Karl Marx et Dieu

 

Ils m’ont convoqué avec une grande fermeté. Quand ils font ça, pas question de trouver une excuse. Ces mecs voient tout. Savent tout. Contrôlent tout. J’y go fissa. On ne les fait pas attendre. À vrai dire, je crains le pire. J’ai mal au bide et le cœur serré.

 

Je voulais écrire sur Karl Marx. Un mec intéressant quand on le relit sans a priori. Ce que j’ai fait. Et la convocation m’est tombé sous le pif. Il était dit que je ne finirai pas mon article. J’ai enfilé mon pantalon de pyjama sur mon sarouelou le contraire ? et j’ai pris le premier vol de la Compagnie Colombophile. Saviez-vous qu’il suffit de 755 pigeons pour tirer une montgolfière à 16 km/h ? Bien sûr, j’ai mis six semaines, mais on n’a rien sans rien.

 

L’opium du peuple

À peine arrivé très en retard, ils m’ont mis ça sous le nez : « La misère religieuse est, d’une part, l’expression de la misère réelle, et, d’autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de choses sans esprit. Elle est l’opium du peuple.« 

Opium mon cul. Aucun effet sur moi. Karl Marx a écrit ça il y a 150 ans, pourquoi reprendre encore cette litanie désuète ? Attends voir, mon Xav. La religion est l’opium du peuple? Dommage qu’il ne précise la sienne, de dope ! La religion? Ça non. L’opium? Hum. On l’a dit. Moi je pencherais pour le peuple.

 

 

Je n’ai aucun goût pour les religions, les sectes, les croyances, les dogmes, les superstitions, tout ce qui cache la vérité, tout ce qui atténue la lumière. Ça fait partie d’une remise en question totale de ma part. Toute croyance doit me prouver son innocence. Toute véhémence témoigne de l’ignorance. Ni juif, ni hindouiste, ni bouddhiste, ni taoïste, ni animiste, ni chauviniste, ni calviniste, ni musulman, ni bochiman, ni Saint-Simon, ni Saint-Frusquin, ni athée, ni chrétien, ni druide, ni droïde, ni champignon, ni champion, ni croupion, juste humain. Rien qu’humain. Ça me va bien. Sur le chemin qui est le mien. Proposer mes recettes à ceux qui cherchent une autre voie. Pour qu’ils s’en emparent et les mettent à leur sauce. Le droit d’y voir, et le droit d’en boire. Croire sans y croire.

Le chemin de la sagesse et de la liberté est un chemin qui mène au centre de soi-même.

Mircea Eliade

 

J’ai déjà écrit ça cent fois. Je l’ai clamé sur tous les tons. Je n’avais rien d’un anarchiste révolutionnaire terroriste en écrivant ça. Et pourtant ! Il semble que cette fois-ci je sois allé trop loin. Ils m’ont collé contre un mur, un bandeau sur les yeux, j’ai pris sur moiun direct au foie. Pas mort encore ? On m’a poussé sans ménagement dans le couloir du palais divin.
– Ce Marx, quand même ! Son bouquin, c’est… c’est capital ! Pas comme tes merdes, chuchote une voie sadique.

Ma gueule. Profil bas. Ranafout du Russkoff. S’ils savaient ! À moi Harpo-Chico-Groucho-Zeppo ! Poussé par une main rude, je trébuche. On me lâche enfin. Silence total.

Plus de bandeau. Je suis tout seul en plein désert. A perte de vue, sable et gypse blanc. Où sont-ils tous passés ? Et le palais ? C’en est trop. Je ferme les yeux. De l’eau m’asperge les jambes. De l’eau ?! J’entends le ressac. J’ouvre un œil, je crois mourir. Me voilà juché sur un caillou battu par les vagues. Un pic dressé au-dessus de la tempête. Et puis tout devient flou.

 

What else ?

Je reviens à moi calé dans un fauteuil club. Zazie dans le rétro. Ne m’étonner de rien, ça commence bien. Un vieux barbu pousse vers moi une toute petite tasse de café. Très bon, mais pas assez chaud. La signature de Nespresso.What else? Chez les dieux, c’est vraiment comme dans la pub.

-Alors ? me dit le barbu.
-Oui, très bon. On a le même en bas.
Le barbu se marre. Il ne parle pas du kawa, mais du désert et de la tempête. J’en pense quoi ? Merde. Je ne savais pas qu’il fallait penser. J’ai la tête vide et l’air d’un con. Il se marre encore. C’est pas le mauvais diable.
-J’entends ce que tu penses, méfie-toi.
-Ah bon? Je pense rien…

Il m’explique. Le désert, c’est ce que vivent la plupart des humains en cette fin de kali-yuga. La tempête, c’est ce que vivent les plus désespérés. Trop pauvres pour les psycho-machins, ils se rabattent sur les curés, les rabbins, les imams ou les bonzes. Plus ils sont nombreux, moins ils sont malins. Discours lénifiants, espérance rance, de l’espoir pour les poires, tandis que l’argent arrose à flots ceux qui en ont déjà trop. Paroles, paroles. Le voilà, l’opium du peuple. L’argent est celui des riches. Le pouvoir, celui des puissants.

