« Au fond d’un vide intense où le silence immense, immobile en sa danse emplit son corps en creux. Amour tu ris encore et ton rire est nombreux. » (source)Lao Surlam, Ecrit sur le vent Saturer le mental ou le rendre vacant, deux bien jolies façons de lui casser les dents.
Dans l’espace
Je vais par les chemins qui côtoient l’autre monde une boussole en main, inutile instrument quand l’horizon te trompe et le futur te ment — je reviendrai demain, là vous avez du monde.
Je vais sur les sommets que les grimpeurs ignorent. Je côtoie l’albatros ou l’oie grise et je vais sur les monts les mers aux vents mauvais attiré de tout corps par l’Eden à l’aurore.
On ne vieillit pas
Demain je reviendrai picorer sur ta bouche
les mille et un secrets de tes bonheurs d’enfant
et pour toi je lirai dans tes grands yeux de faon
l’avenir du Pérou, les Mayas, les Manouches.
Je lirai le futur de l’Europe et la fin
de l’âge obscur et quand le spectacle s’achève
on s’en ira glorieux dans le jour qui se lève
avec le doux éveil des fleurs et des parfums.
Nous aurons des chansons des souvenirs de fêtes
des recueils de témoins, des jalons, des couffins
fourmillant de portraits des fabuleux défunts
qui ont fait les beaux jours de rencontres parfaites.
Personne ne nous entend crier
À ceux qui ont vu la mort de près, à ceux qui ont vécu leurs derniers moments sur terre au-dessus de leur corps de chair, qui ont vu défiler leur vie dans les moindres détails l’espace d’un instant qui s’étire comme une éternité, ces valeureux bienheureux qui ont connu le temps arrêté, je dédie ce poème.
Qu’il s’arrête comme le temps s’étire aux abords de la mort. Qu’il nous prenne à revers tel Grouchy — c’est Blücher ! Qu’il épuise d’un coup notre crédit d’années, que Charon le Nocher nous aide à traverser, que notre nom soit lu dans la liste des morts et que l’on nous dédie la prière aux défunts, j’écris ces traîtres mots pour les mettre au parfum — où qu’ils soient, quoi qu’on dise, je sais bien qu’ils me lisent et comme ils s’hypnotisent à la quincaillerie de ma rimaillerie, à l’enseigne de la Clé Anglaise,
à l’écu du Marteau,
à l’hôtel de l’Enclume,
pour le bien que nous eûmes
et le feu qui s’allume,
pour le canna qu’on fume
et les fous que nous fûmes,
la fin qui vient trop tôt
publie ces vers posthumes.
Postés après ma mort écrits de mon vivant : je suis né j’ai vécu je suis mort. Épitaphe à graver sur ma tombe. Succinct. Qui s’en sort mieux que moi quitte aussitôt le rang pour me jeter le gant. Je l’examinerai de près je le promets. Sous toutes les coutures, point par point, fil à fil, est-ce du bon vélin, du chamois, du caprin, du porcin, du bovin ? La taille et le fini ? Voyons comme il est mis ? Me sied-il à la main ? Il me plait. S’il vous plaît jetez-moi son frangin.
La comédie humaine est de loin la meilleure : je vais le montrer tout à l’heure. Quel brimborion futile avez-vous dans la tête ? Combien de fois faut-il que je vous le répète ? Je n’aime pas le chou. Il vous rend l’esprit lent. Quand on en mange on pète et ce n’est pas galant.
L’humanité est contrôlée mentalement et elle est à peine plus consciente qu’un zombi moyen.
Un silence affolant : le vide
Une lampe s’éteint sous le ciel qui s’est teint de rose à l’orient. Un nouveau jour est là, tâchons qu’il soit riant sous le soleil brillant. Il dépend de celui qui passe que je le suive ou le dépasse que je survive ou je trépasse que je m’en tire ou que je clamse que je m’écroule ou que je trace que je prenne un pet dans la face que j’en rajoute et que j’en passe.
Silence. Six lances. Cil anse. Si lent s’.
Content d’être venu ? Moi non plus.
