Quand Xavier m’a présenté le Tarot de Marseille, c’était une première pour moi. Il m’a expliqué les arcanes majeurs selon la lecture de son défunt ami Jean-Claude Flornoy, en insistant sur l’importance de chaque détail du texte et de l’image. Ce jeu est un code, m’a-t-il dit, tout y est signifiant. C’est resté gravé. Et ça a porté ses fruits.
Le premier jeu de tarot que j’ai eu dans les mains est celui de Jean Dodal, restauré selon l’original par le maître cartier Jean-Claude Flornoy. J’ai flashé dessus. Pendant des semaines, encouragée par Xavier, j’ai relevé des détails signifiants et échafaudé des hypothèses. Aujourd’hui je peux vous proposer une interprétation inédites des 22 arcanes majeurs du tarot Dodal.
Les cartes de tarot les plus anciennes ont été retrouvées en Italie au 15e siècle. Le mot italien tarocco et le mot français tarot sont mentionnés pour la première fois au début du XVIe siècle. J’ose croire que le tarot a des origines bien antérieures, il a été interprété au fil des siècles par les maîtres cartiers, et il l’est encore aujourd’hui.
Le tarot dit de Marseille désigne un ensemble de cartes à enseignes latines (bâton, épée, coupe et denier) qui ont la particularité de posséder une cinquième suite de vingt-deux cartes numérotées en haut et avec leurs noms en bas de la carte. Elles sont appelées arcanes majeurs, atouts ou encore lames du tarot. Deux exceptions : l’arcane XIII n’a pas de nom, et l’arcane Le Fou ou Le Mat, n’a pas de numéro.
Le code point
La première chose qui m’a frappé, étrangement, ce sont les points et les signes disposés dans les noms des arcanes. Souvenez-vous que chaque détail compte, les couleurs, la graphie des noms, et la moindre bizarrerie… surtout dans une chasse au trésor !
Les compagnons maçonniques avaient coutume d’utiliser trois points formant un triangle ∴ et servant d’abréviation dans leurs titres, en signe de reconnaissance. Dodal dissémine lui aussi des points dans les titres des atouts de son tarot, apparemment insignifiants.
Apparemment seulement. Ces petits points qui semblent disposés de façon aléatoire sont tout sauf anodins. J’y vois autant d’indices de… ? de quelque chose. Mais de quoi ? Soudain la lumière m’est venue : ils donnent un ordre différent de la numérotation. Un ordre d’importance ?
On peut se fier à la restauration minutieuse accomplie par Jean-Claude Flornoy. Artisan consciencieux, passionné, il a travaillé d’après les originaux conservés à la Bibliothèque Nationale afin de restituer le plus fidèlement possible les traits et les couleurs des cartes telles qu’elles sont sorties de l’imprimerie Jean Dodal à Lyon il y a trois siècles.
Dans le tarot de Jean Dodal, et uniquement dans celui-ci, un code se cache derrière les points (ou losanges) qui figurent dans les noms des atouts. J’ai pris ma loupe et j’ai scruté. En assemblant les arcanes aux codes-points semblables, des groupes de trois cartes se forment.
– Un premier sans aucun point : IMPERATRIS, LEPAPE, LEMPEREUR
– Un second avec le point à gauche : •LESOLEIL •LE BATELEUR, •LE IVGEMENT
– Un troisième groupe avec le point entre le déterminant et le nom : LE♦TOILLE, LA•LUNE, LE•CHARIOR
– Un quatrième avec le point à droite : IVSTICE♦, LEMONDE•, TEMPERANCE♦.
Pour les cartes restantes, le regroupement s’avère plus délicat : il reste 5 cartes ayant deux points. •FORCE♦ et ♦LERMITE♦ ayant la même disposition, à savoir un point au début et à la fin du mot, je décide de les assembler, et les trois autres atouts: •LA•MOVREV, LA•MAISON•DIEV, LE•FOL• forment le cinquième groupe de cartes.
