Folie ordinaire

 

Ce que les autres prennent pour moi n’est que l’expression de ma folie ordinaire. Le sorcier se met tout d’abord sur le paillasson de l’interlocuteur. Il excelle dans les dialogues. L’enseignement se joue toujours à deux. Mais les sorciers d’expérience savent se mettre sur plusieurs paillassons à la fois. C’est leur régal. Et mon péché mignon.

 

La transmission véritable est un rapport unique, de cœur à cœur, d’âme à âme. Et de corps à corps, grâce au reki d’Erquy. Ça se passe à deux. Toujours. Comment peut-on enseigner des dizaines d’élèves à la fois ? Constat d’échec irrémédiable de l’éducation nationale. Transmettre c’est permettre à un autre d’entendre sa chanson. On n’apprend bien que ce qu’on sait déjà. Enseigner c’est confirmer. Réassurer. Rassurer. Tu sais déjà tout ça. Ça dort au fond de toi. Tu n’y vas pas. Tu sais que c’est là, tu regardes ailleurs.

 

Folie des sages

Mon rôle est de te montrer que tu sais. De te prouver que tu peux. Nous pouvons tous. Mais combien d’entre nous ont osé ? Que sais-tu au juste ? Je vais te le dire. Tu n’es pas celui que tu crois être. La fausse image dans ton miroir est celle de l’individu socialement acceptable que les autres te renvoient. À la longue, tu as fini par accepter cet autre. Le sorcier, lui, n’accepte jamais les costumes de confection. Il tisse lui-même ses vêtements sur mesure. À ta mesure, à ta taille, maille que maille. 

Ceux qui viennent me voir découvrent non pas le sorcier, mais l’hôte bienveillant qui veut les aider. Ça c’est l’œuvre de ma folie ordinaire. S’ils voyaient qui je suis vraiment, ils prendraient peur. S’ils voyaient qui ils sont vraiment, ils feraient de même. Ils sortiraient d’eux en hurlant de terreur. Nous sommes tous complètement cinglés, lunatiques, hallucinés. Mais le rabot social nous émascule, soi-disant pour notre bien et pour celui de nos semblables. Les humains sont des volailles dont on coupe les ailes pour leur ôter la tentation de voler.

Le fou se croit sage, le sage se sait fou.

William Shakespeare

 

Les oies sauvages ont leur vie, voler au-dessus des nuages, se gaver de soleil et d’horizon. Au lieu de ça, les oies domestiques sont gavées à l’entonnoir pour le foie gras. Et toi ? Qui te gave ? Quel est ton entonnoir ? Il s’agit de toi, mon ami. C’est ta vie. Tu n’en auras pas d’autre, c’est moi qui te le dis. Tu la laisses passer comme passe un été, couvert de fruits, d’or blond, de sable et de péché. C’est ta vie qui s’en va comme on part à la pêche, comme on revient de loin comme on se trompe aussi. La vie vient, la mort va, est-ce vice et vers ça ?

 

 

Oui c’est vers ça qu’on va. Ami, réveille-toi. Tu as dormi longtemps d’un sommeil imbécile, comme font le marteau, l’enclume et la faucille. Chagrin ? Pourquoi ? Joie ? Pourquoi pas ? Le sort d’un éphémère est moins triste qu’on croit. Il s’étire, il s’éveille, il est déjà parti. Mais à son rythme il a connu mille aventures. Il a vécu cent jours, il a passé mille ans, nul ne sait mieux que lui l’éternité du temps.

Tu lui ressembles. Ensemble, associés improbables, vous finirez demain les reliefs du festin. Sinon je suis un homme plein de bon sens. Amoureux de nature et de réputation, j’aime aimer, j’aime dire oh mon âme à quel point je te veux. Je suis vieux. Oui, vraiment. Mais dans ma quarantaine, j’ai tué l’isolement. Et dans ma cinquantaine j’ai jeûné si longtemps que vint ma soixantaine avec ses privations. Ses nuits sans toi, ses lits vides, ses jours qui n’en finissaient pas, ses matinées livides. 

