Mars Attaque 2048

Putain de mutants martiens ! Le 22 mars 2048, après bien des atermoiements, sept personnes des trois sexes se sont posées sur la planète rouge. Sans espoir de retour, ils se sont installés dans la durée. Et dans l’inconfort. Prisonniers de l’immensité, ils regardaient briller la Terre à peine plus grosse qu’une étoile lointaine.

Et sur Terre, on s’est mis à scruter Mars en pensant aux héros de cette colonisation lointaine. On leur avait donné un surnom plaisant, Les Ides, dérivé du latin id, qui signifie ce au genre neutre. Ainsi on n’offensait ni les femelles, ni les mâles, ni les femâles.

On ne parlait que d’eux au début, ça plaisait, Neo-Disney en a même fait une série à succès. Au début on guettait chaque communication, surtout les images. Mais Mars est monotone. Rien de spectaculaire.

Avec le temps on s’est mis à parler d’autre chose. Les mille torrents de l’info ont dévalé des pentes raides. L’attention des gens est volage et assoiffée de nouveauté… Les Terriens ont oublié les exilés.

Les Ides de Mars

Alors les Ides ont lancé un projet titanesque. Construire l’observatoire le plus haut et le plus loin de la planète mère. Site retenu : l’Olympus Mons qui culmine à 22,5 km. C’était programmé avant le départ, mais pour plus tard. Les Ides ont pu avancer la construction en récoltant sur place la silice pour fondre les optiques.

Encore leur fallait-il un four. Ils ont utilisé le modèle d’un four à particules, agrandi 50 fois et fabriqué à l’aide d’une imprimante 3D. La construction de l’observatoire, prévue pour durer 7 ans, fut bouclée en 5. Les images obtenues par les optiques bricolées étaient floues, inégales et totalement inexploitables à des fins scientifiques. Mais les Ides n’avaient aucun projet scientifique. Ils voulaient juste qu’on parle d’eux. Du buzz politique. Un pavé dans la mare médiatique. Et ça a marché.

Pendant les cinq années qu’a duré la construction, les Ides ont fait preuve d’une ingéniosité sans limite pour valoriser chaque semaine une micro réalisation, une aventure, un échec même, le tout saupoudré d’un couplet universaliste sur le grand peuple de la Terre –ce qui tombait à pic au moment où se préparait l’élection au suffrage universel du premier Président de l’Union Terrestre et Extraterrestre.

L’Union Terrestre

Manque de bol, les initiales de cette lourde charge donnaient PUTE. Mauvais signe. Un député terrien a proposé Président de l’Union Terrestre et Annexe. Plusieurs pays latins ont vivement protesté. Les délégués Russes ont suggéré Président de l’Union Terrestre Internationale et Nationale.

Outre le fait que ça ne voulait rien dire, cet hommage burlesque et mégalo a fait ricaner l’hémicycle. Le Premier Russe a aussitôt quitté la Conférence sur son fauteuil roulant Ferrari à coussin d’air très pratique pour monter les escaliers. Les délégués russes l’ont suivi au pas de course. Quel sportif ! Un si long règne laisse rêveur. Ou mort.

Le soir même on apprenait sur KOOL que le Premier Russe retirait sa candidature unique à cette élection au titre infamant. Le réseau social russe KOOL (KOmsomol On Line) est très influent sur toute la planète jeune. En quelques années, sur un marché saturé mais volatile qui est celui des réseaux sociaux, KOOL s’est taillé la toute première place mondiale du secteur. Son challenger est le réseau français FESSBOUC, qui a torpillé son presque homonyme en autorisant l’érotisme on line. Très fort, Fessbouc ! Une vraie trouvaille ! Vive la France et chapeau bas pour l’esprit gaulois.

L’ours mal léché

Oui, bon, fait chier, va falloir organiser de nouvelles élections. Cinquième fois pareil, le candidat unique se désiste au dernier moment. On a fait le tour des mégalos, le Clan de l’Ours était bien placé vu toutes les annexions territoriales opérées sur les républiques voisines. Comme jadis un sale clown à la petite moustache. Il fallait à tout prix enrayer ce phénomène de sinistre mémoire.