Restent 4 arcanes avec 3 points, les arcanes II, X, XII et XV. L’arcane •LE•PANDU• a la particularité d’être numéroté «IIX» et non « XII » comme elle devrait l’être. Dodal veut attirer notre attention sur ce chiffre romain inconnu, qui peut se décomposer en II et X. Aussi je décide de l’associer aux arcanes II •LA•PANCES• et X LA•ROVE•DE•FORTVN, qui forment donc le septième groupe. Par élimination, le sixième groupe comportera les atouts restant: •LE•DIABLE♦, •FORCE♦ et ♦LERMITE♦.
Les groupes de trois formés, il reste à leur donner un ordre. Je les place de haut en bas, en haut les trois cartes sans point, ensuite et selon notre sens de lecture traditionnel de gauche à droite, je place celles avec un point à gauche, qui forment le deuxième trio. Puis celles avec un point au milieu formeront le troisième trio, et ainsi de suite.
LE•FOL• n’affichant pas de nombre, je décide de lui attribuer la valeur 22. Cela se justifie car dans la lecture de Jean-Claude Flornoy, le Mat ou le Fol représente le plus haut degré possible sur le chemin intérieur que décrivent les arcanes majeurs. Avec le fol = 22, la somme des numéros des arcanes majeurs est de 240.sans compter l’arcane XIII sans nom donc sans code point, que je mets de côté. Ça fait tilt dans ma tête.
Je me souviens qu’au début du 18e siècle, époque de Jean Dodal, le système monétaire du royaume français était duodécimal : la livre était divisée en 20 sous, chaque sou étant lui-même divisé en 12 deniers. La livre valant donc… 240 deniers. Hasard ou pas ? Xavier dirait que le hasard n’existe pas. N’oublions pas que le tarot est né dans les tripots comme un jeu d’argent, et non comme outil divinatoire sur la table verte des cartomanciennes. Ce nombre 240 était forcément familier pour les joueurs de l’époque.
Recherchant un équilibre dans les colonnes, je trouve grâce à un tableur une combinaison pour laquelle la somme du nombre des arcanes dans chaque colonne est égale à 80.
Dans le système de numération grecque, 80 est associé à π, le nombre pi, soit la circonférence d’un cercle de diamètre 1.
Rapide raisonnement mathématique : trois colonnes π, donc trois cercles. Cette symbolique de trois cercles associés, enlacés ou non, est largement répandue : on les appelle les anneaux borroméens ou le quicumque. On l’assimile au triskell celtique ou au gankyil tibétain.
Également, la fraction 22/7 (= 3,1428) a été utilisée comme la plus simple approximation du nombre pi. Or 22 et 7 sont deux nombres clés dans les arcanes majeurs,
Le tarot use autant qu’il peut de la langue des oisons. Rotta est un de ses anagrammes, c’est tarot en verlan. En latin, encore très usité à cette époque, rota c’est la roue. L’arcane X est nommée La roue de fortune. À de multiples niveaux, le tarot représente un cycle. Des galaxies aux planètes, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, tout tourne : la lune, les saisons, les heures, les secondes, notre ADN, et les électrons autour du noyau atomique. À la vitesse où tout tourne, c’est une chance que les meubles restent en place dans le salon.
Un à un, les petits mystères de cette disposition se sont imposés comme des évidences. Après de longues périodes de doutes, ils me confirmeront la vraisemblance de ce code-point.
IVSTICE♦, LEMONDE•, TEMPERANCE♦
Au plein centre de cette disposition, la dernière arcane numérotée : XXI LEMONDE•, le monde.
21 grammes, c’est la masse de l’âme selon Duncan MacDougall. Les accents étant absents on le lit également : l’émondé. Émonder c’est purifier, nettoyer ; mais également enlever la peau, l’enveloppe d’un fruit, ici en l’occurrence l’amande (l’âme en deux dirait la mère l’oie) représentée par le personnage central dans sa mandorle. C’est un androgyne qui est représenté, à demi-nu il n’a rien à cacher, sans arme ni bouclier il n’en a plus besoin. Mi-homme, mi-femme, autant homme que femme.
A l’heure de l’éternelle guerre des sexes, c’est le meilleur modèle qui puisse être. Non les hommes ne sont pas tous des cons, et ça vaut pour les femmes. Ce n’est qu’une façon de considérer les choses par rapport aux déceptions que nous avons chacun vécues. C’est à l’intérieur que ça se passe d’abord, il s’agit de faire la paix avec soi, avec l’homme et la femme qu’on a chacun en soi, parce qu’ils sont beaux et bons tous les deux. Avant de pouvoir faire la paix et aimer les hommes et les femmes du monde entier.