 

Sagesse des fous

Et voici que soudain tu es venue, sublime. Comment ne pas t’aimer ? Comment rester de marbre alors que tu m’enflammes ? Oui, je te veux, mon âme. En toi mon dard se cabre. La folie dans tout ça fut de vivre sans toi. Je l’ai fait trop longtemps. 

Ces paroles s’inscrivent dans la fine couche de ta mémoire vive pour que tu t’en souviennes après ta mort. Pour que nos corps revivent. Que ton corps et le mien à jamais s’apparient. Cet instant pour toujours durera mon amour, cet instant merveilleux, ce soir d’apothéose, ce festin fabuleux où les fées se reposent avant le bal de nuit. Déjà mille chandelles éclairent ton palais, divine enfant du Cygne, chérie des dieux du ciel, mon unique orpheline. Il pleut du bleu. Le ciel est mi-gris mi-soleil, nos cœurs couleur de l’arc en ciel quadruple que tu montrais du doigt l’autre jour sur la grève.

Ferme le lit du rêve. Ouvre tes bras pour moi. Je reviens. Je suis là. Non je n’ai pas traîné, le ciel était si lourd et si dur à porter. J’ai dû escamoter les trois Parques et les trois armées du monarque étrange, est-ce un archange ou quelque noir démon ? Je n’ai pas su le nom qu’il m’a donné. Je tremble au lieu de répéter les syllabes pointues qui montrent, cachent et tuent. 

 

Magie blonde

Mélanger l’eau tiède et la farine. Délayer un peu de levure boulangère dans un peu d’eau, laisser reposer un quart d’heure. Pétrir le mélange avec une pincée de sel. Laissez gonfler une heure à température ambiante. Façonner la pâte sur une planche farinée. Laisser reposer une heure et demie. Mouiller le dessus du pain. Inciser. Cuire 30 minutes à four très chaud. Laisser refroidir. Rompre avec des convives de fortune ou de pauvreté.

Il existe dit-on deux sortes de magies. J’ai dit ailleurs ce que j’en pense. Erreur immense, galère intense, total non-sens, fatale absence. C’est compter sans la magie blonde, celle qui fait tourner le monde. Main dans la main, savourez le pain sans attendre demain. Entrez dans la ronde, la magie est blonde, la danse est féconde, en chemin le bonheur abonde.

 

 

Si tu m’as fait escorte tout au long de l’exorde, si mes mots ont bercé cette oreille, si ce cœur a suivi l’arabesque, si ce joli pied a chaussé la pantoufle de Cendrillon, esquissé l’entrechat, si tu as quitté l’hôtel Crillon, sauté la case prison, débranché la raison, écouté le grillon, ma chérie, c’est gagné. Tu sais tout. Sans en avoir l’air tu as lu dans ces vers comment le Rêve opère, je t’ai fait voir mon cœur : ma folie ordinaire. C’est une folie contrôlée. Muselée. 

Il est des réalités que les mots n’effleurent qu’à peine. Puissent-ils ne les effleurer qu’à joie ! Le bon vent qui t’amène abolit l’anathème. C’est le sens du poème. Il enferme en son sein 18 positions du point d’assemblage. Fais-en bon usage. 

 

Ce texte a été reçu au moyen du channeling vacuostatique, ou vide mental durable. Je l’ai très peu modifié après relecture. La vacuostasie est l’art de faire le vide intérieur, vacuité des pensées, vacuité des ressentis, vacuité mentale, neuronale, sensorielle et affective, qui permet l’accueil d’un type particulier d’ondes scalaires, les ondes porteuses d’amour au sein duquel tout s’épanouit durablement.

 

Ce n’est pas ce que vous savez qui pose problème. C’est ce que vous savez avec certitude qui n’est pas vrai.
Mark Twain