C’est pourquoi l’Union mondiale devenait urgentissime. C’est aussi pourquoi les Russes y mettaient une condition : le futur président doit être Russe.

Mais il y a une couille dans le bortsch. Le Russe fait l’ours. Il hiberne dans la taïga. Il s’en tape, de l’Union. Il va se la faire tout seul avec les copains Chinetoques. A ménager : ils sont pétés de thunes. A déménager aussi par la suite… pour mieux rafler les jaunets jaunes à la barbe des Chleus. L’un goth, l’autre pas.

Quelle horreur pour de l’or, Aurore
Vous jetez si tôt tout le monde dehors
On est tellement bien quand on dort… (écouter)

Laissons les fous à leur folie, et retournons chez les Ides. Des fous aussi et de la pire espèce. Mais qui peut échapper à la folie par les temps qui courent ?

Des Ides errata

Les Ides de Mars n’ont pas chômé depuis leur prime installation sur la planète qui devait devenir leur tombeau. Sans espoir de retour sur Terre, ils ont renoncé à tout ce qui faisait leur vie. Famille, amis, loisirs, paysages, lieux aimés, langues, cultures, et surtout, surtout ! Proximité constante d’une foule de gens, connus ou pas, souvent pas… C’était ça la Terre Mère : des tas de copains potentiels qu’on ignore totalement, jusqu’au moment où on n’a plus de copains potentiels. Juste quelques potes en ciel…

Maintenant ils flippent comme des bêtes et se sentent floués dans les grandes largeurs. Un peu tard.

Préparée de longue date, cette colonisation martienne s’est effectuée sous l’égide de l’occident. La Chine et le Japon, la Corée et Taïwan ont participé symboliquement. L’Ours russe est resté claquemuré dans sa colossale datcha. Il nourrissait en secret d’autres projets à ce sujet.

Les sept Ides comptaient deux Etasuniens, une Allemande, un Français, une Anglaise, un Australien et un Chinois. Les sexes se répartissaient à peu près selon les genres indiqués dans la phrase précédente. A l’exception des femâles : un/e Etasunienne et un/e Australienne. Je vous raconte ça parce que je le sais, mais ça n’a que peu d’importance dans cette histoire.

Il ne manquerait plus que je vous embarque dans l’intimité des Ides ! Errata. Pas mon style… Il ne sera ici question de phantasme sexuel ni d’aucun desiderata…

Une aide inattendue

Inattendue, oui, mais super efficace surtout. L’ours du Kremlin a fait jouer ses relations et les Ides ont eu la surprise de voir venir un engin spatial de belle taille, d’origine non terrestre, qui s’est mis à rôder. Il a fait plusieurs tours de Mars en se focalisant sur les constructions en cours et les différents camps des exilés volontaires.

Après deux jours d’observation sans contact radio, l’engin s’est posé non loin de la base principale. Les visiteurs se sont montrés cordiaux, chaleureux même, à leur façon étrange. Ces gens-là restent impassibles quoi qu’il arrive, et ne semblent jamais rien ressentir. Ils ont du mal à exprimer quoi que ce soit qui ressemble à l’amitié, mais ils sont animés des meilleures intentions et viennent apporter du confort et du développement rapide sans contrepartie.

Les Russes sont bien introduits auprès de la Fédération Galactique, ont expliqué les non-humains. L’ours en chef a instamment prié ses alliés aliens d’apporter toute l’aide possible aux malheureux oubliés. Alors a commencé une alliance fructueuse. Les aliens apportaient un développement rapide et des technologies encore inconnues sur Terre, tandis que les Ides apportaient leur émotivité, leurs tripes, leurs ressentis, impressions et sentiments — toutes choses dont les Aliens de la FedGal étaient totalement dépourvus.