On se tait
sur la ouate épaisse
tapissant la caisse
où mahousse
la housse
crisse
quand en douce
la mousse
glisse
on se tait silence
calme en tête intense
…Oui mais si on danse ?
Cueilleur de silence
Le silence et tout particulièrement le silence recueilli est un cadre propice à la rigolade spontanée. Je me souviens de certains fous-rires à la messe d’onze heures pendant l’élévation. Parmi les meilleurs moments religieux je dois dire. Le rire est ma religion, beaucoup d’adeptes, une foule de pratiquants. Le rire est un maître exigeant. Un triste rire est affligeant. Quand un rire est faux quelle offense ! Pire que rire est son absence.
Rire, politesse du silence. Offense à l’infini. Face au bruit de la vie, la mort se tait. Silence du sommeil peuplé de gens bruyants. Irrévérence de l’instant quand l’absolu s’en va tout nu dans la rue. Quand du rêve s’élance un cueilleur de silence.
quand la ville est sauvage
et la forêt s’éteint
quand la pâleur du teint
se lit sur ton visage
quand du soir au matin
s’évanouit le rivage
quand le guetteur d’orage
épie sur le fortinNoé m’y ?..
Charge ta mule
Saturer le mental ou le rendre vacant, deux bien jolies façons de lui casser les dents. Charge ta mule avec tout un tas de détails précis, des gestes compliqués, orteils en éventail, ongles becs, doigts vainqueurs, paume armée, des rituels sus par cœur et sciemment déformés. Compte bien tous tes pas. Essaie de te caler sur le tambour du cœur. Occupe-toi de tout. Trop d’infos te disjoncte et tu reçois l’éveil.
Créer le vide ? Pas nécessaire. Il suffit d’une faille, fissure, fente ou brèche. Un éclair va surgir pour allumer la mèche. Une seule ouverture dans le feu continu du cerveau tout-puissant qui nous mène à son gré. Cassé l’âne bâté. Lassé le dératé. Poissé le karaté. Raté le pois cassé.
La mule du mental a du mal à tirer lourde charge. Elle dérape et le vide l’attrape. Le dragon du mental devient mule quand tu lui colles un bât sur le dos. « Mental ! Rends-toi utile ! Porte-moi ça là-bas !
– Ce n’est pas mon boulot.
– Je m’en fous. Ferme-la. Garde ton feu pour toi.
Et tu charges la mule. Le dragon va hennir au début, pour la forme. Et puis sans regimber il se laisse bâter, exploiter, écarter, tu l’as mis de côté. Ce n’est pas lui le roi. Nenni. Pas plus que toi.
Le roi du ciel viendra quand tu ne l’attends pas. Supplie-le, il s’en va. Prie-le, il ne vient pas. Maudis-le, il s’en fout. Tue-le, il te croit fou. Sans lui tu meurs. Son éclat te rend fou.
L’espace intérieur
Pourquoi le cerveau mule ? Par idéologie. Le trop-plein qu’on simule est une stratégie. Occuper le terrain. Déclencher l’allergie. Quand le mental en a ras la benne il s’enterre et renonce à fourrer son pif dans tes affaires : profitant de la chance on peut voir la lumière.
Il y a la stratégie inverse. Faire place nette. Laver la tête. La vider complètement. Laisse-toi glisser au creux d’une tâche répétitive, gestes automatiques, mécaniques, robotiques, le combo du zombi, la polka du naze. Arbore un air crétin sur ta face, ô paillasse. Con comme un parapluie. Tête vide, tu vis. Tu revis. Tu jouis. Tu te réjouis.
Écosser les cocos. Balayer le plancher. Astiquer les carreaux. Plus besoin de la tête. Elle s’ennuie. Se sent seule. S’en va sans regimber, sans regret, sans souci. La chance te sourit. Tu es libre. Tu ris.
Les Trois Sœurs dépitées
iront à tes côtés.
Leur nom est Liberté,
Beauté, Altérité.
On y voit la devise
de cette union promise.
L’idée à peine émise
est déjà compromise.
L’espace est infini où tu t’es endormi, mais celui de ton corps est bien plus vaste encore.