La religion est pour ceux qui ont peur de l’enfer. La spiritualité, pour ceux qui y sont déjà allés.
Difficile d’être plus clair. Tout est dit, et si bien dit. Il vaudrait mieux arrêter là… Quand le cuistot délaye une sauce, il l’affadit. Mais un bon cuisinier sait développer sans délayer. À moi de jouer. À toi de lire.
Le mot vient du latin religere, relier. La religion crée un lien entre ses adeptes. Elle les ligote aussi. Le croyant n’a pas les mains libres, il est entravé par sa foi tenace. Le doute libérateur ne lui est pas permis. Alors il gobe tout rond. Il acquiesce sans comprendre et s’efforce de comprendre quand il faut ressentir. Relier c’est lier. Resserrer les liens entre les croyants, c’est les entraver davantage.
Religion c’est vite dit. Tous les clubs, toutes les associations, tous les gangs, toutes les bandes peuvent très bien adopter l’apparence d’une religion : celle d’une foi sans la moindre part de doute. Si tu y crois dur comme fer, quelque soit la croyance, tu es tombé dans le panneau. Peu à peu, tu vas renoncer à réfléchir. Tu ne pèseras plus le pour et le contre, et tous les bourreurs de mou auront beau jeu de te faire gober leur craque de braque. Leur fake de cake.
Il y a davantage d’églises que de clochers, davantage de mosquées que de minarets. Est religion tout groupe qui impose ses règles à ses membres. Tout excès dans cette direction équivaut à une dictature. L’amour de la patrie peut devenir une religion. Comme l’amour de l’arithmétique ou du pédalo. L’amour de la pêche au bouchon ou celui de la cueillette des morilles. L’amour du travail, de la politique ou des pâtisseries au beurre. Toute passion, tout engagement immodéré, en un mot toute foi d’un groupe sans sa part de doute mérite d’être appelée religion.
C’est un chemin où l’on n’est pas seul. L’itinéraire bien balisé est aussi très fréquenté. On chante en chœur avec les enfants de chœur. On se tisse un cocon dans la chaleur du groupe. Sept pains et sept poissons. Jamais de saucisson. On connaît la chanson. Qui rit et l’air y sonne. Kyrielle est l’hérisson. Curé le polisson. Car elle est addiction. Quoi ? La foi, ma foi.
La foi est une addiction comme une autre. Pire qu’une autre. Elle prend la tête. Elle peut faire battre le cœur, d’autres drogues le font aussi. Seul le doute protège de l’addiction. L’art, la science, le culte de l’ego, le travail, la famille, la patrie — toutes les idéologies peuvent revêtir le doux nom de religion. Ou d’addiction.
Guerrier, tu t’en tiendras à ta dilection : croire sans y croire. Laisse le doute entamer ta résolution. Laisser ta foi renforcer ta conviction.Laisse les deux ensemble cimenter l’intention. Et passe à l’action.
Religion ou spiritualité ont en commun l’attirance pour la lumière, la vérité, la clarté, la dignité. Si la religion convient à tous, la spiritualité est l’affaire du guerrier. Sur son chemin solitaire, pas de chaleur du groupe, pas de cantique, pas de rituel, pas de routine. Qui revient de l’enfer est l’ami du mystère. L’homme ordinaire se contente de prier, le guerrier solitaire agit. Pas le choix. Sans cesse en action, il se bat. Mais jamais il n’attend de résultat. Il agit gratuit. Ça produit par magie.
L’homme moyen cherche la certitude dans les yeux d’un spectateur et nomme cela confiance en soi. Le guerrier cherche à être impeccable à ses propres yeux et appelle cela humilité.
On ne fait pas partie d’un club quand on va solitaire. Quand on sort de l’enfer on est bien seul sur terre. Il nous faut le grand air. L’aventure et la guerre. On se bat contre hier. On vit pour la lumière.
