Mortel remords

Il nous arrive à tous de faire des erreurs. Nous ne sommes pas parfaits, sinon nous ne serions pas ici. Mais si l’erreur est humaine, la persévérance est diabolique. Eprouver du remords pour une erreur, c’est ajouter une deuxième erreur à la première. Aprenons de nos échecs, et cultivons le pardon de nos fautes. Nous sommes notre pire ennemi. Il serait temps que ça change…

« Le remords est une notion tout à fait inconnue des taoïstes. Ce mot, qui signifie « mordre à nouveau », implique que l’on tienne sciemment une plaie ouverte. C’est là une forme subtile, mais non moins morbide, d’égocentrisme qui renforce l’ego plutôt qu’elle ne cause son effacement.

Le remords, le repentir fervent et la conversion soudaine de type évangélique sont autant de phénomènes où le changement, qui n’atteint que les couches de l’émotion, n’ajoute ni à la sagesse ni à la compréhension. Toute émotion exacerbée rompt forcément l’harmonie naturelle, ainsi que le développement de la sagesse, qui demande persévérance et quiétude d’âme. » (source)J.C. Cooper, la Philosophie du Tao, éditions Dangles

Le paradoxe de l’escargot

Ça fait d’autant plus mal à entendre que c’est vrai. Et qu’on le sait. Toutes les cultures traditionnelles l’enseignent encore, à l’instar du Tao. Dans l’épisode de l’escargot, Castaneda découvre comment il ajoute la faute à l’erreur par son stupide remords. Nous lui ressemblons tous sur ce point, que nous soyons issus du judéo-islamo-christianisme ou de tout autre religion de la culpabilité.

Un jour, Carlos Castaneda chemine avec Don Juan Matus. Soudain l’apprenti ramasse un escargot qui se traînait au beau milieu du sentier, et il le dépose à l’abri. Matus s’insurge : jamais un guerrier n’impose son « aide » à quiconque, fût-ce un escargot. Qui sommes-nous pour décider du destin d’un autre être ? En déplaçant cet escargot, Castaneda lui a peut-être volé une victoire qui l’aurait rendu meilleur. –Je vais le remettre où je l’ai pris, répond l’apprenti penaud. –Surtout pas ! dit Matus. La bêtise est faite, n’en ajoute pas une deuxième.

En déplaçant cet escargot, Carlos Castaneda fait preuve de compassion. Il marche donc sur le chemin qui a du cœur, comme son modèle Juan Matus. Et pourtant ce dernier le réprimande. La compassion n’est pas un bon programme pour un guerrier de lumière. Souvent elle n’est qu’un masque qui cache la supériorité. En faisant preuve de compassion, on envoie ce signal : je suis plus avisé que toi. Je vois que tu as besoin d’aide, et je vois que tu n’oses pas la demander. J’en sais plus long, je peux t’aider, vois : je t’aide déjà.

La règle d’or serait de ne jamais intervenir sans une demande préalable, dûment circonstanciée. La demande faite pour un autre, ou la demande faite du bout des lèvres ne suffit pas. Cette recommandation est valable pour les guérisons, elle l’est aussi pour de plus petites choses, comme déplacer un escargot. Mais nulle étude logique ne vient à bout de l’irrationnel, de l’inconnu, du surhumain qu’est le nagual. (source)

Remords ou péché ?

Le remords a inspiré bien des chefs d’œuvres artistiques et littéraires, montrant ainsi la place qu’il a pris dans notre culture. Citons La Conscience de Victor Hugo, Crime et châtiment de Fiodor Dostoievski, Le mort saisit le vif d’Henri Troyat, ou encore Paul Bourget dans Nos actes nous suivent. Ce qui ressort de ces œuvres c’est précisément ce que le christianisme exploite avec la notion de péché, notion aggravée encore par le péché originel dont la faute incombe même aux nouveaux-nés ! — comble absolu de la démence et de l’égarement du haut-clergé catho.

