joli sentier

Ce bonheur-là, vois-tu ma mie, ne saoule pas
Ce bonheur-là, vois-tu ma mie, ne saoule pas

En donnant la main à l’autre qui rage
Pour gerber à deux le rire et la vie
Seront tout joyeux, navire, équipage
L’écume a ses fleurs, la Terre a ses bruits

Ce monde-là, vois-tu ma mie, ne pleure pas
Ce monde-là, vois-tu ma mie, ne pleure pas

En flânant par-ci par-là, renaît l’aube
Du ciel au matin se jouent les couleurs
Le monde se crée, la nuit se dérobe
Les feux du couchant ont douces splendeurs

Ce soleil-là, vois-tu ma mie, ne s’éteint pas
Ce soleil-là, vois-tu ma mie, ne s’éteint pas

Nous voguons à deux, ne sommes point sages
L’amour a ses dieux, le cœur a ses droits
Nos folles années ont tourné la page
Nous étions bergers, l’ bonheur nous fait rois

Cet amour-là, vois-tu ma mie, ne meurt pas
Cet amour-là, vois-tu ma mie, ne meurt pas

 

Dame Misère

J’ai quitté le rocher Qui me servait de Terre Pour me faire écuyer
Adoubé cent fois Je vécus de rêves Et devins chevalier
D’aussi loin qu’il me souvienne Je riais dans la cité
D’aussi loin qu’il me revienne Je retourne à mon passé
Bonjour dame Misère  Le froid me vole ma gaieté

J’ai quitté les remparts  Où grondait la colère  Les vents ont mal tourné
Jeux de mort ou de hasard Au chant de la guerre Le canon a trop parlé
D’aussi loin qu’il me souvienne Je désertais la cité
D’aussi loin qu’il me revienne Je retourne à mon passé
Bonjour dame Misère La guerre me vole ma bonté

Je revois l’aurore Tout en gloire et lumière Avant le jour levé
L’ombre est couronne Et dresse barrière Au feu du doux berger
D’aussi loin qu’il me souvienne Je contemple la cité
D’aussi loin qu’il me revienne Je retourne à mon passé
Adieu, adieu dame Misère  La mort me vole l’épousée

 

Il se fit âne

Il se fit âne pour braire un peu Placer un mot, téter sa mère
Les fesses rouges et les joues bleues Les yeux lavés par la misère
L’amour premier qu’il eût aimé Fallait pouvoir se le payer
L’amour premier qu’il eût aimé Fallait pouvoir se le payer

Il grandit seul au coin des rues Cœur froid l’hiver, cœur froid l’été
Sous ses haillons d’hurluberlu Il se fit roi, roi des ratés
Car le grand air des consolés Fallait pouvoir se le payer
Car le grand air des consolés Fallait pouvoir se le payer

Il prit compagne dans les fourrés  Sans prévenir Monsieur le Maire
Comme font les chiens au coin des prés  Comme font les pâles de la Terre
Les convenances des bien-nés  Fallait pouvoir se les payer
Les convenances des bien-nés  Fallait pouvoir se les payer

Il fut escroc d’une cité Se fit voleur des grands chemins
Survit à l’ombre des taverniers L’âme effacée, puant le vin
Car le pardon, l’honnêteté  Fallait pouvoir se les payer
Car le pardon, l’honnêteté  Fallait pouvoir se les payer

Il mourut seul, un beau matin Quand les bigots font leur prière
Lavé de pluie, rasé de loin  Son pauvre chien le mit en terre
Car les prières des curés  Fallait pouvoir se les payer
Car les prières des curés  Fallait pouvoir se les payer

Il a vogué sur trois étoiles Sur les monts, les champs d’en-haut
À l’heure où les clartés se voilent  Il aborda un ciel nouveau
Car le Bon Dieu, le paradis  Pour qui débarque, c’est gratuit
Car le Bon Dieu, le paradis  Pour qui débarque, c’est gratuit

 

 

Glenmor

Après ces quelques chansons que j’ai tant de plaisir à fredonner et que j’ai chanté avec lui à Ploumanach dans les années soixante, voici quelques mots pour faire mieux connaissance avec ce géant.

Glenmor, (Émile Le Scanff à l’état civil) né le 25 juin 1931 à Maël-Carhaix et mort le 18 juin 1996 à Quimperlé, était un auteur, compositeur, interprète, écrivain et poète de langue française et bretonne très engagé dans la défense de l’identité et de la culture bretonne.

Personnalité bretonne hors du commun, Glenmor a fortement contribué tout au long de sa carrière à l’essor du mouvement culturel breton des années 70, permettant de faire renaître le sentiment de fierté de tout un peuple, mis à mal dans la France de l’après-guerre quand la culture celte et la langue bretonne étaient présentées comme un facteur d’arriération et objet de mépris.

La carrière artistique de Glenmor débute à Paris en octobre 1959 où il donne son premier récital. Précurseur, il fut l’un des premiers chanteurs ayant une renommée dépassant les frontières de la Bretagne à chanter en breton, ouvrant ainsi la voie à de nombreux artistes tels Alan Stivell ou Gilles Servat.

Pourfendeur du centralisme culturel, barde moderne, la voix de ce personnage, chanteur, poète, et tribun, libertaire et rebelle au grand cœur ne cesser de dire la révolte et les aspirations de Terre de Breizh. Auteur de textes de pure poésie, il choisit et affûte les mots comme des armes. Des mots vrais, tendres, puissants, incantatoires.

L’héritage de Glenmor est immense.   Chaque année, la plus grande scène du Festival des Vieilles Charrues de Carhaix porte son nom.  Une stèle à son effigie, est érigée en 1998 au parc du Thabor à Rennes.  En 2009 et 2011, la chanteuse Clarisse Lavanant a enregistré deux albums de reprises des chansons de Glenmor. (lire la suite)

Interview de Glenmor (1977)

 

 

Toute réalité existe dans l’esprit. Le phénomène externe, ce qui apparaît, n’est que son expression extérieure. L’univers visible est le reflet de l’invisible.
Platon