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Maisons d’arbre

 

Dans un univers de pétrole et de béton, les arbres sont le plus sûr moyen de retrouver le chamane qui est en nous. Tandis que l’homme sauvage est en connivence totale avec la nature, nous, les hommes domestiques, avons perdu ce pouvoir.

Je veux dire, nous les adultes. Les enfants savent entrer dans la conscience des arbres, ils ne s’en privent pas. Dans les années 60 à Paris, ma mère nous emmenait jouer au bois de Boulogne après l’école.

Le bois n’était pas encore le lupanar brésilien qu’on connaît. Tell me, where do the children play? (source)Cat Stevens  De jeunes mères de familles y promenaient en toute quiétude leurs bambins et bambines. Certains d’entre eux jouaient à se construire, le plus vite et le mieux possible, une maison d’arbre. J’étais du nombre.

Il fallait d’abord trouver l’arbre adéquat, un arbre à plusieurs troncs. Il arrive que deux ou trois troncs sortent d’une même souche. Les arbres à quatre troncs ou plus avaient ma préférence, je les appelais des arbres-araignées. Si on coupe la tige d’une plante, n’importe laquelle, à l’endroit de la cassure repousseront deux tiges nouvelles. Si on coupe ces tiges, très près de leur base, quatre tiges vont repousser.

Un jour, ces tiges deviendront des troncs, et l’écorce de l’arbre à quatre troncs aura nivelé les blessures de la jeune plante.

Or ces arbres multiples abondaient au bois de Boulogne. Pourquoi ? Etait-ce volontaire ? Qui a cassé toutes ces jeunes tiges ?  Etait-ce une mode à une certaine époque ?

En tout cas, dès qu’un gamin voit un de ces arbres multi-troncs, l’appel est irrésistible et l’oblige à s’y incruster, soudain roi dans son île. Au creux d’un de ces arbres, on se sent comme un oiseau dans son nid. Sûr, douillet, protégé. Et sans doute l’est-on.

 

 

L’enfant qui sent encore, ô combien, palpiter en lui l’énergie omniprésente, sent aussi combien plaisants sont ces abris végétaux.

On s’y sent si bien, notre confiance est renforcée,  sans le savoir on s’imprègne des bienfaisantes énergies de l’arbre, qui nous communique un peu de sa puissance. Il s’agit de repérer l’arbri le plus sûr, celui qui compte le plus de troncs. 

Puis il faut récolter du bois mort, assez pour monter des murs en coinçant les bâtons entre deux troncs. En ménageant, bien sûr, des meurtrières et une porte d’entrée. Le plus difficile consiste à garantir ces ouvertures contre la mitraille, ou contre les poings des assaillants. A cette fin, on les renforce sans cesse avec frénésie. On imagine les batailles homériques qui vont s’y dérouler, les assauts, les ripostes, on redouble d’effort.

A deux pas, les futurs assaillants se construisent leur propre maison d’arbre, ils renforcent eux aussi leurs murailles pour la bataille. Roulement de tambour ! La première phase du jeu s’achève, les maisons d’arbre sont construites.

 

La vie en l’air 

La deuxième phase du jeu, la meilleure à mon avis, c’est la vie dans nos maisons d’arbre. Et les guerres que n’allons pas manquer de nous faire, d’un arbre à l’autre.

A aucun moment nous n’irions penser que le plus drôle n’est ni la bagarre ni la construction minutieuse. Le plus palpitant, le plus excitant et le plus dépaysant, c’est de rester branché de longs instants sur la conscience d’un vieil arbre

À mon grand regret, dans les quelques années qu’a duré ce jeu, jamais je n’ai eu la chance de goûter à la vie rêvée des maisons d’arbres. Comme par hasard, dès que nos maisons étaient finies, ma mère nous appelait pour rentrer. « Mais on n’a pas eu le temps de jouer ! » protestais-je. « Pas le temps ?! Je ne sais pas ce qu’il te faut ! » répliquait ma mère qui n’en pouvait plus sur son banc. Je rentrais en traînant les pieds. Jeudi prochain, on recommencera. Depuis lors, me hante toujours ce vieux délire, tel l’épée de la Dame au clebshumour : Dépêche-toi de finir ta maison, me répète une voix inlassable. 

