Le couple alchimique

 

Eve et Adam, Isis et Osiris, Hathor et Hénoch, Juliette et Roméo, Héloïse et Abélard, Iseult et Tristan, Guenièvre et Lancelot, Nicolette et Aucassin,et non Mimolette et Mocassin comme on l’entend trop souvent Laure et Pétrarque, Chloé et Daphnis, Viviane et Merlin, Camille et Rodin, Bonnie et Clyde, Elsa et Aragon, Simone et Sartre, Brigitte et Vadim, Jane et Gainsbourg, Marge et Homer, Moiselle Jeanne et Gaston, et tous les oubliés — la loi d’amour les a liés pour l’éternité des vivants.

 

Lumière à méditer

À jamais dans nos mémoires humaines ils resteront des élus de l’amour, des célébrants rêvés, des antennes attractives, aimants qui nous attirent, amants que l’on admire et qu’en rêve on envie. Sentir la puissance du lien qui les relie ouvre en grand l’appétit des cherche-lumière et du garde-envie. Car l’envie garde en vie.

Le connais-tu ce garde-envie ? Il prend vie dans deux cœurs et dans nos girons il prend son essor. Le sublime abord. J’en demande encore. Tout se change en or, merveilleux décor, la faim de nos corps est danse en accord : le grand art en sort.Et non le grand hareng saur comme on l’écrit trop souvent.

Que vivront-ils au prochain chapitre ? Que vont-ils inventer ? Chanteront-ils derrière la vitre ? Je voudrais tant les écouter ! Le silence endort, l’amour me réveille encore. Les pages du livre ouvert ont tourné leur dos blanc.

Deux se sont épousés, se séparant un peu pour mieux se recoller. Les mots vont roucouler. Voici ce qu’ils se disent :

Allons à la ligne pêcher les coquilles, Breizh ma braise aux escarbilles, tes yeux d’amour sculptés dans un bloc de lumière. Pure et douce écuyère, es-tu la messagère attendue ? Oh mon beau chevalier, le fin’ amor te sied autant qu’il me régale et je veux te chanter son règne en madrigal.

Ils n’ont rien compris, tant qu’ils ont tout pris d’un amour sans prix.

Méfiez-vous de tout, la matrice est partout, mais pas la Résistance. (Lao Surlam)

 

Proximité

C’est ce qu’ils se disent avec les mains, peau contre peau, bête à deux dos, entre ventres aussi, nul récit ne rendra la douceur de leurs doigts, entre en l’antre d’amour où l’on se fait la cour.

Bonheur imperfectible : il est déjà parfait.

L’âge d’or est comme le bonheur : on ne le reconnaît que quand il est passé. (Lao Surlam)

 

Laisse-le te dire à toi, te crier sur les toits l’amour qu’il a pour toi. En secret. Sur les toits. Vous en avez le droit. Une humble fois, au moins, au détour du chemin, sa main te prend la main, délicate, évasive et le ciel disparaît dans des vapeurs lascives. Érotique cadeau d’un dieu bon, s’il existe, Éros est son prénom, sa mère est Aphrodite, il vous cherche partout pour vous donner l’envie, le désir fou d’aimer pendant qu’on est en vie, amour est religion, extase et paradis. C’est un dieu qui l’a dit.

La chasteté ne vaut que si elle suivie d’effusion, d’amour fou, de plaisir retrouvé. À deux comme à deux mille. Chacun est tout entier sexuelle identité. (Edith Poste)

 

 

Éternité (et plus si affinité)

Bon. Vous avez compris; on y parle d’amour. D’un amour très précis, spécial. D’un lien rare en puissance, dur en intensité, solide en résistance, d’un type inusité. Un lien qui ne se rompt qu’avec la mort — et encore. Un lien qui tient au corps comme au cœur comme à l’âme. Pour l’homme et pour la femme, aux trans sans danse, aux enfants triomphants. Un drame à l’action dense. Une explosion de calme. Un abîme élevé comme un gouffre inversé. Justice enfin rendue pour le fruit défendu. Aucun n’en est exclu, chacun selon son dû.

Aisance. Bienfaisance. Insouciance. Difficulté. Cruauté. Plus encore si affinité.

Il est des êtres comme des choses. Certaines s’emboîtent si bien que c’est folie de les défaire. Dénoue-t-on un lien si serré que nul n’y peut glisser l’ongle ? Dénie-t-on la beauté des jongles ? La terrifiante ardeur sans raison ni saison ? Certains êtres sont mus par une force étrange, insoumise, effarante. Leur union n’est que le premier pas. Au-delà s’énumère un damier de fabuleux trésors. Ils fondent l’or intérieur. Ils s’unissent et leur union devient mystère.

À lire deux fois. Trois pourquoi pas ? La quatrième t’éveillera. (Lao Surlam)

 

Identité

Une ordalie au verdict délicieux. Le feu est celui qui consume le ventre et le cœur. Le jugement de Dieu donne la belle part aux amants cosmiques. Leurs épousailles éclairent le monde. Ils sèment autour d’eux des pétales d’or. On s’empresse, on croit les croire, on veut les voir, on peut les boire encore à corps, vibre au bord du cœur et du corps, crédible sort, vivants ou morts, impossible accord que le leur, il se peut pourtant et se pourra longtemps.

Ces amants-là sont cosmiques car toute effusion est pour eux fusion. Sans confusion. Ils ne savent plus où ils sont, mais ils savent très bien qui ils sont. Même si les limites physiques sont abolies.

Je ne sais pas où tu commences,
Tu ne sais pas où je finis.
Tu as des cicatrices
Là où je suis blessé.
Tu te perds dans ma barbe,
J’ai tes poignets d’enfant.
(écouter)

chantait Georges Moustaki avec son cœur fait pour l’amour, sa gueule de métèque et ses cheveux aux quatre vents.

