Le guerrier impeccable

 

Un guerrier impeccable n’a rien d’un cadre sup, battant et propre sur lui. Ils n’évoluent pas dans le même milieu. Plongé jusqu’au cou dans le monde matériel, le battant s’affirme aux dépens d’autrui, il se bat pour celui qui le paie. Le guerrier dont il est question ici ne se bat qu’avec lui-même, son combat est déjà victoire, son but est le chemin. 

Une définition

Mais qu’est-ce qu’un guerrier impeccable ? Juan Matus, le benefactor et l’initiateur de Carlos Castaneda, nous en donne une définition succincte et terrible. Être impeccable, c’est faire confiance à son pouvoir personnel. « Un guerrier agit comme s’il savait ce qu’il faut faire, alors qu’en réalité, il n’en sait rien, » dit Juan Matus.

Il répète plusieurs fois la phrase pour que Carlos s’en souvienne. Et il ajoute : « Un guerrier est impeccable s’il a confiance en son pouvoir personnel, qu’il soit insignifiant ou considérable. » (source)Carlos Castaneda, Le voyage à Ixtlan Tout est dit. Ton impeccabilité s’appelle confiance en toi. Non pas confiance dans ton ego de merde, plus vite il crèvera, mieux tu vivras. Confiance dans ton moi supérieur, ton double éthérique, ton âme, ton dieu intérieur, l’esprit saint, ton ange gardien ou quel que soit le nom que tu TE donnes.

L’escalade égotique

« Tu dois être, toi, un guerrier impeccable. Le combat se situe là, exactement : dans ta poitrine » (source)Carlos Castaneda, Le second anneau de pouvoir Telle est la recommandation du vieux Juan Matus à son élève, Carlos Castaneda. Elle est valable pour tous ceux qui cherchent la maîtrise de leurs émotions qui mène à l’éveil. Nous sommes tous concernés. Nous n’avons pas de temps à perdre avec des petits combats mesquins. Et pourtant ces chamailleries empoisonnent la vie de la plupart des couples, hétéros ou homos.

Tant que l’ego n’a pas lâché prise, l’amour dure trois ans. A peine ! Pourtant quand un amour commence, on voudrait qu’il dure toujours, bravant les emmerdes et les escarmouches. Mais il n’y a plus de paradis sur terre depuis quelques éons. Qu’on le veuille ou non, on se trouve englué dans un implacable schéma de comportement. A la moindre contrariété, on fait la gueule, on râle, on boude, ça dérape, on s’engueule, le ton monte, on hurle ou on se tape, selon le degré de contrôle et/ou d’alcoolisation.

Dans cette phase de vie, il est quasi impossible d’élever le débat. Malgré les bonnes résolutions prises à deux après chaque algarade, les mêmes causes produiront les mêmes effets. L’escalade égotique recommencera : les gentils amants gnangnans redeviendront ce qu’ils n’ont jamais cessé d’être : deux coqs de combat sous les cris des parieurs.

Ça bouffe du temps et de l’énergie. C’est improductif, épuisant, inutile. « Il nous faut tout le temps et toute l’énergie dont nous disposons pour combattre l’idiotie en nous. Et c’est ça qui compte. le reste n’a aucune importance (source)Carlos Castaneda, Le second anneau de pouvoir. »

 

 

Tuer l’idiotie en toi

Tuer l’idiotie en nous, rude combat ! Ce monde est trop rapide pour un cerveau lent.oui, c’est exprès Pas le choix. Mater l’ego qui se prend pour le patron, première victoire. « La guerre, pour un guerrier, est la lutte totale contre le moi individuel qui a privé l’homme de son pouvoir (source)Carlos Castaneda, La force du silence. » 

C’est la juste définition du jihad, la guerre sainte prônée par le Coran. Il ne s’agit certainement pas de se battre contre d’autres frères, nous sommes tous frères et sœurs devant l’éternelle source. Il s’agit de se battre contre le seul ennemi qui vaille : celui qui loge en ton cœur. Ton pire ennemi, c’est toi, le toi subordonné à l’ego, le petit maître, le roquet dominant, le fauve qui dévore la lumière et l’amour.

On consacre la première moitié de sa vie à se forger un ego solide, et la seconde moitié à s’en débarrasser.

Carl Gustav Jung

« C’est la position actuelle du point d’assemblage qui a fait de l’homme moderne un égotiste homicide, un être totalement absorbé par sa propre image. Ayant perdu l’espoir de jamais revenir à la source universelle, l’homme cherche le réconfort dans son sentiment d’identité  (source)Carlos Castaneda, La force du silence. » La faute à Descartes. Son cogito de merde a fondé la sagesse sur la pensée –donc sur le culte de l’ego. Cogito ergo sum : je pense donc je suis, ce qui se réduit à je donc je.

Descartes n’a pas senti le piège. Il croyait nous faire entrer dans l’univers stérile de la raison, il avait oublié que nous y étions déjà depuis la Grèce antique. La pensée n’est pas le moyen de connaître le monde, encore moins de se connaître. La pensée n’a qu’une conséquence : renforcer l’ego, exacerber le moi dominant.

Pour renforcer ce délicieux sentiment d’identité –si réconfortant, mais si stérile– l’homme moderne a réussi à fixer son point d’assemblage sur la position exacte qui lui permet de perpétuer sa propre image (source)Carlos Castaneda, La force du silence. » Et il peut à loisir se mirer, béat, dans le miroir de l’auto-contemplation.

Ce miroir qu’il s’agit de briser pour progresser vers le sommet de soi-même. Quitter l’ego pour trouver l’être. « Tout éloignement du point d’assemblage par rapport à sa position habituelle a pour conséquence un éloignement par rapport à l’auto-contemplation de l’homme et à son corollaire : la suffisance (source)Carlos Castaneda, La force du silence. »

Oui, la suffisance. Qui n’est pas l’orgueil, pas non plus fierté, la suffisance qui est dénuée de noblesse, qui n’a pas d’excuse, et qui est insupportable pour tout un chacun. La suffisance qui est un piège que l’on se tend à soi-même. « Don Juan décrivait la suffisance comme la force engendrée par l’image que l’on a de soi-même. Il répétait que c’est cette force qui maintient le point d’assemblage fixé là où il se trouve actuellement. C’est pour cela que le but du chemin du guerrier est de détrôner la suffisance (source)Carlos Castaneda, La force du silence. »

La suffisance n’est rien d’autre que l’apitoiement sur soi-même déguisé. « L’apitoiement sur soi-même est le véritable ennemi intérieur. Il est la source du malheur de l’homme. Sans un certain degré d’apitoiement sur soi-même, l’homme ne pourrait pas se permettre d’être aussi suffisant qu’il l’est. (…) En éloignant notre pont d’assemblage de sa position habituelle, nous atteignons un état qui ne peut être qualifié autrement que par le terme d’implacabilité. (…) Pour un sorcier, l’implacabilité n’est pas la cruauté. L’implacabilité est le contraire de l’apitoiement sur soi-même et de la suffisance. L’implacabilité est la sobriété (source)Carlos Castaneda, La force du silence. »

 

 

Personne n’est plus esclave que celui qui pense faussement être libre. 
Wolfgang von Goethe