J’étais cinéphile. Étudiant, je voyais plusieurs films par semaine grâce à la cinémathèque du Palais de Chaillot, séances à 1 franc, tout le cinéma du monde, et c’était ma drogue : merci Henri Langlois. Il y avait des films poétiques, d’humour, d’amour, d’aventures épiques. Peu de violence, beaucoup d’intelligence. Dans ce temps-là, les bandes dessinées n’étaient destinées qu’aux enfants.

 

La loi de 49 sur les publications jeunesse interdisait la représentation du sang. Les cowboys mouraient sous les balles de Lucky Luke comme des marionnettes en chiffon. Luke fumait la cigarette comme tous les beaux cowboys Marlboro. Les années passant, il a troqué son clopos contre un brin d’herbe, une tige de céréale qu’il mâchonnait l’air distrait. Dans les BDs devenues adultes, le sang a fait son apparition. La violence aussi. Adieu le tabac, vive le passage à tabac.

J’étais cinéphile, je ne le suis plus. Même si je fais une conso abusive des toiles :finie la toile sur l’écran télé ! je peux voir une demie douzaine de films par jour. Ou davantage : je ne les regarde jamais jusqu’au bout. Sitôt qu’un film m’agace, m’insupporte ou me dérange, je change. La zappette est faite pour ça. Zombies dégoûtant, sexualité obscène, films d’horreur, de guerre, de sang et de tripes. Complaisance sadique des metteurs en mal d’idées. Course aux entrées, ventrées d’éventrés. Films de haine et de détestation, ou tout simplement films crétins à l’usage exclusif des analphabètes de l’esprit, de l’âme et du cœur. Qu’est-ce que je fous là ? Ce monde qui s’en va n’est plus pour moi.

Les enfants sont instruits par la débauche, le vice et la surenchère dans l’atrocité. Malgré les progrès réels des trucages et des effets spéciaux, tous ces navets sont si mauvais que c’en est grande pitié. La fin pénible du kali-yuga  impose partout et sur tous son sceau d’infamie. Séries décadentes, films minables, scénarios inutiles, seul le vice est exalté. Tricheurs, menteurs, voleurs, exploiteurs, pilleurs, tueurs, violeurs sont reconnus, portés aux nues. Toutes les valeurs sont inversées, toutes les poubelles sont déversées, toutes les limites sont traversées.

Le charme, la douceur, la tendresse au placard, il ne reste que le néant, l’absence d’esprit, de cœur et de courage. Déboutée, l’âme refuse de s’incarner comme elle le faisait naguère dans la personne de nos dirigeants. Ils font la surenchère dans la bassesse et l’ignominie. Au pays capital, les Bush appellent le Trump. Ils étaient bouchés, il se trompe et nous trompe. La page se tourne pour quel mieux ? Macron maquereaute, faute de rencontrer sa grandeur. Vainement je cherche la lumière dans le cœur et l’esprit des grands hommes. En reste-t-il encore ? Grands ils ne sont plus, sinon dans la magouille.

Pauvre monde, je pleure ta beauté polluée par le béton, le plastique et la ferraille. Comme on fait son lit on se couche. Ce monde se meurt dans de sales draps. Qui suivra son cortège funèbre ? Deux trois rats morts. Un chat coiffé. Lyre d’Orphée. Conque de Ramor. Miroir aux fées. Rochers d’Armor. La beauté est dans l’œil de celui qui regarde. Une poussière dans l’œil fait pleurer ; la beauté dans l’œil c’est bien pire, ça fait rire.

 

 

Que la lumière soit en bas

Ça ne me ressemble pas. Je n’aurais pas dû. Pardonnez-moi cette exception. J’ai écrit ce texte bien sombre au plus noir du premier confinement. Printemps 2020. Jonquille au marin. Les humains ne se montraient plus. Des animaux inédits couraient dans mon jardin magique. La mort faisait des clins d’œil. Le désert occupait les jours, la solitude hantait les nuits. Où me suis-je enfui ? Dans quel univers parallèle ? Sur quel improbable plan ? J’y ai cultivé les qualités secrètes que ce monde ne permet plus. Mes lecteurs savent que je n’ai pas vocation à noircir, mon rôle est de montrer la lumière où qu’elle brille. Mais tout part en vrille. Ne craignez pas, c’est l’époque qui craint. Demain n’est rien. L’embellie est ici aussi.