L’androgyne de l’arcane LEMONDE• est arrivé au terme du cheminement spirituel décrit dans le tarot version Flornoy. Cheminement qui se déroule sur une vie ; ou à l’échelle de l’âme qui se réincarne, sur plusieurs vies : au moment où il faut, on reprend là où on en était arrivé.
L’arcane LEMONDE• est comme une porte de sortie de ce plan pour d’autres, peu importe le chemin parcouru et à parcourir, c’est équilibré et centré qu’il sera possible d’en franchir le seuil. En suivant avec rigueur la voie du milieu parfaitement représentée par ce trio, avec justice (IVSTICE♦) et tempérance (TEMPERANCE♦), les deux vertus cardinales qui accompagnent LEMONDE•.
Suivre la voie du milieu, oui mais ça penche souvent, telle la balance de IVSTICE♦ qui elle-même a du mal à la tenir équilibrée…
IMPERATRIS, LEPAPE, LEMPEREVR
On retrouve en tête de cette disposition, le trio des arcanes III – IMPERATRIS, V – LEPAPE, IIII – LEMPEREVR.
LE PAPE, au centre, a une crosse et une tiare formée de trois couronnes superposées, symbole de son triple pouvoir. De sa main droite il donne sa bénédiction à LEMPEREVR, et, alignées aux deux doigts tendus de sa main : la seconde croix pattée de la seconde main du pape, et sur l’arcane de droite, la croix pattée du sceptre, le symbole 4, et le nombre de l’arcane : IIII. De plus l’empereur forme un quatre avec ses jambes.
Un triangle aux proportions 3-4-5 est un triangle rectangle. Ses nombreuses propriétés ont permis aux bâtisseurs de cathédrales de construire des édifices à l’aide d’une simple corde à 13 nœuds. Ce triangle est appelé triangle sacré mais aussi triangle d’Isis ou triangle isiaque, en l’honneur de la trinité égyptienne Isis – Osiris – Horus. Trinité représentée sur ces arcanes royales : Isis – l’IMPERATRIS, dont on imagine la coiffe pyramidale, Osiris – LEPAPE, Horus – LEMPEREVR où on reconnaît l’œil d’Horus dans son étonnante couronne.
Le chiffre 4, que LEMPEREUR regarde, représente également le symbole du théorème de Pythagore.
•LE♦PANDV•, •LA•PANCES• , LA•ROVE•DE•FORTVN
•LE♦PANDV• se retrouve à l’envers, au plus bas de cette disposition, comme son personnage tête en bas.
•LA•PANCES• également, à l’opposé du trio 3-5-4 : pourquoi la placer ici, alors qu’elle devrait avoir sa place aux cotés du trio imperatris – lepape – lempereur ?
Nommée habituellement Papesse dans les autres tarots, ce nom est une particularité propre à celui de Dodal. Elle a une double couronne, double comme son nombre II, mais à la place d’un insigne de pouvoir, elle a un livre ouvert sur un embonpoint apparent.
Curieusement, elle est associée à deux cartes à connotations plutôt négatives : •LE♦PANDV• l’épandu qui s’épand, qui s’étend tête en bas ; et LA•ROVE•DE•FORTVN : au 18e siècle, fortune veut dire chance ou malchance, comme dans l’expression fortune de mer.
Sainte en apparence, •LA•PANCES• a une seconde face de loup, par son menton bizarre qui ressemble à un museau. On le voit mieux lorsque le nez s’efface… Un « L » est imprimé dans le bleu de sa toge – sur sa pance, justement! Est-ce la marque du Loup ?
Sur sa poitrine, en blanc et couleur chair, apparaît ce qui semble être un membre viril… Cette arcane aurait-il un lien avec la légende de la papesse Jeanne ? En 855, travestie, elle est nommée pape Jean VIII. Elle met un enfant au monde lors d’une procession. La foule scandalisée la lapide aussitôt. On ne connaît pas le sort de l’enfançon.