Les oiseaux ont leur nid, les loups ont leur gîte, mais le fils de l’Homme n’a pas même une pierre où poser sa tête.

Jésus
  

Dépêche-toi de finir ta maison, de peur de ne pas avoir le temps d’en profiter ! Comme par hasard, qui n’existe pas, j’ai souvent démanagé. Donc je retape, je ponce, je repeins, je reponce, je tourne à mon goût tous les gîtes où je passe, qui sont nombreux. 

D’aussi loin qu’il me souvienne, jamais je n’en ai profité. Dès qu’un gîte est fait, je le quitte sans mot dire. Un vagabond n’a pas de chaîne, on dit qu’il n’a pas de maison. Mais quand les mois d’été reviennent, je voudrais être un vagabond. (source)Xavier Séguin, Chansons Les maisons d’arbre m’ont ensorcelé, mais entre nous j’en suis bien aise.

Cet été-là, j’étais boy-scout, notre chef de troupe avait dégoté un lieu de camp exceptionnel : la forêt d’Orient, près de Troyes. Une vallée allait être engloutie sous un lac de retenue. On pouvait couper tous les arbres de cette magnifique forêt.

Elle était condamnée.

 

 

Les arbres ont la tête en bas

Du coup on a construit des plates-formes dans les arbres pour y loger les tentes de patrouille. On a passé trois semaines entre terre et ciel, portés par les arbres. La passion m’est revenue. L’été suivant, au jardin sauvage de mes parents, je me suis construit une maison d’arbre. Pas au ras du sol comme au bois de Boulogne, juste un peu plus haut. Je sentais que la conscience de l’arbre est près de la souche.

Pour communiquer avec un arbre, je ne m’adresse pas à ses branches, mais au tronc, à hauteur d’homme. 

C’est là que se situe la zone vitale de l’arbre. Les arbres m’ont beaucoup appris. Leur vision du monde est celle du Pendu, ils voient le monde à l’envers. Leurs bras sont les racines qui puisent la vie dans la terre-mère, tandis que leurs jambes sont les branches projetées vers le ciel, vers l’énergie solaire. C’est pourquoi se tenir en équilibre sur les mains s’appelle le poirier, ou l’arbre droit.

Une fois l’an, pour la grande magie du printemps, les arbres portent des sexes innombrables qui parfument la pointe de leurs orteils. Ce sont les fleurs, qui porteront les fruits et les graines de la vie éternelle. 

Leur position inversée, leur longévité immobile et leur absence totale d’agressivité donnent aux arbres une grande sagesse. Ils nous transmettent ce total détachement qu’ils tirent du sol, ce calme placide qu’ils tirent du vent.

 

Marcher pieds nus

Ils m’ont donné le goût de marcher les pieds nus, pour laisser mes racines subtiles puiser dans la terre-mère l’énergie vitale. Les moines de toutes les latitudes ont conservé cette habitude. Pieds nus dans des sandales, été comme hiver : les moines ne savent plus trop pourquoi…

Peu d’entre eux se souviennent de la raison énergétique qui est à l’origine de ce vieil usage, les pieds nus. Les peuples chamaniques qui tiennent leur note dans l’harmonie du monde sont encore parfaitement conscients du phénomène : ils vont pieds nus sur la terre sacrée, par respect pour la terre et leurs ancêtres qui y dorment, mais surtout pour se nourrir de ses émanations.

Ce pouvoir provient de notre part végétale. Pour puiser ces énergies subtiles dans la terre, nous avons la plante des pieds. Ce qui fait de nous un proche parent de l’arbre, car la plante de nos pieds est notre racine mobile…

 

S’asseoir au pied d’un arbre, adossé à son tronc, pour écouter vibrer son âme végétale. Un vieux chêne en majesté, d’une puissance imposante, ne rayonne que la paix. Les arbres n’ont pas d’agressivité.

Les très vieux arbres au fil des siècles ont pris un peu de la sagesse des mégalithes. Jean-Jacques Beineix les appelle des pachydermes, le mot est beau. Il leur a consacré un film magnifique, IP5 dernier film avec Yves Montand. 

Les arbres m’ont donné la main verte, et depuis lors la compagnie des plantes a toujours été pour moi un puissant réconfort.

Pour moi, il n’y a que de bons présages, car quoi qu’il arrive il ne tient qu’à moi d’en tirer avantage.

Epictète

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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