Cette planète n’a rien de naturel. Tous ses paysages ont été aménagés par des artistes, des ingénieurs, des techniciens au fil des éons. La planète Terra est la propriété d’une holding d’aménageurs de planète qui la travaille depuis au moins deux milliards d’années.

Ces astronautes surdoués sont aussi des généticiens hors pair, ils ont conçus les différentes espèces animales, végétales à l’aide de leur banques de gènes ou de graines. Leur but était de transformer une planète sauvage en une alternance magnifique de landes, de mers, de forêts, de savanes et de lacs, de fleuves et de montagnes, de torrents et de chutes d’eau.

Fils de clones

Le résultat est Ter Ra, la troisième planète du système solaire, ou système de Ra. Aussi appelle-t-on leurs auteurs des terraformeurs. Ils ont conçu une grande variété d’espèces animales, chacune adaptée à un environnement et à un climat, et programmée pour une tâche spécifique. Chaque espèce se différenciait par son apparence physique, strictement la même pour tous les individus qui la compose.

La Terre est une planète aménagée, ce qui en langue des Oisons signifie « amène à Gé ». Et Gé c’est Gaïa, la Terre en grec ancien.

Tous les guerriers avaient la même tête, tous les mineurs étaient identiques, idem pour tous les agriculteurs et pour chaque catégorie socio-professionnelle. Ainsi les terraformeurs pouvaient identifier n’importe quel clone, son type physique indiquant ses aptitudes.

Nous sommes tous issus de ces clones. Une vingtaine de lignées à l’origine, un peu plus ensuite, mais ça n’a jamais dépassé cinquante modèles différents. Certains modèles comptaient des centaines d’unités, d’autres des centaines de milliers.

Pour la mémoire de notre espèce, ces années terribles et fascinantes ont marqué au compteur. Il en reste encore des séquelles. Si on peut avoir un sosie, c’est peut-être un reliquat du clonage originel. Quand la reproduction in vitro a laissé place à la loterie de la reproduction naturelle, une profusion de nouveaux visages sont arrivés.

Cette révolution profonde est arrivée au même moment partout dans le monde. Quand les dieux sont rentrés chez eux…

Longtemps après3e siècle AEC en Chine, l’armée d’argile de l’empereur Qin où chaque soldat a une tête et une corpulence différentes est un hymne à la reproduction naturelle, une affirmation de sa puissance et de sa richesse.

Une œuvre impensable à l’ère des clones, où tous les soldats étaient strictement identiques.

Les Tous-Pareils

Ces clones originels étaient super grégaires et hyper xénophobes : ils avaient l’instinct de troupeau super développé et la haine de l’étranger hyper active. Le concept d’individu leur était étranger, donc haïssable. Rien ne comptait que leur tribu, tous ceux qui avaient la même apparence physique et le même comportement.

Du point de vue de nos concepteurs, le clonage est la meilleure façon d’obtenir des compétences et performances identiques quel que soit le numéro qui sort de la chaîne matricielle. Les terraformeurs ont conçu des profils génétiques adaptés aux différentes tâches que représente l’aménagement d’une planète sauvage.

Les premiers humains, tâcherons stéréotypés, sont appelés LULU AMELU par les Sumériens (source) ce qui peut se traduire par TOUS-COMME-UN, ou plus simplement TOUS-PAREILS.

Il y avait de nombreuses séries de Tous-Pareils. De peau bleue, noire, blanche, bistre, rouge, rose et verte, sept races humaines issues des labos génétiques d’Atlantide et d’Hyperborée : les sept filles d’Atlas.

De près comme de loin, un Tout-Pareil n’est pas différent d’une machine. Comme le robot, le Tout-Pareil est programmé pour une tâche précise, et son apparence le rend identifiable au premier coup d’œil. La couleur de la peau est le premier signe distinctif. Ensuite l’apparence physique, svelte ou trapue. Enfin les traits du visage.

Les dieux d’avant portaient sur eux un mini terminal très semblable à un smartphone. Il leur suffisait de consulter le fichier LULU AMELU / CATALOGUE DES MODÈLES – ou celui-ci : LULU AMELU / FONCTION DÉSIRÉE pour y choisir le type de Lulu, le nombre d’exemplaires et la durée du chantier.

