Maître Eckhart

 

« Certains penseurs libres ont touché là où l’esprit s’ouvre au-delà de sa propre limitation, là où tout s’apaise et communie en un souffle vivant. Chez ceux là, la pensée est vive comme l’épée, qu’elle jaillisse en quelques mots ou qu’elle se développe, elle a la concision qui fait le tranchant, elle révèle le faux. Elle le fait au-delà du conditionnement, celui-là même auquel nous ne pouvons prétendre échapper, le traverser… » a dit Maître Eckhart.

Incroyable, ça date du moyen-âge et pourtant c’est dingue comme ça sonne vrai. Un grand oublié qu’il faut relire, ou découvrir en urgence absolue. 

Trois en un

« L’enseignement spirituel de Maître Eckhart est formulé à partir d’une invitation au détachement de « tout ce qui n’est pas Dieu », selon une expression qu’il emploie souvent. Ce renoncement à toute possession est nécessaire pour l’union à Dieu, et pour la réception de Dieu dans le cœur du disciple. La réception de Dieu en l’âme du croyant — âme libérée, évidée de tout même de l’image de Dieu lui-même, rejoint le thème patristique classique nommé « inhabitation trinitaire » : la Trinité descend dans le fond de l’âme (où l’intellect joue un grand rôle) avec toutes ses propriétés. Ainsi, rendu à nouveau semblable à Dieu, l’homme connaît une déification, nommée théosis dans la tradition grecque. » (source)

Maître Eckart, tout un programme, les philosophes l’appellent mystique, les mystiques le traitent de philosophe. Vingt dieux !! Il prêche l’éveil, l’illumination, la transformation de l’homme en dieu, tout comme la totalité des mystiques qui l’ont précédé, jusque dans les civilisations les plus enfouies, les plus lointaines. Semblable aux grands anciens, pareil aux dieux d’avant, Eckhart veut exalter l’étincelle divine qui sommeille en chacun de nous. Voilà un joli mystique de l’éveil, un bel adepte de la Vieille Religion, un vrai druide ou je me trompe fort !

Eckhart de langage

C’est en tout cas ainsi que je l’ai perçu quand je l’ai découvert, il y a une vie.

 

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Mettre-écart, voilà qui n’était guère enseigné à la fac de Nanterre en 68. Mais j’étais fana du hors-piste en compagnie des auteurs hors-programme. Je m’y suis plongé et j’ai kiffé Mes-treks-hard, je le jure. Je l’ai potassé, soupesé, je m’en suis même délecté. Autres temps, autres moeurs, dit-on. Hors-sujet. Alors, qui c’est Mètre-et-quart ? Si tu veux la version officielle, menteuse comme chacun sait, demande à oui-qui-paie-dia.

Eckhart von Hochheim, dit Maître Eckhart, (c. 1260 — c. 1328) est un théologien et philosophe dominicain, le premier des mystiques rhénans. Il étudia la théologie à Erfurt, puis Cologne et Paris. Il enseigna à Paris, prêcha à Cologne et Strasbourg, et administra la province dominicaine de Teutonie depuis Erfurt. (source) Les mystiques rhénans, comme leur nom l’indique, fréquentaient la vallée du Rhin. Ou bien la Rhénanie. Mystiques, d’accord, mais encore ? La Mystique rhénane est un courant spirituel catholique de grande ampleur, qui s’est étendu approximativement des Flandres à la Rhénanie, entre le XIIIe et le XIVe siècle. (source)

Les Fils du Soleil

Mystiques catholiques, dit l’histoire fausse. Il faut y lire mystiques du culte romain, à savoir Sol Invictus, la vieille religion d’éveil, dont les initiés portaient le titre de Fils du Soleil. A part Eckhart, on compte qui chez les mystiques rhénans ? Hildegarde von Bingen, par exemple. Rien que ça. J’ai des raisons de croire que la religion catholique est une invention tardive, postérieure en tout cas à ceux qu’on appelle les Pères de l’Eglise et les Pères du Désert. Ces mystiques n’ont rien à voir avec l’histoire sainte des évangiles, tissu de perles fausses, empruntées à de multiples traditions, parfois très antérieures. Ce christ nommé Jésus n’a pas l’ombre d’une existence historique, c’est juste un fake, comme on dit maintenant. Mais quel fake !!

