Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l’ambre.
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l’âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Charles Baudelaire
Charles Baudelaire, dans un de ses plus célèbres poèmes, exprime son désir fou d’aller vivre ailleurs, avec une personne aimée qu’il nomme « mon enfant, ma sœur ». Baudelaire (1821-1867) propose un itinéraire, un projet de vie, et d’une certaine façon, une demande de mariage ou la reconnaissance d’une union. Les toiles qui illustrent cet article sont l’œuvre de Thomas Cole (1801-1848) intitulée Le voyage de la vie. Cette œuvre a une portée plus vaste, la vie humaine en général, dans une perspective plus individuelle : le personnage central est mâle et n’a pas de compagne.
Malgré ces différences –ou à cause d’elles– il m’a semblé intéressant de juxtaposer ces deux œuvres qui datent de la même époque, et qui, l’une comme l’autre, mettent l’accent sur la principale composante de l’existence humaine, vue par un grand peintre britannique et par un grand poète français.