« Pourquoi nous prend-on pour des fous qui font peur ? » se demandent les mystiques. C’est vrai qu’ils font peur. Trop de mystiques ressemblent à des cinglés. Les plus frappés, d’ailleurs, sont souvent les plus puissants : ceux qui lévitent, qui guérissent ou qui marchent sur l’eau.
Une aventurière de DieuMartine Charbonnel propose sa réponse : « Les gens qui ne sentent pas la présence de Dieu confondent souvent mystique et illuminé ce qui pour eux n’est pas vraiment un compliment. L’illuminé n’est-il pas celui entend des voix ? N’est-il pas un peu schizophrène ?
N’est-il pas quelqu’un qui serait capable de tuer au nom de Dieu si les voix le lui inspiraient ? N’est-il pas quelqu’un qui cherche à faire parler de lui par tous les moyens ? L’illuminé n’est-il pas complètement fou ? » (source)Martine Charbonnel, Une aventurière de Dieu
Nombreux sont ceux qui pensent ainsi. La folie fait peur, mais pas la raison. Et pourtant ! Pourtant, si on fait le bilan, la raison raisonnante a fait autant de mal que la folie. Sinon plus !
Combien d’ailes a-t-elle brisées, cette raison qui, toujours, s’allie avec la peur ? Combien de Mozart assassinés de sa main ? « Folie des sages, sagesse des fous. » (source)Idries Shah, Apprendre à apprendre
Pour qui cherche la lumière intérieure, il faudra affronter le gardien du seuil.
Le gardien, c’est la peur. Et le seuil, c’est la dernière frontière de la raison. Quand on arrive au seuil, on atteint l’extrême limite de la réalité ordinaire, régie par la raison. Affronter le gardien n’est pas sombrer dans la folie. La folie ne mène qu’à l’asile, pas aux richesses intérieures. On peut traverser le désert de la folie, c’est utile seulement si on en ressort entier.
De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou. Jamais la psychologie ne pourra dire sur la folie la vérité, puisque c’est la folie qui détient la vérité de la psychologie.
Affronter le gardien, c’est accepter d’écouter ses deux guides, la raison de surface et l’intuition profonde. Les gens raisonnables s’interdisent de faire un seul pas dans cette direction. Pour eux le moindre pas signifie déjà devenir cinglé.
« Pour se rassurer, certains se disent qu’il existe aussi des gentils illuminés qui semblent inoffensifs. Mais à force d’être dans leur petit monde ou dans leur secte, ce chemin n’est-il pas suicidaire ? Ne risquent-ils pas d ‘être incapables de travailler, de s’alimenter, de laisser leur enfant mourir de faim en comptant sur Dieu pour s’en occuper ? Ne risquent-ils pas de déraper un jour et de défrayer la chronique par un geste fou ? » (source)Martina Charbonnel, Une aventurière de Dieu
Bien sûr que si. Ces illuminés ne sont pas des éveillés, tant s’en faut. Dans la plupart des cas, ils ne sont dangereux que pour eux-mêmes, heureusement.Mais quand ils se mêlent de diriger un pays, ça craint du boudin. Ils ont rompu les amarres avec le monde normal. Ils sont partis à la dérive dans l’improbable infini intérieur, sans guide, sans carte, sans balises. Ils ressemblent à ces flippés qui ont trop pris d’acide, ces tristes zombis de Goa dans les années 70, ou d’ailleurs aujourd’hui même, notre société sans âme en fabrique à la chaîne. Qui leur jettera la pierre ?
Pauvre hères, fantômes du désir, tellement insatisfaits de la vie vide avide d’envie qu’on leur dévide, tellements frustrés. Ils ont pris une dose mortelle qui ne les a pas tués tout à fait, ils sont restés collés au plafond. Ou beaucoup plus loin. Ce n’est pas un modèle à suivre.Bien sûr que non.
Les candidats à la quête intérieure ne sont pas si nombreux, loin de là. Et les autres les prennent pour des cinglés. Quelle sottise ! Celui qui affronte le gardien du seuil n’a rien d’un illuminé. C’est un guerrier, un aventurier tendu vers le but, toujours en alerte et pourtant serein. Il sait que la peur est la première ennemie du chercheur de lumière. Il sait qu’il devra la vaincre ou être vaincu par elle.
Il sait que la raison seule ne peut rien pour lui, et il sait que sans elle on va dans le mur. Sans la raison, il s’éparpillera dans l’azur, comme ces pauvres drogués.
Mais sans la folie, il retombera sur terre, les deux pieds dans le même sabot. Il comprend vite que les deux extrêmes sont indispensables à la vie.
Alors, en vrai guetteur d’étoiles, il se sert en même temps de ses deux cerveaux, il attelle deux chevaux à son Chariot, la raison et la folie. Le résultat de cet appariement s’appelle la folie contrôlée. Les druides celtes pratiquaient aussi cette technique, ils l’appelaient la folle pensée. Ce sujet a été traité bien souvent, ceux qui m’ont bien lu le connaissent déjà, qu’ils veuillent me pardonner. Grâce à lui, l’aventure intérieure peut commencer. La maîtrise de la folie, voilà le cadeau du gardien du seuil. Ce n’est sans doute qu’un ticket d’entrée, mais il lance le miracle.
Ce qui est derrière nous et ce qui est devant nous compte bien peu à côté de ce qui est en nous.
Le miracle, pour le guerrier comme pour Bouddha, ce n’est pas voler dans les airs ou marcher sur l’eau. Le miracle, c’est de marcher sur terre. Il le sait. Il marche souvent pieds nus sur les nuages. Ou bien il « s’assoit sur un banc pour contempler deux arcs-en-ciel dans un ciel d’aquarelle sur l’autre rive d’un fleuve balayé par la pluie. Pourtant, tout près de lui, les gens ne s’extasient que devant des voiliers anciens exposés au public. » (source)Martina Charbonnel, Une aventurière de Dieu
Savourons notre différence. Sur le plan d’eau, il y a trop de voiles, trop de public. Appel du large.
Soyons passants. Passagers du vent.
La religion est pour ceux qui ont peur de l’enfer. La spiritualité, pour ceux qui y sont déjà allés.