Fable

Dialogue de sourds. La voix intérieure fixe la Règle — la loi de l’Aigle. Le mental triche. Il se rebiffe — vas-y pleurniche. Tu veux qu’on t’aime? Aime-toi toi-même. Ces mots t’entraînent. L’arène en scène. Tu crois bien faire ? Tu ne fais rien. Quelqu’un d’autre agit pour toi. Te défait. Te refait. Et tu t’en satisfait.

Qui c’est-y donc au fait ?

 

Le labyrinthe

La voix intérieure, impérieuse :
En premier, tourne ta langue
Change le ton de ton harangue

Le mental :
Longtemps j’ai marché, cherché, déniché
J’ai tant chevauché de vague en rocher
Le souvenir mort m’accompagne
D’un fortin en Espagne
Cabane au Canada
¿Como nada nada?

 

La pluie

La voix intérieure :
En second, parle sans fard
Par le grimoire aux cafards

Le mental :
Pourquoi te mentir 
J’ai tenu longtemps
Content pas content
Non sans repentir
À quoi bon ruiner ses babines
Bercer de ton harmonica
Ce pauvre chien qui sent l’urine
Nourri d’ordure et de caca

 

La prudence

La voix intérieure :
En troisième, évite un regard
Baisse bien les yeux sinon gare

Le mental :
Ils étaient venus comme on part
De part en part sur les remparts
Les gens qui les ont vus pleuraient
Ils sont si laids dégueule de raie
Sur l’avenue
Où dansait nue
L’impératrice de mon cœur
Vaincu vainqueur

 

La solution

La voix intérieure :
À la quarte on bat le briquet
Coupe et distribue le paquet

Le mental :
Compte mes rois, valets et dames
Inventorie mes états d’âme
Qui te tue ? Le sais-tu ?
Né dans la laitue
Ou née dans la rose
En vers ou en prose
Le diable et son train
Déclame un quatrain

 

Exit

La voix intérieure :
À la quinte on inspire à tort
Le ballet des aspirateurs

La voix intérieure :
À la quinte on trinque à la mort
De l’ego ce foutu menteur

 

Le mental, au loin :
Ce soir à la même heure
Je meurs !

 

 

Voix intérieure(s)

La voix intérieure est celle qui parle dans ta tête. Est-ce toi ? Ou Toi ? Ou quelqu’un d’autre ? Il y a de nombreuses voix qui résonnent dans les salles immenses de ton palais intérieur. Apprendre à les reconnaître afin de ne pas se laisser abuser par l’une d’elle est le premier programme du guerrier. Un naïf se dira que cette voix ne peut venir que de lui-même, puisqu’il l’entend à l’intérieur. Le guerrier doute de tout. Il est capable de croire avec une totale conviction, tout en restant en retrait, derrière lui-même, dans le fond de la salle, à douter de sa croyance.

Croire sans y croire est un puissant mantra s’il ne reste pas lettre morte. Seule la pratique de cet impossible pari en exprimera toute la saveur et l’incroyable pertinence. Vas-y, pratique donc.

D’abord assure-toi que la voix vient de toi. Vérifie bien tout, ce qu’elle te dit et les mots qu’elle emploie. Les idées qu’elle exprime sont-elles familières ? Au cocktail, te choquent-elles ? Une fausse note, un détail qui cloche ? Commence une intense enquête policière où tu es le détective, les témoins, la scène de crime, le juge, l’avocat et peut-être aussi le coupable — l’enquête te le dira.

Connais-toi toi-même. Cette maxime était gravée sur le temple d’Apollon à Delphes, où la Pythie disait l’avenir et prédisait pour la foule des pèlerins venus de loin pour elle. Démasquer cette voix intérieure a l’air puéril, mais ce n’est pas un jeu. Te connaître est ton premier programme. Etalonne ton corps. Sois attentif à lui. Capte tous les signaux qu’il t’envoie sans cesse. Apprends à les reconnaître. À en tenir compte.

Quand j’ai entrepris cette recherche intérieure, j’ai commencé par distinguer deux autres voix que la mienne. Deux autres personnes, différentes de moi tel que je me connais, s’exprimaient dans ma tête et se disputaient entre elles. Un teigneux et un pédant. Deux cons que je n’aurais jamais fréquenté à l’extérieur. Qu’est-ce qu’ils foutent chez moi ?

Et puis il y eu l’épisode du Mont Saint-Michel. Quelqu’un a pris la parole à ma place. Il gérait mon propre corps comme je l’aurais fait, tandis que j’en étais le témoin passif. Assis éberlué à l’arrière de moi-même, je le voyais de dos, le gaillard qui se faisait passer pour moi et invectivait une bande de gamins effrontés. C’est bien mon genre ! Jamais je ne la ramènerai comme ça en face de mômes ! La suite m’a montré que cette voix a bien agi. Avec magie.

Depuis, j’ai identifié des dizaines d’intervenants qui prennent ma tête pour une tribune et s’échangent des invectives et des noms d’oiseaux sans s’occuper de moi une seule seconde. Quand j’écrivais des histoires pour les jeunes, à peine avis-je commencé d’écrire que les personnages apparaissaient dans ma tête et se mettaient à vivre leur aventure avec toutes ses péripéties. Pratique : je n’avais qu’à écrire ce qu’ils vivaient en moi.

Je suppose que je suis atteint d’une sorte de porosité subtile qui fait de moi le séjour idéal pour tout un tas de marlous et d’escarpes temporels. Bandits cosmiques. Intrus importuns qui se révèlent souvent utiles. Ils me donnent leur point de vue qui décoiffe et mérite examen.

 

 

Le mental

L’autre protagoniste du conte, tu l’as reconnu, c’est l’ego. Ou le mental, les deux noms font la paire. Je l’appelle le dragon de l’ego. Il peut fulminer comme cent mille diables. Jamais il ne garde son calme. Il prend la mouche et se met à bouillir comme la soupe au lait qu’il est. Ses naseaux crachent le feu. Le monstre pète les flammes. Mais ce triste dragon-là ne dort pas sur son trésor. Il écrase le pauvre bougre qu’il accapare comme un tas d’or. Il le garde en sa possession jalouse. Il le tient, il le mange, il le dévore chaque jour un peu. Obscène, il s’en repait. En scène il sent mauvais.

On consacre la première moitié de sa vie à se forger un ego solide, et la seconde moitié à s’en débarrasser.

Carl Gustav Jung

 

Oui, quand on est jeune, un coup de pression de l’ego, je ne dis pas, ça sert des fois. Mais ça change. Avec l’âge, tout ce qui vient de l’ego te casse le moral et t’attache au banal. Ta vie serait tellement plus grande si le petit maîtrenom traditionnel de l’ego voulait bien te lâcher la braguette. Donne de l’air à tes projets. Donne de la place à ton envergure. Ne te prends pas pour quelqu’un d’autre. Ne fais pas confiance au premier petit maître venu. Quand tu l’as reconnu, fais la différence. Prends le chemin du cœur. Obéis au maître intérieur. Ne le prends pas pour un menteur. Et méfie-toi de tes erreurs…

Les mots sont un prétexte. C’est l’élan intérieur qui nous pousse l’un vers l’autre, pas les mots.

Rumi

 

 

Xavier Séguin

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Xavier Séguin

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