Ce qu’on sait en revanche, c’est que depuis lors, pour éviter un nouveau scandale, la coutume est de palper les testicules du nouvel élu assis sur une chaise percée. Si l’examen est concluant, le célébrant dit d’une voix forte : Habemus papam ! Nous avons un pape ! Et non une papesse…
•LE SOLEIL, •LE BATELEVR, •LEIVGEMENT
Alors là, ça devient plus délicat… J’ai l’idée d’additionner les numéros des arcanes, ce qui donne : 19 + 1 = 20, ouais ! Et c’est vrai qu’en associant les images/personnages des deux arcanes 19 et 1, on a un semblant d’arcane 20… Sinon je sèche complètement.
LE•TOILLE, LA•LUNE, LE•CHARIOR
Le bleu indigo, bleu ciel, vert, jaune d’or, rouge et rose chair sont les six teintes utilisées pour mettre en couleur ce jeu. Toutes les cartes utilisent ces six couleurs, parfois elles sont représentées par un petit détail. Toutes, sauf les arcanes de ce trio, auxquels il manque le bleu indigo. L’arcane XIII que j’ai mise de côté, n’utilise que 4 couleurs.
Leur point commun : aucune des trois cartes ne contient la couleur bleu roi, pourtant présente sur chacune des autres cartes.y compris sur l’arcane XIII, qui ne porte pourtant que 4 couleurs
•LA•MOVREV, LE•FOL•, LA•MAISON•DIEV
LE FOL qui est libre de nombre, libre de tout, a dans son baluchon : une échelle. Serait-ce l’échelle de Jacob ? Un moyen de s’élever au dessus de la condition humaine ?
•LE•DIABLE♦, •FORCE♦ et ♦LERMITE♦.
Au centre, le personnage de l’arcane •FORCE♦ maîtrise parfaitement la sienne, représentée par le lion qu’il tient par la gueule.
•LE•DIABLE♦, ne maîtrisant pas sa puissance, sombre et sévit dans tous ses excès. Les forces maléfiques sont tout aussi magnétiques que saisissables sans effort.
A l’opposé, le vieillard représenté par ♦LERMITE♦ se tient voûté et semble fragile.
Le point sur le code
Dans cette disposition, les arcanes opposés par symétrie centrale (centre en Le Monde) révèlent des points communs originaux :
– Les jambes croisées formant un 4, vert et bleu, pieds nus, de l’empereur sont inversées mais semblables à celles du pandu…
– Le pape se trouve à l’opposé de la pances.
– Les traits du visage de l’ange du jugement sont les même que ceux de l’ange du diable, ils ont des ailes tous deux. Et si le juge ment, il est peut-être lui-même le diable.
– Les coiffes du bateleur et celui du personnage de l’arcane Force se ressemblent et sont les seuls de ce type dans les arcanes majeurs : en forme de huit horizontal, symbole de l’infini, l’un fini. Un, c’est le nombre de l’arcane du Bateleur.
– Les personnages de La Mourevl’amoureux et du Chariorle chariot ont le même visage, de face, et sont chacun face à un dilemme semblable. Les deux femmes comme les deux chevaux veulent emmener l’homme chacun dans sa direction : opposée.
– Un des deux enfants du Soleil est borgne, son « seul œil » brûlé par la lumière écrasante du soleil. Au contraire, l’ermite cherche la lumière et doit s’éclairer à l’aide d’une lanterne sourde.
Entre les autres paires, d’autres liens se font, mais ils sont moins remarquables. Ces paires se recoupent à l’atout Le Monde, on peut y voir une notion du Tao (du tarot?) : celle de l’unité des contraires.
Mon analyse du code point, fondée sur les originaux, est le décryptage d’un message transmis par Jean Dodal, contenu uniquement dans son tarot, et plus précisément dans les 21 arcanes majeurs portant un nom. Seule l’arcane XIII, sans nom, donc sans le code-point, a été mise de côté dans cette analyse.
J’ai trouvé ce nouvel ordre qui me semble indiscutable, mais je ne puis en déceler la signification cachée. L’initiation est une grâce qui sait se faire attendre. Jean-Claude Flornoy a compris le sens des arcanes dans l’ordre des numéros grâce à un flash. J’attendrai donc que le même sort m’échoie.
à suivre…