Sa commande était livrée dans la journée sur toute la planète. Prouesse d’autant plus grande qu’il n’y avait pas de stock : les Tous-Pareils étaient clonés à la demande dans les matrices du vaisseau-mère. Le processus de clonage était extrêmement rapide, et leurs vaisseaux de livraison ne l’étaient pas moins.

Le clonage à la demande présentait de nombreux avantage, dont celui-ci, qui n’était pas le moindre : les Tous-Pareils n’avaient jamais connu rien d’autre que le chantier pour lequel on les avait créés. Ils ne pouvaient donc pas établir de comparaison, ni juger de leur sort misérable, encore moins se révolter contre leurs maîtres. C’est pourquoi ils ne servaient que pour une seule mission. En fin de chantier, ils étaient recyclés.

Figurants

Pour les dieux d’avant, ces premiers humains n’étaient rien d’autre que des figurants. Des numéros interchangeables. Des outils de travail. Ensuite est venue la loterie génétique de la reproduction sexuée, basée sur une mystérieuse attirance entre un homme et une femme. Elle a aussitôt engendré des êtres tous différents, qui n’étaient plus des Tous-Pareils, mais des personnes.

Encore quelques poignées de millénaires et ces personnes deviendraient des individus, jaloux de leurs différences, fiers de leur caractère unique, alors qu’ils s’habillent tous pareils, qu’ils consomment tous pareils, qu’ils mangent tous pareils et qu’ils rêvent tous pareils. Rien n’a changé.

Les individus qui m’entourent sont toujours super grégaires et hyper xénophobes. Ils placent toujours leur bande, leur classe, leur groupe socio-culturel et leur famille plus haut que tout. La pulsion tribale les accrochent toujours au comptoir du bistrot ou du coffee-shop le plus proche. En troupeau ils partent en vacances, en troupeau ils font la transhumance, en troupeau leurs courses, en troupeau leurs loisirs, en troupeau leurs tombeaux.

De fait, combien de personnes connaissons-nous personnellement ? Une centaine ? J’accorde cinq cents si vous voulez. Sur 7 milliards et quelques Terriens, ça ne pèse pas lourd. D’où la fameuse hypothèse des figurants que m’a énoncée l’amie Satehr Deva il y a quinze ans.Déjà ?

On nous dit que nous sommes sept milliards et des brouettes, mais je n’en connais personnellement que très peu. Il doit y en avoir pas mal qui comptent pour du beurre. Ils sont juste là pour faire nombre. Ils ne sont pas aussi vrais que vous et moi. Ils font partie du décor. Ce sont des figurants.

Et nous ?

L’humanité actuelle, cinquième du nom, est l’héritière directe du clonage catégoriel. Les 7 milliards d’humains qui peuplent cette planète portent au plus profond d’eux-mêmes la mémoire des sans-nom, des sans-grades, des Tous-Pareils. Chacun des humains ici présents peut-il sentir en lui l’écho de ces temps dégradants ?

Ces Lulu Amelu n’étaient que des numéros, des travailleurs interchangeables, des kleenex jetables après usage. En imitant le bel exemple que nos créateurs nous ont donné, les sociétés humaines ont perpétué l’esclavage, les travaux forcés, le bagne, l’exploitation, les mouroirs, la cruauté, l’asservissement, l’avilissement de la personne, le mépris des faibles, l’humiliation, le refus d’assistance, quelle antique horreur ajouterais-je au tableau ?

Sommes-nous meilleurs que les saigneurs qui nous ont faits ? Sommes-nous mieux que des clones aux yeux des affreux qui nous mènent à l’abattoir ? Posons-nous les bonnes questions.

Qu’as-tu fait pour mériter ça ? Quel crime impardonnable ai-je commis pour me trouver plongé dans ce monde de bassesse et d’ignominie ?

Et toi que j’aime, l’innocence même, pourquoi es-tu échouée ici-bas, au fond de ces bas-fonds trop bas pour toi, princesse de mon âme ? Toi qui n’aimes rien autant que ces espaces éthérés où la lumière dessine des milliers de couleurs assorties à ton cœur. Toi qui m’as fait changer d’avis sur la vie et d’opinion sur les pignons.

Certains croient que le pire est à venir. Beaucoup vont partir pour ne pas le subir. D’autres sauront réagir pour casser le délire. Le meilleur est à demeure. Qu’il vienne à son heure et qu’il dure toujours. Plus qu’hier, moins que demain.

C’est ton destin.

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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