Légendes futures

 

Comment l’historien peut-il être sûr de la qualité de ses évaluations ? En l’absence de textes ou d’indices, comment peut-il affirmer que ceci est vrai et que cela ne l’est pas ? Et comment peut-il échapper à l’influence déformante de son point de vue d’homme du XXIe siècle ?

Spécialistes des techniques d’apprentissage et des chemins de la connaissance, les Soufis ne pouvaient éluder cette question essentielle, Idries Shah nous donne la clé.

« Messieurs, dit le professeur, l’analyse des mythes et légendes des populations primitives est un des aspects les plus intéressants de la psycho-anthropologie : elle met en lumière les déficiences de l’esprit non développé, et le fonctionnement de ses mécanismes de compensation -la façon qu’il a d’inventer des prodiges, succédanés magiques des rêves qu’il n’a jamais pu réaliser. Prenons pour exemple l’antique légende – que l’on trouve dans un grand nombre de communautés différentes – de « l’appareil-photo ».

Cet instrument était censé fixer l’image d’événements visibles afin de la reproduire à volonté. Manifestement, l’idée même d’un tel appareil ne peut naître que du désir – très humain – de préserver les instants d’émotion et de plaisir. Il y a aussi la fable concernant la production d’une énergie particulière, qu’on appelait, dans certaines langues, l’électricité. Les propriétés de l’électricité sont vraiment miraculeuses : par elle tous les désirs sont accomplis. C’est ainsi qu’en reliant diverses sortes d’appareils à une source d’électricité, l’homme était censé pouvoir générer le froid ou le chaud. 

Toujours grâce à l’électricité, il pouvait stimuler, tuer, transmettre la voix et l’image à des distances incalculables. Il y a encore aujourd’hui, hélas, des esprits égarés pour croire que ces légendes contiennent ce qu’ils appellent « un grain de vérité« . Certains esprits forts soutiennent leur vraisemblance.

Mais leurs explications pèchent toujours par excès de bizarrerie. Ces gens qui prennent leurs désirs pour des réalités en arrivent obligatoirement à inventer un mythe, ou à greffer un mythe sur un autre.

C’est ainsi qu’à la question « Pourquoi n’y a-t-il plus ni appareil-photo ni appareils électriques ? » ces farfelus répondent par un raisonnement ahurissant : « À une certaine époque, tout le métal sur terre a été atomisé : il n’est donc plus possible aujourd’hui de fabriquer de tels objets. »

Vous remarquerez que, pour étayer leur fable, il leur a fallu inventer une substance merveilleuse, connue dans les légendes de certaines tribus sous le nom de « métal ». (source)Idries Shah, oeuvres

Des fables semblables se sont écrites dans le passé, d’autres s’écrivent encore aujourd’hui, sous la plume d’auteurs et de guides respectables. Gageons que de telles fables s’écriront encore dans le futur.

Par le biais d’un méta-canal connu de nous seuls, nous avons pu recueillir le son du futur, pour être précis des paroles échangées lors d’une visite d’un ancien monument, en l’an 25.528 selon notre calendrier, qui correspond à l’an 13.606 de l’Ere des Lumières.

La scène se passe près des vestiges de la ville de Lion,ou Lyon ?
détruite au 23e siècle avec toute la civilisation pré-finale.

 

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Lyon, en l’an 25.528

« Mesdames et Messieurs les Scientifiques, vous avez devant les yeux des vestiges très anciens, probablement les plus anciens de notre hémisphère. Notez la taille invraisemblable de ces monolithes évidés qui se dressent à plus de 50 mètres au-dessus du sol. Approchons-nous du monument dont nous pouvons déjà ressentir l’énergie bénéfique. Veuillez observez l’étrangeté de la pierre, d’un grain et d’une nature inconnue, qui évoque ce mystérieux béton mentionné dans nos légendes. Le béton était une pierre molle que l’on pouvait, dit-on, façonner à son gré dans des moules.

 

Pierre molle ou pas, on notera que toute la construction est d’un seul tenant, sans trace de joints, ce qui fait de cet édifice le plus grand monolithe connu. Notez le symbole de vie, les trois cornes d’abondances qui tournent et répandent des profusions de bienfaits.

Ce symbole appartient manifestement à une religion, sans doute un culte des morts, bien qu’on n ‘ait pas encore retrouvé de sarcophage ou de tombe dans cette cathédrale plus qu’antique. Les savants ne sont d’accord que sur un point :

 

il s’agit d’un tombeau.Depuis toujours ils répètent cette ânerie

 

En effet, nos meilleurs experts ont vérifié que les vastes cheminées de l’édifice sacré pointent vers Aldébaran du Coin-Coin, chaque année, pour la veille du solstice d’été, soit le vin joint.C’est ainsi qu’on écrira 20 juin en 25.528

Or Aldébaran, d’après le professeur Schmurz-Gobelours, serait la fameuse planète-mère dont sont issues toutes les races intergalactiques connues. On peut donc en inférer sans risque d’erreur que cet édifice a – comme tous ceux qui lui ressemblent – un caractère sacré.

 

 

Il a été construit à des fins religieuses, astronomiques, astrologiques et divinatoires, ainsi que pour servir de sépulture aux chefs les plus respectés.

C’est pourquoi, chaque année en date du 19 joint, d’importantes cérémonies religieuses se déroulent sous ces dômes blancs, afin d’honorer la mémoire de cette pieuse civilisation dont nous ne savons rien, dont les seuls vestiges sont ces cathédrales très saintes, qui réjouissent les yeux et le coeur de tous ceux qui ont le bonheur de les contempler. »

 

Le temps passé n’est plus et le futur n’est pas / Et le présent languit entre vie et trépas / Bref, la mort et la vie sont en tout temps semblables. (Jean-Baptiste Chassignet)