Tous ceux qui renoncent au chemin montant, sablonneux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé* sont des déserteurs. Ceux qui troquent leur âme immortelle pour de l’or périssable, de l’or dur qui ne dure, tous ceux-là sont des déserteurs. Ceux qui renoncent à leur destinée de héros, eux aussi sont des déserteurs. Et de la pire espèce. *La Fontaine, La mouche du coche
Mais celui qui suit n’en est pas un, oh non!
Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
Le déserteur
chanson de Boris Vian
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter
Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Qu’elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer
Écouter

Attention!
Douze « Non »
Je ne suis pas un zéro, je n’ai pas de numéro dans le dos.
Je ne suis pas un sirop, je bois du cidre à l’apéro
Je ne suis pas un taureau, je suis né sous le signe des gémeaux
Je ne suis pas un Pierrot, Colombine est partie trop tôt
Je ne suis pas un tarot, je suis un Mat bien fou comme il faut
Je ne suis pas un frérot, mon frangin n’est pas mon poteau
Je ne suis pas un noiraud, j’ai pas la bonne couleur de peau
Je ne suis pas un hobereau, j’y peux rien je suis un prolo
Je ne suis pas un maraud, j’ai pas mon nom dans les journaux
Je ne suis pas un blaireau j’aimerais bien mais je suis trop gros
xs, Hommage à Balavoine, ce héros
Écouter

Le dormeur du val
C’est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud, octobre 1870
Ballade des Pendus
Frères humains qui après nous vivez
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachez cinq, six
Quand de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéçaIl y a longtemps dévorée et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
Si frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoi que fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis;
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie;du verbe harier : moquer. Exemple: haro sur le baudet !
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis:
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés
Et arraché la barbe et les sourcis.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis là, comme le vent varie,
À son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,qui est notre maître à tous
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
À lui n’avons que faire ni que soudre.résoudre
Hommes, ici n’a point de moquerie;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre.
François Villon, 1489
Tu n’en reviendras pas
Jeune homme dont j’ai vu battre le cœur à nu
Quand j’ai déchiré ta chemise et toi non plus
Tu n’en reviendras pas vieux joueur de manille
Pour une fois qu’il avait un jeu du tonnerre
Et toi le tatoué l’ancien Légionnaire
Tu survivras longtemps sans visage, sans yeux
On glissera le long de la ligne de feu
Quelque part ça commence à n’être plus du jeu
Les bonshommes là-bas attendent la relève
Les soldats assoupis que ta danse secoue
Laissent pencher leur front et fléchissent le cou
Cela sent le tabac la laine et la sueur
Fiancés de la terre et promis des douleurs
La veilleuse vous fait de la couleur des pleurs
Vous bougez vaguement vos jambes condamnées
Déjà vous n’êtes plus qu’un nom d’or sur nos places
Déjà le souvenir de vos amours s’efface
Déjà vous n’êtes plus que pour avoir péri
d’après son service hospitalier sur le front en 1918
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Est-ce ainsi que les hommes vivent ?
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays
Et leurs baisers au loin les suivent.
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke
Et leurs baisers au loin les suivent
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faÏence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton coeur
Un dragon plongea son couteau
Et leurs baisers au loin les suivent
Comme des soleils révolus
Écouter

Déserter la haine
*Inspir: phase d’inspiration, souvent dans le cadre d’exercices de méditation. « Être davantage présent à ce souffle qui va et vient en moi, c’est être davantage présent à la Vie qui circule, c’est entrer dans le mouvement de la Vie : recevoir à l’inspir, se donner à l’expir, s’abandonner entre l’expir et l’inspir ». (source)Jean-Guilhem Xerri, La vie profonde, éditions du Cerf, Paris, 2021, page 206
Bibliothèque de l’âme
- Koans
- Dix Tigres Bleus
- La Vache Multicolore
- Un été indien
- L’âme selon Jung
- Jung et la folie divine
- La foi d’Einstein
- Déserter la haine
- Les derniers mots de Krishnamurti
- Le testament de Baltimore
- Le matin des magiciens
- L’éclat de Mandela
- L’or intérieur
- Hommage à Lao Surlam
Image extraite de l’article Les derniers mots de Krishnamurti