 

 

Libertés

Cosmique est leur amour, comique est le retour de flamme et du désir qu’on cultive à loisir. Qui dérive en plaisir. Couple d’enfants jumeaux comme Isis et Ousir. N’ayons pas peur des mots : il nous mène en chameau. Il nous tient par la taille et nous taille un destin. L’attente est son festin. N’y voyez pas malice, il combat dans la lice au tournoi sans police. Pas de règle pour lui, sinon celle épanouie dans les yeux, dans le cœur évanoui d’un aimant, passant, colle qui lâche et te laisse étonnée. Un fol éclair qui crache au ciel noir va tonner.

Le couple alchimique est doublement magique : étroitement lié par l’amour, il a les coudées franches. Il émeut davantage ; il rayonne une infinie lumière. Inspirateur, il dynamise. Muse, il enrichit. Binôme, il donne à jouir comme il jouit à donner. C’est un lien qui libère. Un liant d’autonomie. Les alchimiques ne sont pas collés l’un à l’autre, ils évoluent à leur guise, libres dans leur corps, leur tête est dans leur cœur.

« Pour ceux qui suivent, passez devant. C’est votre tour. » (Lao Surlam)

 

 Habités

Rien n’explique la sublime attirance au sein d’un tel couple. Des riens. De petits riens font un grand tout dans ton faitout. Bisquer doux, risquer tout. Laisser filer la ligne où nul poisson s’enferre. La prison qui libère. La ligne est fausse en vrai. C’est juste un trait d’union, une écharpe enchantée qui s’enroule ou s’en va. Un nœud qui ne tient pas.

Nul besoin d’être unis. Ses cheveux sont un nid où se prend les quartiers. Ton cœur palpite en lui. Tu sens son cœur qui bat sous ton sein délicat. Tels des matriochkas vous vivez emboîtés. Il vous sent l’un dans l’autre au plus profond de toi. Tu vois ton bon apôtre au plus secret de lui. Tu sèmes à travers lui. Il s’aime à travers toi. On rêve à travers quoi ? On palpite, on s’ébat, on s’éveille, on se voit, et merveille ! On se croit.

Le couple alchimique est illusion comique. Le plus drôle vient du fait qu’il n’est pas couple, mais jumeaux doubles. Chacun au fond de l’autre et qui fond l’un dans l’autre. Chacune en chocolat qui vend du pain d’épice. Comique est l’illusion de fusion. Cynique est la confusion. Clinique, la transfusion. Critique, la surfusion. Conique est l’infusion. Caustique est l’effusion. Et pourtant elle existe.

Autre chose : j’y vois l’apothéose. Un paradis sans mur, sans plafond ni sans cause. Origine oubliée de deux destins liés. Les ailes repliées permettront de marcher sur le gazon des prés. Avant de s’envoler : le ciel n’est pas tout près, il faut le mériter. De la pluie s’abriter sous la main de l’amour. La fable à raconter fait passer la soirée. Les voici demi nus sous les rayons dorés d’un couchant triomphal. Le délice est venu dans les bras de l’omphale.

Qui est le plus libre ? l’être ou ses vêtements ? (Lao Surlam)

 

 

Agités

Nous nageons col de cygne illustré d’un sourire, chemise ouverte où pointe un œil taquin, étonne amour coquin, et de l’ours au requin ton lit à baldaquins se souviendra longtemps les draps en font autant quel amour déroutant loin du duel dégoutant que se font à plein temps les amoureux d’antan.

Robote et son robot sont-ils presque aussi beaux ? Non. De beaucoup s’en faut. D’un amour sans défaut pour l’élue de Sapho qui gagnait Carabosse autrefois sur Lesbos. Dans le ciel de Nubie les dieux grecs étaient bi. Ils s’envoyaient en l’air dans leur hélicoptère. Déguisés en bergers ils couraient les bergères. Ils ont apprivoisé la satanée Mégère. Regarde-la miauler ! Vois de quoi elle a l’air ! Je m’en vais lui donner un fier coup au derrière qui la fera chanter les versets du bréviaire et la messe en latin. Doux régal des catins. Fameux réveil-matin. Moinillon accompli qui s’en vient des complies le goupillon à l’air et la mine épanouie. Il ferait moins le fier s’il n’avait pas dit oui. Son confesseur choqué — doux Jésus ! Qu’a-t-il ouï ! — se change en perroquet bégayant qu’il a jouit. Ce qui choque à l’entour les nonnainsreligieuses sans amour.

L’espace est infini où tu t’es endormi, mais celui de ton corps est bien plus vaste encore. (Lao Surlam)

 

Absurdités

Partout l’on vous dira qu’un tel couple est uni si fort que l’un n’est rien sans l’autre et que l’autre est perdue. Que l’absence est terrible. La séparation tue. Est-on seul ? On est nu. Quand on est loin de l’autre, on meurt. Tout nous déplait. Pieds nus sur les galets, l’horizon devient laid. On n’a plus de projet. On est sourd, aveuglé. Un seul être vous manque et tout est dépeuplé.

Fadaise ! Insanité ! Ces lieux communs sont inventés par ceux qui n’ont jamais aimé. Les amants d’un couple alchimique iront chacun son pas, vivront chacun leur vie, car ils ont leur amour qui les porte.

Il n’y a pas de différence de nature entre l’humain et le divin. Juste une différence de degré. (Lao Surlam)

 

Ce couple-là ne tient que par l’identité de l’une et de l’autre. On s’y passe aisément de sa présence : il dort au fond du cœur, dans les fibres du corps.

 

 

Et si vraiment Dieu existait,comme disait Bakhounine,ce camarade vitamine, il faudrait s’en débarasser.
Léo Ferré