Gratitude pour mon pilote

Rude période, surréelle, un pas de plus vers l’aveu qu’on attend sans se l’avouer mais dont on se doute déjà très fort. Les anges en jupette vont sonner les trompettes. Un archange va lire les nouvelles Tables de la Loi. Et ça va faire très, très mal.

L’archange va faire entendre une voix puissante qui semble venir des entrailles de la terre. Il dit : « Terriens, salutation. Voici la vérité, la vôtre, terriens. Vous êtes immortels, vous ignorez la mort, car vous n’existez pas. Vous êtes des avatars dans un jeu vidéo. Si la vie vous paraît absurde et cruelle, injuste et dépourvue de sens, maintenant vous savez pourquoi. » Tu te rends compte du nom qu’ils nous donnent ? T’es rien !!!!!

Terrien t’es rien. Ta Terre t’atterre.Tout est dit dans les mots. Tu n’as qu’à les casser pour sucer la moelle.

Il y a un moment que je m’en doute. Ce n’est pas moi qui pilote ma personne. D’ailleurs, suis-je une personne ? Mon pilote a du génie, je lui en sais gré infiniment et m’en félicite tout autant. Qui suis-je ? Je l’ignore plus que jamais. Le savoir pèse sur le pouvoir. La tête prend le pas sur les tripes et c’est l’erreur.

Libère ton esprit et ton cul suivra. (Bill Clinton)

Dans cette dictature de la tête qui raffole des peines de cœur, le grand absent, c’est le corps. Les sportifs le martyrisent en quête d’acide lactique, pour avoir leur dose de défonce organique. Ce n’est pas honorer le corps que de le prostituer aux désirs délires de la tête.

On pue de la tête. Ça sent le renfermé dans nos boîtes crâniennes. Les culturistes croient rendre un culte à leur corps. Non, c’est leur ego qu’ils flattent. Le petit maître. C’est encore dans la tête.

Quand j’avais 19 ans, j’ai libéré mon corps. Je n’étais pas seul dans ce cas. Toute une classe d’âge, voire davantage, s’est libérée ce printemps-là. 350 000 personnes, jeunes, saines et fraîches ont communié à la grand’ messe de la fesse. Dans les amphis déserts ou sur les barricades de la rue Gay Lussac. L’amour libre est né en mai 1968.

CORPS ABSTRAIT / CORPS ABSENT
CORPS COMPTANT / CORPS CONTENT

Qui trop embrasse mal étreint. Peut-être ? Je n’en sais rien. Vient le temps de ne plus rien savoir. La foi se meurt. Les convictions s’effritent. Envolées, les belles certitudes. Laisser la barque aller. Vivre à son gré, vivre au gré du pilote. Et ne plus se soucier de rien d’autre que de remercier.

Le pilote contrôle mon corps et ma pensée, mes réflexes et mes actes mûrement réfléchis, mon cœur et mon esprit. Il est mon choix premier. Est-il mon âme immortelle ? Oui, c’est possible. En ce cas, je ne suis pas mon âme, puisque je ne suis pas lui.

Cogito ergo sum. Je pense donc je suis, a dit le philosophe dans son poêle en Hollande. Abruti par les vapeurs de shit, Descartes a le culot de parler de pensée rationnelle ! Ce faisant, cet animal a plongé l’Europe dans le stress stérile du concept roi. Et ça ne s’est pas arrangé par la suite. La Révolution de 1789 a détrôné le christianisme pour imposer une religion plus stupide encore : le culte de la Raison.

Nom de dieu, je préférais l’ancien proprio. Au moins il était rigolo. Quand on lit ses aventures dans les mythologies, on a pour lui de la sympathie. Sa devise quotidienne faisait fi de justice et de bonté. Il n’avait qu’un seul mot d’ordre : jouir sans entrave. Et il l’a prouvé aux dépens de nos ancêtres sacrifiés à son bon plaisir. Font chier les dieux.

Fait chier la Raison. En tout cas, ce n’est pas elle, avec ou sans majuscule, qui pilote le bonhomme que je suis. Voilà une chose dont je suis bien certain. C’est bien la seule.

Trop de questions sans réponse. Trop de réponses hors de question.

Un guerrier traite le monde comme un mystère infini, et ce que les gens font comme une folie sans bornes. (Carlos Castaneda)

Faut-il pleurer ? Faut-il en rire ?
Font-ils envie ou bien pitié ?
Je n’ai pas le cœur à le dire
On ne voit pas le temps passer. (source)

Est-ce un vivant qui me pilote ? A-t-il le moindre souci de ma reconnaissance ? Je pense que oui. On s’attache à ses avatars.

On s’attache à ses avatars. Pendant la partie, en tout cas. Se souviendra-t-il de moi quand mon rôle sera fini ? Quand il sera fatigué de jouer ? Quand il m’aura tué ?

Nous croyons conduire le destin, mais c’est toujours lui qui nous mène.
Denis Diderot