Est-ce que les mondes se chevauchent ? Oui, depuis déjà longtemps, souviens-toi. Est-ce que les mondes se séparent ? Oui, ça oui, et c’est nouveau. Il va falloir choisir ton camp, camarade. Ou pas…
Bienvenue chez toi. Voici pour t’accueillir la cohorte des vieux sages, le peuple élu des géants, la foule puissante des dieux d’avant. Ce qu’ils ont été, nous le serons. Ce qu’ils furent, nous le sommes. Leur immense savoir est le tien, sers-toi, tout est ouvert, mais la caisse est fermée. Ici l’or n’a plus cours, sauf l’or du cœur et celui du temps. Ici tout est plus sensible, plus ténu, plus émouvant. Le monde lourd court derrière.
Dans ce nouveau monde où te voici, la nourriture est inutile. On est malade quand on mange. On peut boire, oui, tant qu’on veut. En évitant l’alcool, le café, le tabac. Et d’abord la viande, les laitages. Sentir une fleur nourrit plus que manger un fruit. Il faut tout réapprendre, c’est génial !! Nous avons avec nous un professeur idéal : notre guérisseur intérieur. Il ne nous quitte jamais, même si nous l’écoutons rarement. Dans ce nouveau monde, inutile de compter sur les médecins ou les guérisseurs pour se soigner. On ne peut plus compter que sur le guérisseur intérieur. Rassure-toi : il fonctionne, sinon tu ne serais pas ici avec moi. Ecoute ton corps, il sait mieux que tous les livres, mieux que tous les cerveaux. Tous les vivants ne vont pas passer dans ce monde où nous sommes déjà. D’autres nous rejoindront encore, mais le gros des troupes est déjà ici, à pied d’oeuvre.
La séparation s’opère, ici et maintenant, sous nos yeux. Des objets disparaissent et réapparaissent, les perspectives des paysages sont complètement tordues, les nuages sont vivants et te parlent, les fleurs – oh les fleurs ! Les fleurs émettent un rayonnement qui rend leur couleur si vive, si vibrante, si vraie, qu’on a l’impression de n’avoir jamais vu de fleur avant elles. Marcher pieds nus, doucement marcher dans la lumière brillante des fleurs vivantes. Ceux qui resteront dans l’autre monde vont nous faire des tas d’emmerdes avant de nous laisser partir. S’ils s’en rendent seulement compte, occupés qu’ils sont à militer, boursicoter, bronzer, parader, tromper, vendre, acheter, entraider, soigner, tuer, guérir, tirer les tarots, enfanter et mourir.
Ne crois pas qu’ils vont pouvoir continuer tranquilles. Eux aussi devront changer s’ils veulent survivre. Le monde leur donne le ton. Il a déjà tellement changé que ceux qui ne le voient pas sont déjà foutus. Ces bouleversements sont salutaires, ce vieux monde était étouffant de bêtise et de méchanceté. Au fond de ton cœur bat le cœur du nouveau monde. Ecoute-le, laisse-le s’amplifier, il est comme la vague qui vient battre la digue, un jour elle submergera tout. Et ce jour n’est pas loin.
Ces vaines actions caractérisent le vieux monde malade que tu as déjà quitté. La morale et la religion font partie des vices dont tu dois guérir. Ne crois pas que faire le bien vaut mieux que faire le mal. Le bien ne se fait pas, il est, il a toujours été. Il ne s’agit pas d’agir bien ou mal, mais d’être impeccable. Les Amérindiens s’efforçaient de ne laisser derrière eux aucune trace de leur passage. Pour eux, c’était le respect minimum que les êtres humains doivent à notre mère la Terre et notre père le Grand esprit, Wakan Tanka.
Tu dois te réjouir d’être où tu es, et de vivre cette période unique dans l’histoire de notre espèce : le grand passage. Dis adieu aux rêves dérisoires du monde ancien. Dis adieu à tous ceux et toutes celles qui ne vont pas t’accompagner dans ta nouvelle quête. C’est une séparation totale, sans possibilité de retour : pour nous, un saut dans l’inconnu, avec des tas de pouvoirs tout neufs ; pour eux, la routine plus pesante et plus létale, l’implacable routine des hommes-machines.
Il est l’heure de jubiler. Il faut se réjouir, rire, cultiver la gaieté, ne s’étonner de rien pour s’émerveiller de tout. Ce monde-ci qui s’inaugure est un monde pour rire, pour aimer, pour ne plus jamais mourir. Que tous ceux qui n’ont jamais vécu s’éveillent à cet instant. Qu’ils nous rejoignent, sans crainte ni regret. Les portes s’ouvrent. Le canal chante et nous applaudissons. Fin des croyances trompeuses, fin des religions, fin des superstitions, que le règne arrive de la liberté reine. Dansez mes amis, dansez dans les chaînes, jusqu’à ce qu’elles tombent à jamais.
D’autres enfants viendront, d’autres rires. Le soleil invaincu se lève sur nos mornes plaines, semant la joie d’aimer, dissipant les vaines angoisses.
T’en fais pas. Réjouis-toi.