Pardonnez-moi. Je n’avais plus la foi. J’étais déjà dans l’autre monde, à l’intérieur : pays des songes. Plus réels sont-ils que cette plate mascarade dont on fait ici-bas notre pain quotidien. Le monde des Rêves a ses règles qui ne sont pas celles des moldus. J’ai passé ma vie chez les Fées, j’y compte beaucoup d’amis qui me survivront tous. Longue est la vie des fées et des elfes. Puissants sont leurs philtres, efficaces leurs potions.

Certains lutins ont été mes hôtes pendant de longs mois. Ils avaient pris refuge sur le siège arrière de ma voiture. Ces voyous m’ont trop fait rire. Je regrette encore les bons moments passés en leur compagnie. Quand quelqu’un d’autre était dans ma voiture, mes korrigans se tenaient peinards. Le délire reprenait sitôt l’intrus parti. Pour qui passe de l’autre côté, la vie devient très différente. Outre miroir, les soucis du vieux monde ont un air dérisoire. Ceci ou pas souci ? Idiotie, vue d’ici.

Rien ne pourra jamais remettre à l’heure les pendules d’en-bas. Elles déconnent l’heure. Elles crashent minutes. Des centaines de secondes fusionnent avec des kilomètres, les mégatonnes se fondent aux siècles, il pleut des signes, le temps boucle. Loopy dit Loupe. Retour au poing de dépare. Sale défaite en salle des fêtes. Le temps subjectif me paraît plus réel. Ou moins insignifiant.

Le rôle des enchanteurs est d’enchanter le monde. Je m’y efforce encore quoiqu’il ne m’enchante plus. Ma vocation est d’éveiller, mais le sommeil est si profond. Où que j’aille, je reste chez moi. Mes voyages sont en astral. Je visite les cathédrales, les dolmens, les allées couvertes. La Chaise-Dieu, la Roche aux Fées. Je vais à Vézelay, au Puy en Velay. Je grimpe les Alpes, l’Himalaya, les Andes. Tout ça dans ma chambre.

Depuis 30 ans, j’ai un pied dans les deux mondes. Le vrai et le bon. Le réel et l’absolu. Ni vu ni connu, content d’être venu. Depuis 30 ans, j’erre sur Terre et me terre en l’air. Je m’évanouis. Je m’évapore. Évanescent. Dévalisé. Je quitte mon corps de terre, j’entre en mon cœur de verre. Ces deux mondes familiers m’ont donné l’idée de faire circuler les infos de l’un à l’autre, les secrets de l’autre à l’un. Alice entre en lice. Dans sa corbeille, tant de merveilles ! Comment résister au puissant charme des ondines ? Les sirènes sont leurs cousines…

Comment parler des créatures qui font la joie de la nature ? Superbes sur l’herbe, si douces sur la mousse, souriantes sur les pentes, souveraines en plaine, surtout partout. J’en sais beaucoup sur elles, qui savent tout sur moi.

J’ai quitté la vie atroce, le pouvoir des boloss, les sales gosses qui jouent au boss, plaies et bosses sur les réseaux rosses, et j’ai vécu parmi les fées. Que m’ont-elles fait ? Beaucoup d’effet. Et j’enjambe à tout va du gingembre au lilas de septembre en frimas dithyrambe éponyme épongeant Gal à Nîmes au gala qui s’anime — Victor eut gobé ce mot-là, lui qui en fit des tombolas.

 

 

J’étais cinéphile, c’est fini. Le ciné est mort-né, le phile est cassé. Les films actuels me cassent les burnes. Cannes me tanne. Deauville débile, oscars ringards, césars tocards. Je m’endors ou je m’indigne ou les deux, ce qui est méritoire. En astral ils en ont marre. Je démarre. Je décarre. Gare ! Je tourne la page, et tout à fait calmé, j’enrage. Faut-il se faire tartir cent-sept ans sur des voies de garage ? Sans importance ! J’habite en France depuis l’enfance.

Je reviens doucement parmi vous, k.o. dans les cahots du chaos, fureur défunte, colère éteinte, les oreilles tintent, les yeux clignent, les points s’alignent, tenir le coup encore un coup.

Le vent se lève. Il faut tenter de vivre.

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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