 

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Eckhart cite fréquemment de nombreux auteurs, Aristote, Sénèque, Denys l’Aréopagite, Boèce, Bernard de Clairvaux, Thomas d’Aquin et Augustin (de loin l’auteur qu’il cite le plus souvent). (source) La fine équipe. Les grands ducs. Ce sont ceux-là mêmes que le catholicisme a phagocyté, comme les nombreux saints irlandais et bretons, ces moines soi-disant incultes qui ont prêché l’éveil des consciences et la recherche de la lumière intérieure. On les retrouve à toutes les sauces dans les sacristies romaines. Si bien qu’on ne sait plus s’ils appartiennent à la religion catholique naissante ou bien aux derniers feux du culte officiel romain, ce don de l’éveil qui remonte à Mithra et à Isis. J’ai tendance à penser qu’ils sont antérieurs à l’invention du catholicisme datée du 13 ou 14e siècle.

Mortel Carcan

Revenons s’il vous plaît au texte prophétique qui ouvre cet article. Eckhart évoque un carcan auquel dit-il « nous ne pouvons échapper ». Cette chaîne, cette prison, il l’appelle conditionnement. Nous l’appelons l’ancien paradigme, ou plus simplement la Matrice. Du temps de Maître Eckhart, les libres-penseurs risquaient le bûcher. Risquent-ils moins aujourd’hui ?
 
La liberté de penser, de chercher, de faire un pas de côté, de changer de lunettes, de tourner autour des idées reçues pour leur tailler des croupières, la liberté de creuser, d’analyser, de comparer, de réfléchir, de douter, de nuancer, de prendre son temps à flâner sur les chemins de traverse, la liberté d’interroger les origines, de mettre en question les textes et les penseurs, de vérifier les infos, de soumettre chaque affirmation à un examen critique et contradictoire, la liberté d’être différent, donc semblable à nos semblables qui comme nous sont tous différents, la liberté de tout lire, de tout dire et de tout écrire, la liberté d’être nu face à l’horreur vêtue, la liberté de donner libre cours à la lumière, voilà les vierges sacrifiées sans répit sur l’autel pourri du bourrage de mou.
 
 
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Dans les chaînes

Ces contraintes injustes tissent le filet de nos conditionnements. Il faut danser dans les chaînes, dit Nietzsche. Il faut douter de tout, conseille Descartes. Il faut rigoler avant que le ciel nous tombe sur la tête, chante Henri Salvador. Toi, tu feras bien ce que tu voudras, pourvu que tu vives selon ta règle propre et non selon celle d’un autre, fut-il prophète ou fils de dieu. Fils de dieu ? Nous le sommes tous, la belle affaire ! 
 

Il serait excessif de dire que maître Eckhart, décidément visionnaire, a prophétisé la mort de Dieu. Non, mais il a postulé sa non essence, et on n’est pas loin de la non existence…

« Le but d’Eckhart est d’atteindre ce qui ne se donne pas, un « quelque chose » qui se dérobe à la pensée et qui disqualifie toute qualité. Cela est rendu possible par un certain usage du langage : il s’agit d’atteindre le rien, le vide, le néant pour en faire jaillir autre chose. »

Ce quelque chose, Eckhart l’a nommé déité. Pour Peuso-Denys l’Aréopagite comme pour Eckhart, l’essentiel du divin n’est pas du domaine de l’être : « l’être ne convient pas à Dieu et Dieu n’est pas étant, car il est au-delà de l’étant »

Donc il n’est pas. Salement culotté de soutenir un tel point de vue à cette lointaine époque. Il faut croire qu’elle était plus ouverte que la nôtre. L’auteur cité jette l’anathème sur Maître Eckhart l’accusant d’ouvrir « la voie de la nescience, cette science négative qui touche l’ombre des mots, ce que les mots ne disent pas. »

Tagada tsoin-tsoin ! Fameux baratin auquel j’ajoute le mien : La nescience est à la science ce que le nescafé est au café.

Sévère mais juste. Une chose est sûre. Ce maître-là n’a pas volé son titre. Et s’il a fait des écarts, béni soit-il. Que n’en a-t-il fait davantage !

 
De tous ceux qui n’ont rien à dire,  les plus agréables sont ceux qui se taisent.
Coluche