 

 

« Mais leurs jours sont comptés, ajoute le barbu. Tandis que le Marx, même sans ses brothers, il déchirait hier, il déchire aujourd’hui, il déchirera demain. Il a tout inventé. Je ne peux plus m’en passer. Je le lis, je le relis et je me relie à lui. Mon Marx, mon chéri ! Si tu savais comme je t’ai aimé, comme je t’aime et comme je t’aimerai! »

Je sursaute. Bordel de dieu ! Il est gay ! C’est triste. Un mythe qui s’écroule. Il est vrai que la Sainte Trinité, c’est trois keums sans meuf. Alors… Mais lui, quand tu le vois, sa barbe folle à la Karl Marx, genre Père Noël de grand magasin, tu y crois même l’été, même athée comme une tasse. Du coup je suis croyant ! I’m a believer. (music)

 

Dieu et Marx

Dieu me regarde d’un sale œil. J’oubliais qu’il lit mes pensées. Rattraper le coup vite fait. La lumière m’inonde et je mens : Dieu est donc communiste ?
-Bien entendu, glapit le barbu. Il faut relire Karl Marx. Ce type a décrit l’avenir, le seul possible. C’est Marx ou l’apocalypse, faudrait se mettre ça dans la caboche et pas dans le fion ! Entre nous, les cocos sont moins dangereux que les curés. Ils ne soutiennent pas le désordre établi, c’est bien. Ils réclament plus d’équité, plus de solidarité, un vrai partage du gâteau. Ils n’en font rien, mais ils en parlent au moins. J’ai créé l’abondance pour tout le monde, et pas la pléthore pour une poignée de gores.

Bon. Je vois ce que c’est. Pas question qu’on le contredise, ce gars-là est tout-puissant. Il a trop la cerise. Faire diversion avant qu’il lise dans ma tête grise.
Et l’opium, c’est la religion de qui ? Hein ? De Marx ??
-Qu’il est bête! L’opium c’est l’ambroisie, le nectar des dieux, l’élixir de jouvence, le philtre de longue vie et le viagra des vieux dieux. J’en prends tout le temps. T’en veux ?
-Moi? Non. Besoin d’aucune saloperie. Je prends rien. La drogue ça bogue, je la fous aux gogues bordel de dieu.
T’énerve pas, mon garçon. N’oublie pas que tu es mortel et que ça peut te tomber dessus comme la covid. Alors tu m’obéis en cadence, tu fumes cette pipe en confiance et tu m’écoutes en silence.

Chantage divin. J’obtempère, fils et saint-esprit. Toujours obéir à l’opiomane du peuple. Écoutons ce qu’il a à dire.
Les religions ont été inventées par une poignée de démons salauds parce que l’humanité se comportait trop bien. Le Kali yuga allait venir, il était impératif que les humains se mettent à déconner. C’est ça le Kali yuga. Mais non, je t’en fous, ils restaient cool et bons vivants. Alors un dieu vicelard – il y en a des tas – inventa les religions.

Les autres dieux l’ont trouvé très dégueu, abominable et vraiment puant, mais il fallait bien que les ténèbres noient le monde. Alors chaque dieu secondaire a recruté ses émules, prétendant chaque fois qu’il était le dieu unique. Le plus dur, pour eux, était de nous raconter ça sans rire. Ils ont dû s’entraîner longtemps. 

Il y a même un général de corps d’armée qui a pondu un texte à pisser de rire. Un certain Yahveh qui s’est fait passer pour moi. Les humains ne se sont pas marrés, non. Ils ont morflé, bien dérouillé, tout gobé alors que, franchement, ça ne tenait pas la route.

 

 

Dieu se tait. Je suis sceptique. Alors j’ai vérifié sur Google, ce qu’il a dit est vrai dans les grandes lignes. Yahveh général, pourquoi pas ? Moïse était bien pharaon. Le décalogue, voilà tout ce qu’il a pondu, le Yahveh, brave général de corps d’armée. Il s’est choisi un tout petit peuple, c’est tout ce qu’il pouvait faire. Le Décalogue ! Les Dix Commandements ! Mon cul.

 

L’important n’est pas de croire ou de ne pas croire. Ce qui compte, c’est de poser un maximum de questions.
Bernard Werber