La spiritualité consiste à développer un nouveau regard sur le monde, qui tend à s’écarter des perceptions et des modes de pensée habituels. Le but est d’aborder le domaine de l’impalpable, de pénétrer une réalité invisible mais partout présente. Il ne s’agit pas de décrire les choses, mais de trouver le point commun qui existe entre elles : leur principe unique, leur source commune. (source)
C’est l’inhabituel, l’imprévisible. N’y cherchez pas d’office, ni d’apparat, ni d’ornements sacerdotaux. La marche à pied ça sert d’auto. Je me souviens d’un mien ami Franc Maçon qui m’avait dit : J’ai planché sur la spiritualité, un frère m’a rétorqué « je ne crois pas au spiritisme ». Il est dans la tombe et les deux bras m’en tombent. Les vers font la bombe et la rime est raison. Pour être con, pas de saison. Dans la rue comme à la maison, les couillons sont au diapason. Dans un festin de venaison on met son manteau de vison bien à l’abri sous un blouson. Et gaffe à ce que nous disons.
Allan Kardec, pseudonyme d’Hippolyte Léon Denizard Rivail, est né le 3 octobre 1804 à Lyon et mort le 31 mars 1869 à Paris. Au lieu de rester un pédagogue il a viré gourou. Rêveur inspiré, prêcheur convaincant, il a fondé le spiritisme et acquis une immense célébrité loin de chez lui, au Brésil. En fin juillet sous le grésil Kardec entend des voix subtiles au discours imbécile et puéril. Pourtant ces mots débiles lui ont semblé utiles. Ainsi va sans péril qui triomphe sans gloire. Faut le voir pour le croire. Et le croire sans y croire.
Kardec est inhumé au cimetière du Père-Lachaise. Aujourd’hui sa tombe est réputée pour être la plus fleurie de tout le cimetière. Eté comme hiver, d’innombrables fleurs de toutes sortes et de toutes couleurs y sont déposées en grande quantité. Elle est en forme de dolmen, mais ne vibre pas comme un mégalithe, et pour cause. Ceux qui l’ont élevé ne connaissent pas le travail sur les énergies subtiles opérés par les bâtisseurs des dolmens et des cathédrales. Sa tombe a l’air d’un dolmen, mais les vrais dolmens n’étaient pas des tombes à l’origine. La partie supérieure du dolmen est gravée de la devise « Naître, mourir, renaître encore et progresser sans cesse, telle est la Loi ». (source)
Une légende urbaine affirme que toucher la tombe porte bonheur pour toute l’année. C’est pourquoi les fleurs qu’on y dépose sont censées ne jamais se faner. Les légendes qui nous parviennent des temps anciens ont une valeur de témoignage utile. Leur interprétation nous enseigne les vérités passées. Les légendes urbaines sont tombées de la dernière pluie. Elles ne nous enseignent rien d’autre que la bêtise des superstitions. Les gardiens du Père Lachaise ont un rôle éminent qui doit rester dans l’ombre. Triés sur le volet, ils prêtent serment sous la cagoule et s’adonnent aux messes fleuries. Je les soupçonne de choper les fleurs fraîches pour que leur déclin ne désole les adeptes de Kardec. Nul ne doit savoir que le gourou s’est gouré. Excepté le guerrier.
L’amour peut tout, même sur les fleurs. Il m’est arrivé de cueillir une rose dans la poussière d’un chemin sous le cagnard de juillet. Je marchais près de mon amoureuse et je me suis baissé vers la terre. L’après-midi torride touchait à sa fin. Il n’y avait rien sur le sol poudreux et pourtant, quand ma main l’a touché, elle a pêché une rose rouge où perlait encore la rosée de l’aube. Je l’ai tendue à ma belle qui l’a mise dans un vase où elle est restée fraîche et parfumée pendant des jours. Ainsi dura notre amour trop court.
Des faits inexplicables ont parsemé ma vie. Aucun ne m’a jamais tourné la tête. Je ne suis pas Kardec. Pas plus de miracle au Père Lachaise que de spiritualité dans le spiritisme. Kardec a lancé une secte de plus. Une foi comme une autre. Une religion. Ou si l’on préfère, un somnifère pour ceux qui ont peur de l’enfer.
La religion est pour ceux qui ont peur de l’enfer. La spiritualité, pour ceux qui y sont déjà allés.
Le guerrier n’a rien à y faire. Impeccable, il va son chemin. Si la rose vient dans sa main, il se réjouit, sachant très bien qu’un tel cadeau n’est pas de lui. Il doit croire pour que les merveilles s’accomplissent. Et ne pas y croire pour que la folie reste sous son contrôle.
De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou. Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c’est la folie qui détient la vérité de la psychologie.
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