Dans la tragédie de Shakespeare, Ophélie,Ophelia dans la version originale jeune Lady du Danemark est promise au prince Hamlet. Ce dernier simule la folie pour venger son père. Folle de douleur, Ophélie se jette dans le fleuve. Rimbaud a tiré de ce récit un de ses plus beaux poèmes. Il avait 16 ans.
Le voici. Ne vous étonnez pas si j’ai pris la liberté d’en supprimer la ponctuation pour moi superflue dans la poésie de Rimbaud.
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lysle s ne se prononce pas
Flotte très lentement couchée en ses longs voiles
On entend dans les bois lointains des hallalis
Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe fantôme blanc sur le long fleuve noir
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir
Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule
Sur son grand front rêveur s’inclinent les roseaux
Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle
Elle éveille parfois dans un auneancien orthographe d’aulne qui dort
Quelque nid d’où s’échappe un petit frisson d’aile
Un chant mystérieux tombe des astres d’or
Ô pâle Ophélia belle comme la neige
Oui tu mourus enfant par un fleuve emporté
C’est que les vents tombant des grands monts de Norwègeancien orthographe
T’avaient parlé tout bas de l’âpre liberté
C’est qu’un souffle tordant ta grande chevelure
À ton esprit rêveur portait d’étranges bruits
Que ton cœur écoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits
C’est que la voix des mers folles immense râle
Brisait ton sein d’enfant trop humain et trop doux
C’est qu’un matin d’avril un beau cavalier pâle
Un pauvre fou s’assit muet à tes genoux
Ciel Amour Liberté Quel rêve ô pauvre folle
Tu te fondais à lui comme une neige au feu
Tes grandes visionsdiérèse: vi-si-ons étranglaient ta parole
Et l’infini terrible effara ton œil bleu
Et le poète dit qu’aux rayons des étoiles
Tu viens chercher la nuit les fleurs que tu cueillis
Et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles
La blanche Ophélia flotter comme un grand lysle s ne se prononce pas
Arthur Rimbaud, Recueil de Douai
Ce poème sublime, je l’ai appris à 12 ans. Pour l’illustrer, quoi de plus approprié que le tableau de John William Waterhouse? Aucune toile d’Ophélie, ancienne ou moderne, ne m’emballe autant que cette Lady.
John William Waterhouse, (1849-1917), peintre britannique proche des préraphaélites, est connu pour ses tableaux inspirés de la mythologie et de la littérature.
La Dame de Shalott me hante depuis l’enfance. Un grand poster a décoré ma chambre d’adolescent. Je l’ai exhumé d’un carton à dessin, il a retrouvé place dans ma soupente de vieillard.
Sous le pinceau subtil de Waterhouse, Lady Shalott fait une parfaite Ophélie. Anglais comme Shakespeare, John William Waterhouse a peint ce tableau en 1888, soit dix-huit après que le jeune Arthur ait composé Ophélie.
Le prince Hamlet n’est pas une invention de Shakespeare. Il a régné sur le Danemark au 8e siècle, tandis que la geste de Camelot se déroule à peine deux siècles plus tôt.
On ne fait pas Hamlet sans casser Dieu.
La robe blanche de la jeune Lady évoque les longs voiles couleur de lys du poème de Rimbaud. Les bracelets qu’elle porte, les ornements de la barque pourraient coller avec l’épopée d’Arthur.
Si cette Lady n’est pas encore noyée, elle va se jeter à l’eau l’instant qui suit. Sa mine désespérée et la barque qui penche confirment cette impression.
Toujours due au talent de Waterhouse, la voici qui a quitté la barque et doucement s’enfonce vers son trépas. Quoi de plus romantique que cette Lady médiévale ? Presque ignorée chez nous, Lady Shalott est très célèbre en Grande Bretagne. Outre les peintres, elle y a inspiré plus d’un poète.
Alfred Tennyson (1809-1892) premier baron Tennyson, est l’un des poètes britanniques les plus célèbres de l’époque victorienne.
Il s’agit d’un poème fleuve de 19 strophes en trois parties.
J’ai tenu à traduire la première strophe de chaque partie, en respectant l’alternance des rimes, l’esprit et la beauté du texte original et croyez-moi, ça m’a pris des heures.
J’ai donc stoppé là mon effort.
Aux deux berges de l’eau sereine
Un champ d’orge et de marjolaine
Côtoie le ciel et clos la plaine
À travers champ la route emmène
Jusqu’au tout puissant Camelot
Où les gens vont, d’où les gens viennent
Contemplant les lys qui parsèment
Les abords d’une île lointaine
Dénommée l’île de Shalott.
(…)
C’est là qu’elle tisse jour et nuit
Sa toile aux couleurs de la vie
Un chuchotis lui a prédit
Que son destin serait maudit
Si elle dédaignait Camelot.
Elle ne sait pas d’où vient ce sort
Mais elle agrandit sans effort
Sa toile au magique décor
La belle Lady de Shalott.
(…)
Une flèche a percé son cœur
Quand un prince ardent et moqueur
Resplendit au soleil vainqueur
Qui fait rutiler son armure.
Le fringuant Sire Lancelot
De tout orgueil s’est dépouillé
Quand humble il s’est agenouillé
Pour déposer son bouclier
En hommage à Lady Shalott
Waterhouse n’en avait pas fini avec cette princesse. Inspiré par le poème de Tennyson, il lui a consacré de nombreuses toiles. Aucune, selon moi, ne rivalise avec la première. Elles méritent pourtant d’illustrer cet article. Article que je ne pouvais clore sans partager cette parfaite illustration de Rimbaud.
Si la romantique Lady de Shalott ne se prénomme pas Ophélie, j’en serais fort désappointé.
Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys
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