Qu’est-ce que le péché qu’on nous pousse à confesser sinon la forme la plus vicelarde de la culpabilité ? « Si tu as péché, repens-toi et confesse ta faute. » Un désespéré tente de mettre fin à ses jours en se pendant dans une grange. C’est le curé qui le trouve et qui lui sauve la vie. Il veut que le malheureux confesse sa faute. En lui donnant l’absolution, le brave curé lui demande de lire une page de la bible au hasard. Le lendemain, le curé trouve l’homme bel et bien mort, pendu dans la même grange. Par terre, une bible est ouverte où le curé peut lire : « Si tu as péché, repens-toi« . Seul l’orthographe aurait pu lui sauver la vie…

Comme d’autres sectes, le catholicisme cultive la honte qui dévalorise, qui paralyse et qui rend con. Pourquoi donc ? Afin de maintenir sur les brebis la houlette du pasteur pour le bien du châtelain.

Bêêê, bêêê, font les moutons bêêêlants tout cons tout contents. On s’occupe d’eux, on s’intéresse à eux, ils comptent aux yeux des prêtres et des puissants. Voilà qui flatte leur égocentrisme, voilà qui renforce leur ego plutôt que le faire disparaître.

Le Tao ne connaît ni ces dérives ni tout ce pathos, et c’est heureux pour les taoïstes.

Perseverare diabolicum

Errere humanum est sed perseverare diabolicum, dit la locution latine. L’erreur est humaine, mais la persévérance est diabolique. Ajouter une erreur à la première, c’est commettre une faute. D’erreur en erreur, le chercheur progresse. Va-t-il en répéter une seule ? Baffe dans la gueule ! Le Vivant a tôt fait de le remettre sur le droit chemin de l’éveil. Tu peux faillir, ça arrive aux meilleurs. Mais ce sont les pires qui refont sans fin la même erreur.

Essais erreurs, telle est la méthode que recommandent le pragmatisme. Une méthode éprouvée, qui suppose des tâtonnements, sans l’intuition ou la clairvoyance qui font gagner du temps. Tire parti de tes erreurs, elles font progresser plus sûrement que les réussites. Ces dernières ne feront que flatter ton ego. De quoi as-tu besoin à part un bon coup de pied au cul ? C’est ici.

Retour d’ego

Ceux de mes lecteurs les plus assidus auront noté à quel point je prône le djihad intime, cette guerre perpétuelle que mène contre lui-même le guerrier de lumière en quête d’impeccabilité. Avec le coup de pouce que peuvent donner les petits tyrans, cette guerre intérieure est la seule arme contre le retour d’ego.

L’ego est la cause des trois premiers ennemis du guerrier. L’ego est donc le principal danger qui guette le guerrier impeccable. Le sorcier efficace. Le faiseur de miracles se persuade vite que seuls ses mérites en sont la cause, et à force de mégalo, il se noie dans son caca. Mon benefactor est mort comme ça. Quelque soit le niveau atteint, nul n’est à l’abri de la folie. Pour s’élever contre vents et marées d’une époque matérielle, le guerrier de lumière a dû braver tant de tempêtes et côtoyer de tels abîmes que la folie est son amie. Il l’apprivoise. En se servant des fulgurances intuitives de la folie, le guerrier la domine. C’est la folie contrôlée.

Je crains moins la folie que l’ego. Elle m’aide, il me nuit. Je m’appuie sur elle qui se laisse faire, il s’appuie sur moi et m’écrase. N’aie pas peur de ta folie. Apprivoise-la. C’est ton alliée indéfectible. Fie-toi en elle. Un jour tu comprendras sa vraie nature. C’est une sagesse que ceux qui ne l’ont pas prennent pour la folie.

C’est une force que les forts qui ne l’ont pas appellent faiblesse, une sagesse que les sages qui ne l’ont pas appellent folie, une lumière que les aveugles qui ne l’ont pas appellent obscurité.

Lanza del Vasto

Crains ton dragon

Crains ton ego. Il reste un loup sous la peau de l’agneau. Dresse ton dragon vorace. Il ne veut pas ton bien, mais le sien. Et toi, guerrier lumière, tu n’es pas lui. À présent vous faites chambre à part. Vous n’avez plus d’intérêt commun. Il t’a aidé à grandir, il s’est nourri de tes succès, voici qu’il s’oppose à tes vœux. Tu vas vers des cieux qu’il ignore. Tu vois venir la Vie, il sent venir sa mort.

C’est lui qui dans ton dos entretient tes remords. Il te mord et remord, il te bâche et rabâche, il te cache et macache. Tu te fâches. Il te lâche. Reste vache. Sans relâche. Guette à mort. Sans remords.

On ne fait pas Hamlet sans casser Dieu.
William Shakespeare