19 avril 2048

Grâce aux aliens et à leur précieuse technologie, les Ides eurent bientôt les moyens de voyager dans le temps et de se téléporter instantanément dans n’importe quelle partie du multivers. C’est alors qu’ils firent une demande surprenante à leurs alliés extraterrestres. Existe-t-il un moyen de bloquer la ligne temporelle ? Celle d’une personne ? Celle de tout un pays ? Et celle d’une planète entière ?

Oui, c’est possible. La planète est dans une bulle d’invisibilité. Elle disparaît des écrans radars comme si elle n’existait plus. Pour ses habitants, rien n’a changé sinon que le temps n’apporte jamais rien de nouveau. Tout se répète en boucle, indéfiniment, jusqu’à ce que la ligne temporelle soit débloquée. Mais c’est une autre paire de manches, comme dit la pieuvre.

Les Ides tenaient leur vengeance. Ils sont revenus sur Terre. Ils y ont arrêté le temps. Ils ont gelé l’évolution terrestre au stade de développement atteint le 19 avril 2048. Mais tandis que les Terriens font du sur-place, le temps continue de couler malgré tout. Et la Terre poursuit son évolution sans ses habitants restés bloqués sur la Terre en 2048. Une sorte de confinement généralisé, insensible mais bel et bien efficace.

Alors les Ides ont pris possession de cette Terre vierge, inoccupée mais combien riante, où ils ont tout loisir de vivre la belle vie toute la place pour le faire et tout le temps d’en profiter. Leur vengeance accomplie leur offre du même coup un avenir infiniment plus riant que celui auquel ils étaient voués sur Mars la rude. Les héros en temps de guerre sont des casseurs en temps de paix, disait mon grand-père.

Astéroïde

Ouais… Mais c’était sans compter l’Ours… Dès que les ides ont entamé leur retour vers la Terre et vers l’an 2048, il a installé la toute nouvelle Fédération Russe sur la planète Mars. C’est pour ça qu’il s’en foutait royalement de l’Union terrestre. Sa fédération pèse très lourd. C’est un empire de 6 milliards de sujets appartenant à 57 pays. Tout ça sur Mars.

Ils sont un peu tassés, mais bon, ça va quand même. L’installation démarre, ils sont optimistes. Les deux premières semaines en tout cas. Quinze jours après leur installation martienne, la planète rouge se met à rapetisser. La semaine suivante, elle fait la taille d’une demie lune. Et elle continue à rétrécir… Quoi-quoi-quoi ? rugit l’Ours rouge de colère.

Les Ides, en quittant Mars, craignaient que leurs aménagements ne servent à d’autres. Relégué au rang d’astéroïde, Mars perdrait tout intérêt pour une quelconque colonisation. Leurs potes de la Fédé Galac sont intervenus une fois de plus. Ils ont donc installé un dévoreur anti-matériel apte à rétrécir la planète. C’est assez rapide.

Naturellement les Ides comme les aliens ignoraient tout du plan de l’Ours. Aucun d’eux n’aurait pu prévoir que la colonisation adviendrait si vite avec des colons en si grand nombre. Personne ne pouvait souhaiter que Mars la minuscule devienne un piège mortel pour six milliards de camarades fraîchement débarqués.

Debout les uns contre les autres dans leurs six milliards de combinaisons spatiales, ils occupaient précisément toute la surface du minuscule planétoïde. Collés serrés. Même pas la place de sortir un sandwich.

Vingt ans plus tard, Mars fut rebaptisé le Caillou Blanc. Et c’est exactement à ça qu’il ressemblait. Blanche était son apparence, car toute la surface de l’astéroïde était couverte d’ossements. Si les peaux peuvent être de toutes les couleurs, le sang est toujours rouge et les os toujours blancs.

Dans tous les cas, si vous avez encore quelque chose à faire sur terre, dépêchez-vous. En 2048, il sera trop tard. L’horodatage terrestre sera réinitialisé pour toujours. Et les humains seront robotisés à jamais. Le pire danger vient du futur, je vous le dis. Putain de mutants martiens!

 

Seul le fantastique a des chances d’être vrai.
Pierre Teilhard de Chardin